Intervention de Jacqueline Fraysse

Séance en hémicycle du 22 mai 2014 à 15h00
Modulation des contributions des entreprises — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacqueline Fraysse :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le pacte de responsabilité présenté par François Hollande en janvier dernier constitue la nouvelle feuille de route du Gouvernement. Ce pacte nous préoccupe, car il confirme le tournant libéral engagé avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, la loi dite de « sécurisation de l’emploi » ou encore la réforme des retraites. Présenté comme un instrument de redressement de l’économie, ce nouveau plan de réduction des cotisations et de compression des dépenses publiques repose sur le postulat suivant : « les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain ». Il vise à permettre aux entreprises d’accroître leurs profits dans l’espoir de stimuler l’investissement et la création d’emploi.

Pourtant, comme le rappelait récemment l’économiste Anne Eydoux dans les colonnes d’un grand quotidien national, « l’idée selon laquelle il faudrait baisser les cotisations sociales des employeurs pour baisser le coût du travail, et stimuler ainsi la compétitivité des entreprises et l’emploi, ne résiste pas à l’examen » car « la compétitivité n’est pas seulement tributaire du coût du travail. Le coût du capital pèse aussi fortement sur elle, pourtant, ce facteur est très rarement évoqué. »

Nous savons par ailleurs que le gel des dépenses pèse sur la consommation des ménages, sur la demande, et en fin de compte sur les débouchés des entreprises. Surtout, cela fait vingt ans que la France réduit, réforme après réforme, le montant des cotisations sociales. Pour quels résultats ? L’effet de ces politiques est difficile à évaluer, mais les faits sont têtus : force est de constater que les allégements de cotisations n’ont pas enrayé la montée du chômage. De plus, ils ont eu des effets pervers comme l’apparition de trappes à bas salaires. Sans oublier le coût de ces mesures, que l’on peut estimer à 75 000 euros par emploi et par an pour les seules mesures Fillon, soit bien plus que le coût des emplois aidés ou des 35 heures.

Nous ne comprenons pas le choix du Gouvernement. L’augmentation des profits des entreprises et la diminution des contraintes qui pèsent sur elles ne peuvent tenir lieu de politique économique et industrielle. Ce n’est pas en lâchant la bride aux profits que l’on produira plus et mieux ou que l’on contribuera à satisfaire les besoins en causant moins de dommages écologiques. Nous comprenons d’autant moins les orientations de la politique actuelle qu’il est possible de construire une alternative au libéralisme et de réunir la gauche autour de propositions consensuelles.

La modulation des contributions des entreprises est de celles-là. L’idée n’est pas neuve : nous la défendons depuis des années, et ne sommes pas seuls à le faire. Lors d’une visite sur le site de Gandrange, en janvier 2012, François Hollande lui-même, alors candidat à la présidentielle, avait avancé l’idée d’une modulation des cotisations sociales pour inciter les entreprises à privilégier les contrats longs plutôt que les contrats courts.

La modulation était également au coeur des engagements de campagne de François Hollande. Le chef de l’État indiquait alors qu’il « modulerait la fiscalité locale des entreprises en fonction des investissements réalisés » et qu’il opérerait une distinction entre « les bénéfices réinvestis et ceux distribués aux actionnaires ». Il disait enfin vouloir « mettre en place trois taux d’imposition différents sur les sociétés : 35 % pour les grandes, 30 % pour les petites et moyennes, 15 % pour les très petites ». Où sont passées ces bonnes intentions ?

La proposition de loi que nous présentons aujourd’hui s’inspire de ces sages préconisations. Elle n’a pas vocation à proposer des solutions toutes faites, à fournir un programme clef en main, mais à rouvrir le débat sur la modulation en prenant appui sur des propositions qui faisaient largement consensus à gauche avant les dernières échéances présidentielles et législatives. Le principe de modulation nous semble pertinent, car il repose sur le « donnant-donnant ». Ce principe nous semble plus efficace et plus crédible que le badge portant l’inscription « 1 million d’emplois » arboré fièrement par le dirigeant du MEDEF.

Il serait selon nous de bonne politique économique de baisser le taux d’imposition des entreprises qui réinvestissent leurs profits dans la recherche et l’innovation, la création d’emplois stables et la formation qualifiante des salariés. À l’inverse, il serait à la fois juste et efficace d’alourdir la contribution des entreprises qui distribuent une part importante de leurs bénéfices en dividendes ou bien délaissent l’investissement productif au profit d’investissements de croissance externe et de domination sur les marchés.

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