Intervention de Jacques Audibert

Réunion du 7 mai 2014 à 16h00
Commission des affaires étrangères

Jacques Audibert, directeur général des affaires politiques et de la sécurité du ministère des Affaires étrangères :

Tout simplement parce qu'ils ne sont pas soumis à la juridiction de la CJUE ! Du reste, il faut avoir à l'esprit que le commerce entre l'Union européenne et la Russie est onze fois plus important qu'entre les Etats-Unis et la Russie. La France n'acceptera des sanctions commerciales qu'à la condition que le fardeau soit équitablement réparti entre les différents acteurs : il est hors de question que nous acceptions un régime de sanctions où nous aurions à porter l'essentiel de la charge.

Nous sommes certes satisfaits que les Américains s'impliquent comme ils le font, mais nous leur faisons savoir que c'est sans naïveté et avec réalisme que nous abordons la question des sanctions. Nous avons un principe clair : les sanctions doivent être les plus lourdes possible pour ceux qu'elles visent mais les plus légères possible pour nos entreprises, que je tiens régulièrement informées de l'avancée des négociations. Au niveau européen, ce principe peut certes compliquer la décision, mais un compromis n'est acceptable que s'il prend en compte les intérêts nationaux.

En ce qui concerne l'actualité immédiate, vous avez évoqué la dépêche de l'AFP sur le report du référendum demandé par Poutine. Nous sommes également dans l'attente de l'élection présidentielle du 25 mai, tandis que, sur le terrain, nous assistons à une dégradation de la situation plus modérée que ne le laissent entendre les médias.

L'OSCE devra se prononcer sur la question, mais nous estimons que les mouvements insurrectionnels circonscrits à quelques villes ne devraient pas empêcher le scrutin de se dérouler : sur les 123 comités électoraux consultés, seuls 17 ont pour l'instant émis des réserves sur leur capacité à l'organiser. Contrairement à ce que prétend M. Lavrov, la situation n'a rien à voir avec ce qui se passe en Syrie.

Si la tension est encore vive, comme en témoigne le récent massacre d'Odessa, nous estimons, comme les Américains, que les Russes semblent marquer une pause. Selon nos observateurs militaires, au-delà de la posture, l'entrée des troupes russes en Ukraine n'est pas le scénario le plus probable.

Tout ceci semble confirmé par le fait que, comme il en avait averti M. Burkhalter, le président suisse de l'OSCE, M. Poutine vient d'annoncer publiquement qu'il avait demandé aux entités séparatistes de ne pas organiser de référendum dimanche prochain. Si la nouvelle se confirmait, il s'agirait du premier geste d'apaisement de la part de la Russie. Cela étant, les services des renseignements occidentaux estiment que les Russes, qui n'ont pas hésité à instrumentaliser les forces paramilitaires et séparatistes n'ont sur elles qu'un pouvoir de contrôle limité.

Dans ce qui s'annonce donc comme une phase de transition, la France souhaite maintenir le dialogue avec la Russie, que nous considérons comme un acteur majeur de la sécurité en Europe. Nous ne pécherons cependant pas par naïveté et, comme nos partenaires, nous entendons lui faire payer au prix fort toute tentative d'ingérence en Ukraine.

Le FMI vient de déclarer la Russie en récession. Les sorties de capitaux sont évaluées entre 60 et 80 milliards d'euros depuis le début de l'année, soit bien plus que sur l'ensemble de l'année dernière ; les chiffres du tourisme s'écroulent. La pression économique sur le pays est donc relativement forte. Elle peut encore se renforcer mais nous veillerons à ce que cela ne se fasse pas au détriment de nos intérêts. En ce sens, nous défendons une position équilibrée. La France n'hésitera pas à user de l'arme diplomatique des sanctions, mais en préservant au mieux ses intérêts économiques.

Enfin, nous continuons de travailler avec les Russes sur un autre dossier-clé, l'Iran, à propos duquel, nous ont-ils assuré, les événements en Ukraine ne changeraient rien à leur position de fond. Reste à savoir ce qu'il en sera sur la Syrie, alors que nous nous apprêtons à solliciter devant le Conseil de sécurité la saisine de la Cour pénale internationale. Nous saurons dans les jours qui viennent si la Russie choisit, de façon isolée, d'y mettre son veto.

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