Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, j’ai compris que cette proposition de loi constituait un texte d’appel destiné à susciter la discussion : c’est ainsi, d’ailleurs, qu’il a été interprété dans notre commission, qui a tenu un débat extrêmement intéressant sur les allégements accordés aux entreprises.
Je voudrais reprendre et prolonger ce débat, ce qui est une manière d’aborder les discussions à venir.
En économie, dans le domaine des allégements du coût du travail, on a quelques certitudes : on sait qu’ils sont efficaces au voisinage du SMIC. Pourquoi ? Parce que le SMIC resserre l’éventail des salaires. À partir du moment où il joue ce rôle, il pèse nécessairement sur l’emploi. Ce qui est intelligent, c’est d’avoir un SMIC qui remplit cette fonction, pour obtenir des salaires plus élevés, mais sans peser sur l’emploi. C’est la raison pour laquelle la droite comme la gauche, depuis une vingtaine d’années, ont institué des allégements au voisinage du SMIC. On ira, du reste, plus loin dans cette direction après le vote du projet de loi de finances rectificative. Ensuite, il serait à mes yeux pertinent de stabiliser les choses, conformément à un autre principe important en économie : la stabilité fiscale.
Le second point qui fait consensus parmi les économistes, et également, je le pense, parmi nous, tient au fait que, lorsque l’on accorde un allégement fiscal à des entreprises industrielles complètement insérées dans la compétition internationale, c’est évidemment efficace, car ces entreprises ne sont pas contraintes par la demande : leur principal problème est de gagner des parts de marché. À partir du moment où on les fait bénéficier d’allégements sociaux ou fiscaux, elles vont investir, embaucher et accroître leur niveau de production.
Il est donc pertinent d’accorder ce type d’allégements dans un secteur très fortement concurrentiel. Il est néanmoins difficile de les concentrer sur ces seuls secteurs. Or, pour toutes les autres entreprises, c’est-à-dire environ les deux tiers d’entre elles, qui dépendent beaucoup du marché intérieur, les allégements en question ne sont efficaces que s’ils sont accompagnés d’une augmentation de la demande, donc des débouchés. Ils sont par conséquent d’autant plus efficaces qu’ils accompagnent une reprise de la demande, une reprise du cycle économique.
En particulier, quand on finance un allégement par une réduction des dépenses, celle-ci exerce un effet dépressif rapide tandis que l’effet positif de la mesure est lent. Au début de la mise en oeuvre de l’allégement, l’activité économique est donc plutôt freinée avant d’être par la suite accélérée. Pour toutes ces raisons, il est nécessaire de mener une politique fine si l’on veut être efficace.
Je dirai également quelques mots au sujet de la TVA sociale. À l’instar des députés du groupe socialiste, je m’y suis opposé. Il ne s’agissait pas d’une mauvaise mesure dans l’absolu, car le fait de transférer sur une TVA sociale un impôt payé par les entreprises a un sens. Toutefois, une politique économique ne s’évalue jamais de manière théorique mais par rapport au moment où elle est appliquée. Or ce transfert était programmé en plein coeur de la récession européenne : il revenait donc à grever la demande des ménages au moment où celle-ci devait au contraire être soutenue.
C’est pourquoi nous avons plaidé pour un crédit d’impôt, qui permettait de décaler l’effet de l’allégement sur les grandes entreprises et du financement pesant sur les ménages d’une année, ce qui est mieux que de le subir immédiatement. Parce que nous ne sommes pas encore complètement sortis de la récession, il faut être prudent dans l’application d’un tel transfert. Je pense donc qu’il faut bien calibrer la montée en charge des allégements et la réduction des dépenses correspondante.
Je terminerai par un dernier point, une question qu’a posé le président de la commission des finances et qui a fait l’objet d’un débat intéressant. M. Carrez faisait remarquer que nous accumulons depuis plusieurs années de nombreux allégements sur les bas salaires, et se demandait si cela ne nous conduisait pas à nous spécialiser vers des technologies fortement concurrencées. En effet, au lieu de faire des efforts d’innovation, nous ajustons notre compétitivité par le coût salarial.
C’est un sujet très ancien, en France : depuis la Seconde Guerre mondiale, tous les sept ou huit ans, nous avons été confrontés à un déficit extérieur que nous avons toujours réglé par une dévaluation. Les Allemands, de façon symétrique, devaient réagir à la constante réévaluation de leur monnaie et ont ainsi innové, investi massivement. On peut donc se demander si ces dévaluations successives, qui étaient pertinentes au moment où elles ont été décidées parce qu’elles permettaient une baisse du coût du travail, n’ont pas fini par nous spécialiser de façon inefficace sur les marchés internationaux.
Il faut donc s’interroger sur les politiques d’allégement du coût du travail, car le mécanisme est le même. Au demeurant, quand tous les pays européens appliquent de telles politiques, cela présente un risque de déflation. En outre, le calibrage doit être précis pour éviter de perpétuer les effets qu’on a créés du fait des dévaluations.
Toute cette réflexion mérite d’être poursuivie. Nous aurons l’occasion de le faire, mais je tenais à aborder ce débat dès aujourd’hui.