Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi du groupe GDR sur la modulation de la contribution des entreprises. Nous ne pouvons évidemment que nous féliciter que nos collègues du groupe GDR consacrent cette niche parlementaire à un texte qui a pour ambition affichée de lutter contre le chômage, d’introduire plus de justice dans la répartition des richesses produites, tout en optimisant les recettes fiscales de demain.
Nous partageons ces objectifs et toutes nos actions, sous l’impulsion du Président de la République, sont dirigées en ce sens depuis 2012. Pour autant, si nous souscrivons à la volonté de nos collègues du Front de gauche de favoriser l’emploi et une meilleure justice sociale, force est de constater que les outils introduits par ce texte ne sont pas adaptés à la situation et pourraient être contre-productifs. Je le dis en toute franchise, je vous sais animés d’une volonté de redresser notre pays, mais cette proposition de loi aboutirait à l’inverse des effets désirés.
La plupart des mesures entendent revenir sur des dispositifs mis en place depuis juillet 2012 pour rétablir la compétitivité de nos entreprises et gagner la bataille de l’emploi. Vous proposez de revenir sur des engagements forts pris depuis le début du quinquennat, alors même qu’ils commencent tout juste à porter leurs fruits.
Les premiers signes de redressement de la croissance et du ralentissement du chômage sont en train de s’enclencher et vous suggérerez de tout stopper. Il n’est pas possible de changer continuellement les règles sur le plan fiscal ou économique : cela risquerait de démobiliser les énergies entrepreneuriales et d’anéantir les efforts précédents.
Or, les dynamiques économiques ont besoin de temps pour se déployer, vous le savez tout autant que moi. Agir pour le redressement durable du pays oblige à penser sur le temps long.
La situation économique actuelle n’est évidemment pas la conséquence des décisions adoptées ces derniers mois. C’est l’aboutissement d’un long processus déclenché notamment par le fardeau laissé par la précédente majorité qui, pendant dix ans, a laissé les déficits publics se creuser et le chômage s’installer. Des milliers d’emplois, notamment industriels, ont été détruits entre 2002 et 2012, alors que la droite était occupée à inventer toutes sortes de cadeaux pour enrichir les plus fortunés.
Les finances étaient dans un tel état, quand nous avons été élus, que nous avons d’abord dû nous attacher à écoper le bateau France avant de le remettre à flot grâce aux différents outils créés depuis vingt mois – mais ce n’est qu’un début.
Tout d’abord, le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, présenté le 6 novembre 2012, tout comme le rapport Gallois, ont officialisé le constat d’urgence relatif à notre industrie et notre compétitivité. La réponse apportée par le Gouvernement a été globale et directe, avec des mesures portant sur la compétitivité-coût et hors coût.
Je pense évidemment au CICE, crédit d’impôt de 20 milliards d’euros, qui a permis une réduction d’impôt équivalant à 4 % de la masse salariale pour l’exercice 2013 et à 6 % à partir de 2014 pour les salaires inférieurs à 2,5 fois le SMIC. De nombreuses critiques et des doutes ont été émis sur ce point, mais nous venons tout juste de verser la première tranche. Le CICE est un signal fort vers les entreprises car il est simple à appliquer.
Le crédit d’impôt allège les charges et dégage de nouvelles ressources pour investir, embaucher, innover, se développer, dégager in fine des gains de productivité et réduire les coûts. C’est aujourd’hui, et c’est concret. À l’horizon 2017, le Gouvernement attend 300 000 emplois en plus et un surcroît de croissance de 0,5 point grâce à cette mesure.
Votre proposition de loi propose sans discernement de stopper net ce qui commence à redonner envie d’entreprendre. Elle remet ainsi en cause le CICE en invitant tout bonnement à le supprimer. Nous ne pouvons pas l’accepter.
Le retour de la croissance, c’est aussi le sens du pacte de responsabilité et de solidarité annoncé par le Président de la République. Le débat, en particulier sur les allégements de cotisations, aura lieu à l’occasion du prochain projet de loi de finances rectificatives et du projet de loi de finances pour 2015.
Sur ce sujet, la proposition de loi présentée par le groupe GDR est, une fois de plus, à contresens. Pour s’en rendre compte, je souhaite ici rappeler les principaux axes de ce pacte de responsabilité et de solidarité.
Le premier, c’est la poursuite de l’allégement des charges pesant sur le travail ; le pacte prévoit une amplification de la baisse des charges afin de répondre à un double objectif : favoriser la création d’emploi et améliorer la compétitivité et la capacité à exporter de notre économie. Cette baisse du coût du travail résultera d’une exonération dégressive des cotisations sociales sur les salaires jusqu’à 3,5 fois le SMIC.
Votre texte propose de revenir sur les allégements de cotisations, alors même qu’ils commencent à faire preuve de leur efficacité. Je ne dis pas ici que nous ne pouvons pas prévoir à l’avenir des ajustements : les baisses de cotisations sont certainement moins utiles dans certains secteurs. Il nous faudra procéder à quelques réglages à la marge en fonction des résultats à long terme de ces mesures.
Mais nous n’avons pas l’intention de jeter le bébé avec l’eau du bain en supprimant brutalement ces allégements qui bénéficient avant tout, je le rappelle, aux PME. Le message envoyé aux entrepreneurs serait terrible et contre productif.
Le second axe, c’est la modernisation du système fiscal des entreprises : le pacte prévoit une modernisation et une réduction de la fiscalité des entreprises pour favoriser leurs investissements.
La contribution sociale de solidarité des sociétés sera supprimée d’ici à 2017, avec une première réduction équivalant à 1 milliard d’euros en 2015 sous la forme d’un abattement, ce qui sera favorable aux PME. Le taux normal d’impôt sur les sociétés, l’IS, passera de 33,3 % actuellement à 28 % en 2020, avec une première étape dès 2017.
Enfin, pour simplifier le cadre fiscal, plusieurs dizaines de taxes à faible rendement seront supprimées. Là aussi, vous vous trompez dans l’analyse. En proposant d’augmenter l’impôt sur les sociétés en fonction du chiffre d’affaires, vous nagez à contre-courant de la compétitivité. D’autant qu’en vous focalisant sur l’IS vous n’appréhendez pas la question de manière globale et omettez de prendre en compte la fiscalité locale et tous les autres coûts cachés.
Toutes les mesures prises depuis notre arrivée au pouvoir dessinent une trajectoire claire et cohérente pour les entreprises, et c’est précisément ce dont elles ont besoin. Les entrepreneurs ont besoin de stabilité pour investir, donc créer de la richesse et des emplois. L’instabilité fiscale et administrative pousse au contraire à la paralysie de l’économie.
Je pense par exemple à l’article 3, qui modifie substantiellement le mécanisme de déductibilité des intérêts d’emprunts. On peut en effet se demander en quoi le mécanisme qui est actuellement en vigueur en Allemagne, défendu dans cet article, serait meilleur que celui existant actuellement.
En effet, le mécanisme allemand a été critiqué à de maintes reprises, notamment pour son caractère procyclique : si l’on appliquait ce dispositif lorsque l’entreprise dégage des résultats d’exploitation faibles, ceux-ci seraient plombés par la limitation de la déductibilité des intérêts d’emprunt.
Le dispositif que nous avons actuellement en France est d’ailleurs plus large car il prend en compte, non seulement les intérêts d’emprunt, mais aussi une fraction des loyers de crédit-bail. Comme le rappelait Christian Eckert, rapporteur général du projet de loi de finances pour 2013, le dispositif français est plus sévère que le dispositif allemand sur ce point également.
Rappelons en effet que le projet de loi de finances 2013 est déjà revenu sur cette mesure. Le régime actuel français de déductibilité des intérêts d’emprunt était en effet trop permissif : le projet de loi de finances pour 2013 a donc limité la part des charges financières nettes déductibles.
Cette part a été fixée à 85 % pour les exercices 2012 et 2013, puis a été ramenée à 75 % à compter de l’exercice 2014. Le dispositif de limitation voté ne s’applique pas lorsque le montant total des charges financières nettes est inférieur à 3 millions d’euros – cette disposition de votre proposition de loi est donc déjà satisfaite.
Cela ne signifie pas que l’on ferme la porte au débat. Au contraire, il est utile de réfléchir collectivement aux moyens de perfectionner nos outils pour dynamiser notre économie.
Mais les mesures prescrites dans ce texte sont à contretemps. On ne réforme pas un pays en braquant ceux qui entreprennent, qui créent de l’emploi et qui exportent ; cela demande du temps et de la lisibilité.
En France, ce sont les PME et les TPE qui créent le plus d’emploi. Nous allons apporter des corrections au CICE, car elles ne sont pas, ou trop peu, concernées par ce dispositif. Il en va de même des artisans. Vous le voyez et vous le savez, il faut accorder du temps au temps.
Par ailleurs, nous engageons une large oeuvre de simplification de la vie de nos entreprises, qui doit aussi accompagner et faciliter le fait d’entreprendre en France.
Votre proposition de loi a le mérite de nous interpeller et de nous rappeler la nécessité de mesurer l’efficacité des décisions prises afin de les corriger s’il y a lieu, mais non sans avoir commencé à les mettre en oeuvre.
Nous sommes conscients que la diminution des charges pour un montant de 50 milliards, soit 2,5 points du PIB, implique un contrôle vigilant, surtout en période d’effort national sans précédent. Nous procédons par étapes : d’abord impulser une nouvelle dynamique, ensuite favoriser le déploiement en simplifiant, et enfin procéder aux réglages nécessaires à la montée en puissance. C’est en procédant ainsi que nous allons réussir à redresser notre pays.
J’aurai donc plaisir à engager le débat avec vous, mes chers collègues, sur la proposition de loi que vous nous soumettez, avec le doux espoir de vous convaincre du bien-fondé de la stratégie adoptée par le groupe SRC, car je reste convaincu que c’est par l’écoute et le dialogue que nous pouvons nous rassembler.