Intervention de Jean-Louis Bricout

Réunion du 21 mai 2014 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Bricout, rapporteur pour avis :

Alors que le projet de loi d'habilitation dont notre commission s'est saisie pour avis semble ne concerner qu'une partie de nos concitoyens, rappelons que la question de l'accessibilité se pose à tous. Nul n'est malheureusement à l'abri d'un accident et, chacun d'entre nous devra, un jour, s'accommoder du vieillissement.

Notre démographie rend à la fois indispensable et inéluctable l'adaptation de nos infrastructures. Indispensable, d'abord, parce que 825 000 naissances par an en France font de l'accessibilité une modalité de l'accompagnement des familles. Inéluctable, ensuite, parce que se dessine une évolution démographique qui se confirmera dans les années à venir : les personnes âgées de soixante ans et plus, dont le nombre est estimé à 15 millions aujourd'hui, seront 20 millions d'ici à 2030, et 24 millions en 2060.

Cette adaptation est aussi souhaitable car elle peut constituer un réel avantage économique dans des secteurs concurrentiels pour lesquels, compte tenu de la sensibilisation accrue de nos concitoyens aux problématiques d'accessibilité, les conditions d'accès à un lieu public peuvent devenir un critère de choix des consommateurs.

Nous sommes bien au coeur des problématiques de développement durable, puisqu'il s'agit tout à la fois de concevoir des réponses sur le temps long, mais aussi d'adapter des infrastructures à même de répondre à l'exigence de mobilité de tous nos concitoyens quel que soient leur âge, leur situation personnelle ou familiale. Je fais donc pleinement mienne la position de Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion, pour qui « l'accessibilité n'est pas une charge mais un investissement d'avenir ».

La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées avait pour ambition l'accessibilité généralisée à tous les domaines de la vie sociale pour nos concitoyens en situation de handicap. Elle impose en particulier que les établissements publics et privés recevant du public soient accessibles à tous avant le 1er janvier 2015, les transports collectifs devant l'être à partir du 13 février 2015. Son apport est majeur en ce qu'elle a modifié notablement la façon d'appréhender la notion d'accessibilité, et qu'elle a enclenché, partout sur notre territoire, des dynamiques positives et des progrès tangibles.

Cela est particulièrement vrai en matière de transport. La possibilité de se déplacer, particulièrement structurante, conditionne la vie sociale et professionnelle. Elle permet aux individus concernés d'exister non seulement en tant que personnes en situation de handicap mais aussi en tant que citoyens. La mise en accessibilité des transports est d'autant plus importante que l'offre alternative est quasi-inexistante. Quand elle existe, elle est très chère, surtout pour les bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) qui reste aujourd'hui encore sous le seuil de pauvreté. Lorsque les délais de travaux sont longs, il est également important de garantir la continuité des déplacements via le développement de l'intermodalité, qui comporte aujourd'hui une dimension numérique. Il est ainsi indispensable de développer des outils d'information, comme des applications pour smartphones, qui détailleront les possibilités de parcours alternatifs. La SNCF a commencé à travailler sur de tels projets.

Malheureusement, on peut aussi parler d'un relatif échec de la loi de 2005 puisque son objectif ne sera pas atteint. S'il est profondément regrettable, ce constat ne constitue pas vraiment une surprise. Il était prévisible, en particulier en l'absence d'un volet de suivi dans la mise en oeuvre des objectifs, qui aurait sans doute permis de prendre plus rapidement la mesure de l'impact de l'allongement du délai de parution des textes d'application bien au-delà des six mois fixés par le législateur, d'une mauvaise appréciation des délais nécessaires à la réalisation de l'ensemble des travaux, de l'absence d'estimation du coût de ces derniers, et de la complexité, parfois de l'incompatibilité des règles à respecter, ainsi que du manque d'harmonisation des pratiques des commissions consultatives départementales de sécurité et d'accessibilité (CCDSA).

Ce constat d'échec a été dressé au milieu de l'année 2012. Nul ne peut ni ne doit s'en satisfaire. La longue concertation lancée le 25 septembre 2013 par le Premier ministre à partir des quarante propositions du rapport « Réussir 2015 » de Mme la sénatrice Claire-Lise Campion, unanimement saluée par l'ensemble des acteurs, s'est achevée en février 2014. Elle trouve aujourd'hui un premier aboutissement dans le présent projet de loi d'habilitation.

Ce projet de loi, comportant quatre articles, s'organise autour de deux propositions phares du rapport précité : d'une part, la création des agendas d'accessibilité programmée (Ad'AP), d'autre part, l'adaptation et la clarification des normes en matière de mise en accessibilité.

L'Ad'AP, de même que le SDAAd'AP, son équivalent pour les transports, constitue l'apport principal du texte. Ce nouvel outil conjugue engagement personnel du signataire, accompagnement par les pouvoirs publics et transparence. Il permet une programmation encadrée des travaux et des actions que la mise en accessibilité exige, sans revenir ni sur cette exigence ni sur le symbole fort que représente, aux yeux des personnes en situation de handicap et des associations qui les représentent, l'échéance de 2015. Les acteurs publics et privés qui ne sont pas en conformité pourront s'engager sur un calendrier précis et resserré de travaux d'accessibilité adaptés à leur situation.

Le 1° de l'article 1er sollicite, en conséquence, une habilitation pour mettre en place, à destination des propriétaires et exploitants d'établissements recevant du public (ERP) et d'installations ouvertes au public (IOP), ce nouvel outil qu'est l'agenda d'accessibilité programmée. Il a pour objet de leur permettre de mettre en accessibilité leur patrimoine dans une démarche volontaire pluriannuelle et programmée, selon un calendrier pouvant aller au-delà de la date butoir du 1er janvier 2015.

Cet outil complétera la loi du 11 février 2005 sans s'y substituer : en l'absence d'engagement dans une démarche d'Ad'AP, l'obligation d'accessibilité s'appliquera au 1er janvier 2015 et son non-respect sera passible des sanctions pénales et administratives prévues. L'engagement dans la démarche d'Ad'AP sera irréversible et assorti de garanties ; il sera encadré tant dans le temps et dans son avancement que dans son contenu.

La demande d'habilitation prévue au 3° de l'article 2 concerne la mise en place, pour les services publics de voyageurs, du dispositif similaire du schéma directeur d'accessibilitéagenda d'accessibilité programmée (SDAAd'AP) évoqué plus haut. Les durées retenues par la concertation sont de trois ans pour les transports urbains – déjà engagés dans le processus –, six ans pour les transports interurbains et neuf ans pour les transports ferroviaires. Ces SDAAd'AP préciseront en particulier leur articulation avec les schémas d'accessibilité déjà adoptés par les autorités organisatrices de transports (AOT) ainsi que les modalités des engagements respectifs des AOT et des autorités responsables des infrastructures.

Dans un cas comme dans l'autre, le non-respect des engagements volontairement souscrits entraînera l'application de sanctions administratives et financières graduées, dont le produit abondera un fonds dédié au service du financement de l'accessibilité universelle. Ses modalités de fonctionnement restent toutefois incertaines, voire contradictoires, les crédits dégagés n'étant pas disponibles avant un long délai. Un dispositif d'amorçage, par le recours à des avances remboursables aurait pu être envisagé. Son objet sera donc plus d'aider la recherche de solutions innovantes plutôt que de distribuer des subventions de mise en accessibilité, et des discussions pour la mise en place de prêts bonifiés sont en cours avec d'autres acteurs.

Je souhaite souligner que, compte tenu des délais envisagés, une grande partie de la réussite du démarrage des Ad'AP dépendra de la simplicité des formalités de constitution et de la rapidité d'examen du dossier. L'efficacité de la mise en oeuvre par le signataire de l'Ad'AP et du suivi par l'autorité administrative sera, quant à elle, fonction de la qualité et de la précision de la programmation. Dans les deux cas, les commissions consultatives départementales de sécurité et d'accessibilité (CCDSA) constitueront un maillon essentiel de la chaîne. Selon sa difficulté, le dossier, déposé en préfecture, sera examiné directement par le préfet pour les cas simples ou par ces commissions pour les cas plus compliqués. Mme la secrétaire d'État s'est clairement engagée sur la simplicité de la procédure. Compte tenu de l'afflux attendu de dossiers, il est indispensable de renforcer les personnels dans les CCDSA, à la fois en nombre et qualité de formation – une action en ce sens est en cours depuis plusieurs mois.

Ce contrôle administratif est accompagné d'une volonté de transparence accrue. L'accessibilité est aussi une question de citoyenneté, et le meilleur contrôle qui puisse être effectué est celui des citoyens eux-mêmes. Saluons, à cet égard, le travail remarquable de recensement effectué par l'association Jaccede, alors que nous disposons de très peu d'éléments statistiques sur le nombre d'ERP à mettre en accessibilité – 2 millions selon les services du ministère, 650 000 selon les services de sécurité et d'incendie. Le projet de loi d'habilitation affiche également une réelle volonté de renforcement du contrôle et de la sensibilisation des citoyens. Ainsi, la composition des commissions communales ou intercommunales pour l'accessibilité aux personnes handicapées sera élargie à des représentants tant du secteur économique que des personnes âgées.

Ce texte fournit enfin l'occasion de pérenniser le modèle de concertation mis en place entre octobre 2013 et février 2014, pour s'assurer d'un suivi attentif et d'un portage politique fort. Il lui a été reproché l'absence de sanctions fortes ; or ces sanctions existent, ce sont celles de la loi de 2005, même si elles n'ont pas prouvé leur efficacité ; c'est bien la raison d'être du texte que nous examinons ce matin. Les objectifs de la loi de 2005 avaient sans doute parus à ce point inatteignables et si peu raisonnables que les acteurs n'ont pas cru à l'application de ces sanctions.

L'adaptation et la clarification des règles de mise en accessibilité identifiées par la concertation comme obsolètes ou inadéquates pour atteindre le résultat escompté en matière de construction, de transports et de voirie, constituent la seconde orientation majeure portée par le projet de loi d'habilitation.

C'est là aussi le résultat de la concertation inédite entre tous les acteurs qui a duré plus de quatre mois, et cela facilitera les progrès de l'accessibilité sur le terrain. La concertation a permis de dégager un consensus sur la nécessité de mieux prendre en compte les capacités et les difficultés financières, les problèmes d'architecture ou la proportionnalité des travaux à engager avec les objectifs poursuivis, tant il est vrai que les problématiques diffèrent suivant la nature de l'ouvrage à mettre en accessibilité.

Le projet de loi habilite ainsi le Gouvernement à procéder par ordonnance par exemple pour l'évolution des règles applicables aux travaux modificatifs demandés par l'acquéreur d'un logement vendu en l'état futur d'achèvement (VEFA), de privilégier la « visitabilité » du logement, ou les modalités de gestion des places de parking adaptées, afin de garantir un accès minimal des personnes auxquelles elles sont destinées initialement. D'autres dérogations seront portées par des décrets, par exemple celle concernant l'obligation pour les commerces de garantir leur accès par une rampe qui pourra désormais être amovible.

Afin d'assurer la mise en accessibilité dans les transports collectifs, la loi du 11 février 2005 prévoyait une obligation de méthode mais aussi de résultat ainsi qu'une obligation de moyens particulière : celle de l'accessibilité de tout matériel roulant acquis pour renouveler ou étendre le parc. En la matière, je suis favorable à une approche pragmatique : lorsqu'une mise en accessibilité se heurte à des difficultés d'importance, il faut favoriser la qualité d'usage et l'accès au service, de façon raisonnable, concertée et contrôlée.

Ainsi, l'article 2 sollicite une habilitation pour modifier les exigences d'accessibilité pour les points d'arrêts des transports urbains et non urbains et les gares, selon qu'elles revêtent ou non un caractère prioritaire.

En matière de voirie, l'article 3 tient compte de la réalité : seules 8 % des communes de moins de 200 habitants ont adopté leur plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics (PAVE). Pour surmonter les difficultés, nos collègues sénateurs ont souhaité, en première lecture, adapter l'exigence d'adoption d'un PAVE à la taille de la commune : d'une part, en le rendant facultatif pour les communes de moins de 500 habitants ; d'autre part, en le limitant aux voies les plus fréquentées pour les communes de 500 à 1 000 habitants.

Le transfert à l'échelon intercommunal aurait pu constituer une solution alternative, préférable, à mes yeux, à une non-élaboration, dans la mesure où il importe de préserver et de réfléchir à la construction d'une chaîne de déplacements accessibles cohérente et complète à l'échelle d'un territoire donné. Cette suggestion pourrait être reprise dans le cadre des discussions à venir autour du second volet des lois de décentralisation et de la redéfinition des compétences de l'ensemble des collectivités.

Les communes les plus petites et les communes rurales de nos territoires doivent également faire face à des difficultés de fonctionnement des commissions pour l'accessibilité des personnes handicapées (CAPH). Pour mieux prendre en compte la dynamique de la loi de 2005, elles doivent évoluer en accueillant, à côté des élus, des professionnels et des représentants du monde associatif plus à même d'animer ces instances et d'assurer un relais avec le terrain.

Avant de conclure, je ne peux que noter le caractère toujours insatisfaisant du recours à la procédure des ordonnances, dont le principe est de faire adopter par les parlementaires eux-mêmes le dessaisissement, fût-il temporaire, de leur compétence de législateur. Toutefois, il m'apparaît pleinement légitime de conférer une sécurité juridique aux travaux de mise en accessibilité qui pourraient se poursuivre au-delà des échéances de janvier et février 2015, et de mettre en place de façon accélérée un dispositif très technique qui a été longuement concerté, afin que ni 2014 ni 2015 ne soient des années blanches. Les très lourdes sanctions prévues restant applicables dès 2015, il est urgent d'enclencher une nouvelle dynamique dans la lignée de la réforme de 2005.

Mes chers collègues, je vous invite à donner un avis favorable à ce projet de loi d'habilitation. Mes interrogations ayant reçu des réponses suffisantes du Gouvernement, je vous présenterai des amendements de nature purement rédactionnelle.

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