Intervention de Sandrine Duchêne

Réunion du 21 mai 2014 à 9h45
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Sandrine Duchêne, directrice générale adjointe du Trésor :

Je souhaite préciser les modalités d'élaboration des prévisions de recettes et les méthodes de travail qui les gouvernent.

Au coeur de cette mécanique, se trouve l'interaction entre la macroéconomie et les recettes fiscales, entre les prévisions économiques et les prévisions de finances publiques. La relation entre environnement économique et recettes fiscales est en effet à double sens parce que, d'une part, les hypothèses macroéconomiques sont un ingrédient des prévisions de recettes fiscales, et que, d'autre part, les recettes fiscales agissent sur le contexte économique : par exemple, l'impôt sur le revenu a un effet sur le revenu des ménages ; les cotisations sociales, sur le coût du travail et donc l'emploi ; la TVA, sur les prix et la consommation des ménages. C'est au travers de ces allers et retours dialectiques que s'élabore pas à pas la prévision de la loi de finances.

Nous effectuons des prévisions pour chacun des trois grands impôts : impôt sur les sociétés, impôt sur le revenu et TVA. Nous distinguons l'évolution spontanée des recettes fiscales – l'évolution à législation constante – et les mesures nouvelles de recettes.

Les prévisions de recettes changent de nature au fur et à mesure que nous avançons dans le temps. Pour l'année n-1, la méthode de prévision est essentiellement macroéconomique ; elle repose sur des prévisions des grandes assiettes macroéconomiques : le revenu, les bénéfices et la consommation. Nous intégrons également la dynamique particulière de certains impôts – je pense pour l'impôt sur les sociétés au mécanisme des acomptes et du solde. Pour l'année en cours, la prévision du révisé du projet de loi de finances, nous disposons de données partielles de recouvrement. Ces informations nous aident à mieux estimer les prévisions de recettes puisqu'elles reposent pour une part sur des observations qui ne sont pas nécessairement faciles à interpréter. C'est le cas pour l'impôt sur les sociétés : à la mi-année, nous connaissons le solde de l'année précédente et des deux premiers acomptes qui nous renseignent sur le bénéfice fiscal des entreprises de l'année précédente.

La prévision de recettes ne peut pas être un exercice comptable. Elle comporte par essence une part d'incertitude dont les causes sont multiples.

La première incertitude est inhérente aux prévisions macroéconomiques. Elle porte sur la prévision de croissance mais aussi sur sa composition puisque cette dernière a une incidence sur les bases fiscales.

La deuxième incertitude a trait aux modèles de prévision ; elle n'est pas l'apanage des questions fiscales. Nos modèles de TVA sont assez précis. En revanche, ceux de l'impôt sur les sociétés le sont moins car le mécanisme d'acompte et de solde rend difficile à appréhender les versements pour une année donnée. Ce problème n'est pas propre à la France. La Cour des comptes mentionne ainsi dans ses observations le cauchemar des prévisionnistes belges.

Enfin, la troisième incertitude tient au chiffrage des mesures nouvelles.

La Cour des comptes met en avant un élément important, le caractère non biaisé des prévisions. Malgré l'incertitude, les écarts de prévision sont en moyenne depuis dix ans, nuls. Nous pouvons nous tromper une année donnée – malheureusement cela arrive – mais il n'y a pas de vision systématique, optimiste ou pessimiste, qui serait démentie par l'exécution.

Il faut également noter que l'incertitude n'est pas constante dans le temps. Elle est particulièrement importante dans les phases de retournement de la conjoncture. Elle s'accroît également dans les phases prolongées de stagnation de l'activité. C'est ce qui s'est produit en 2013 : nous n'étions pas dans un retournement majeur comme en 2009 mais deux années cumulées – 2012 et 2013 – de croissance nulle ont eu des effets très importants sur les finances publiques.

En 2013, l'écart s'élève à 14,6 milliards d'euros entre les prévisions de recettes fiscales votées – 298,6 milliards – et l'exécution – 284 milliards. Cette erreur importante pose question et appelle des explications.

Nous considérons que l'écart est avant tout dû au contexte macroéconomique. La situation n'est pas propre à la France. Nous avons observé depuis l'été 2012 et surtout à partir de janvier 2013 une dégradation des perspectives économiques de la zone euro qui a un temps menacé l'avenir même de la zone. Cette évolution a trompé tous les instituts de prévision, les organisations internationales et les instituts de conjoncture, privés ou publics.

La dégradation a été en partie intégrée dans la prévision relative à la loi de finances pour 2013. Entre le programme de stabilité présenté en avril 2012 et le projet de loi de finances déposé en octobre 2012, la prévision de croissance a été révisée de près d'un point, passant de 1,75 à 0,8.

Nous avons commencé en janvier 2013 à comprendre que la récession de la zone euro allait se prolonger. Nous avons donc été amenés à revoir la prévision de croissance du programme de stabilité en diminuant substantiellement la prévision de recettes fiscales – de 8 milliards d'euros –, ce qui est assez inédit dans l'histoire des prévisions économiques, de surcroît, dans un tel laps de temps.

En 2013, l'effet prix a joué de manière importante. L'inflation a été considérablement révisée à la baisse. Conjuguée au ralentissement de la croissance, la baisse des prix a occasionné une perte de recettes fiscales pour l'État.

La détérioration par rapport aux prévisions est perceptible pour les trois grands impôts : la moins-value a été de 5 milliards d'euros pour l'impôt sur le revenu, de plus de 6 milliards pour l'impôt sur les sociétés et près de 5 milliards pour la TVA. Elle s'est opérée selon des canaux et des tempi différents.

Pour la TVA, le choc a été immédiat. Les effets ont été connus dès la fin de l'année – les encaissements étaient moindres qu'escompté. La moins-value a pu être intégrée dans le programme de stabilité. Au terme de ces deux années, c'est plutôt réconfortant pour les prévisionnistes que nous sommes, nous n'observons pas de désalignement massif de nos modèles. La surprise sur la TVA a d'abord une explication macroéconomique.

Pour l'impôt sur les sociétés, l'impact macroéconomique s'est fait sentir via la détermination du bénéfice fiscal des sociétés. Alors que le dernier acompte de 2012 était bon, les recettes n'étaient pas au rendez-vous du solde d'avril. La composition même du bénéfice fiscal a occasionné une moins-value dès le début de l'année, qui a été incorporée dans le programme de stabilité. D'autres révisions sont intervenues parce que nous avons eu connaissance en juin du deuxième acompte, qui montrait un bénéfice des sociétés en baisse par rapport aux prévisions économiques. Cette information a été prise en compte dans la loi de finances.

Quant à l'impôt sur le revenu, l'écart constaté est probablement celui qui mérite le plus d'être interprété car il est non standard par rapport aux ordres de grandeur de nos prévisions.

La conjoncture a également pesé : la dégradation des revenus de 2012, les revenus taxés des indépendants, constitue une part de l'explication. Mais la moitié de l'explication réside dans d'autres facteurs liés à la mécanique de l'impôt et à son calendrier de recouvrement. Le taux de recouvrement a été bon fin 2012 mais il a subi une correction en 2013.

Les deux tiers de la moins-value de 5 milliards ont été intégrés dans le projet de loi de finances ; la prévision a ensuite été révisée au moment du dépôt du projet de loi de finances rectificative de fin d'année.

Le souci d'amélioration des prévisions est constant au ministère des Finances. Nous essayons de tirer les leçons des écarts constatés et de nos erreurs. Nous cherchons sans cesse à perfectionner nos modèles. Il faut dire que notre travail n'a pas forcément été facilité au cours des dernières années par le vote de nombreuses mesures nouvelles. Les modèles de prévision ont peut-être perdu en stabilité. Il importe que les prévisions soient les plus détaillées possible et que des exercices de « post mortem » soient réalisés sur les prévisions relatives aux grands impôts. Pour la TVA 2012, vous disposez d'éléments d'explication sur la moins-value observée.

Enfin, le rôle du Haut Conseil des finances publiques me paraît important, voire systémique. Depuis son installation il y a un an, les échanges sont constants et de qualité. Le Haut Conseil effectue un travail approfondi d'examen des prévisions de recettes fiscales. Il intervient en amont, avant que la prévision ne soit publique, ce qui est très nouveau. Pour 2014, le Haut Conseil avait validé la prévision de croissance du Gouvernement. Il avait incité à la prudence sur l'élasticité des recettes. Le Gouvernement en a tenu compte puisqu'il a retenu dans le programme de stabilité une hypothèse un peu plus prudente passant de 1 à 0,9. C'est dans le dialogue avec le Haut Conseil que se forge le consensus et que le principe de prudence trouve à s'appliquer.

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