Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 20 mai 2014 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du développement international :

Plusieurs d'entre vous s'interrogent à juste titre sur l'action que peut avoir la France au Mali après les événements qui se sont déroulés samedi. Vous connaissez les faits : le Premier ministre malien a souhaité se rendre à Kidal, mais cette visite a déclenché de très graves incidents. Alors que la population de Kidal manifestait contre sa présence, l'armée malienne et le MNLA se sont violemment affrontés. Le MNLA a pris d'assaut le gouvernorat ; quatre sous-préfets et deux préfets ont été tués, et une trentaine de fonctionnaires et de militaires maliens pris en otages – qui ont été libérés hier soir grâce aux efforts conjugués de la MINUSMA, du Comité international de la Croix-Rouge, nous-mêmes ayant fait ce que nous devions. Plusieurs civils et militaires ont aussi été tués. Il n'est pas clairement déterminé si l'initiative du déclenchement des affrontements revient aux chefs du MNLA ou à de jeunes combattants de ce groupe.

Quoi qu'il en soit, on ne peut que condamner vigoureusement ces violences et demander que le MNLA restitue le bâtiment du gouvernorat qu'il a investi. Un cessez-le-feu a été obtenu mais même si notre ambassadeur perçoit l'amorce d'une décrue, la tension sur place demeure et de nouveaux affrontements, dont on ne sait quelle serait l'issue, peuvent se produire entre l'armée malienne, qui a envoyé des renforts à Kidal, et le MNLA.

Sur le plan général, la situation au Mali présente des aspects contradictoires. On avait constaté quelques signaux encourageants : alors que l'un des éléments déclencheurs du conflit inter-malien a été l'absence de dialogue entre le Nord et le Sud depuis des années, le président Ibrahim Boubacar Keita avait nommé un Haut Représentant pour le dialogue inclusif inter-malien, le ministre de la réconciliation nationale avait préparé une feuille de route pour préparer les discussions prévues pour septembre et des contacts avec certains groupes armés avaient été noués par le truchement de pays voisins. Voilà pour le côté positif.

Mais les événements qui se sont déroulés à Kidal font courir le risque d'une radicalisation, au Nord comme au Sud. Comment aider à en sortir ? J'ai demandé à notre ambassadeur d'organiser une réunion du « groupe des amis », qui rassemble les représentants au Mali de l'Organisation des Nations Unies, de l'Union africaine, de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), de l'Union européenne, de la France et des États-Unis, afin de contribuer à calmer le jeu. D'autre part, l'état-major de Serval a dépêché 30 soldats supplémentaires à Kidal pour assurer notre propre protection. Nous aidons la Minusma ; nous poursuivons notre combat contre les groupes terroristes, dans lequel nous avons obtenu des résultats significatifs. D'autre part, nous avons différé la réorganisation régionale de notre dispositif militaire, non que nous comptions le modifier mais parce qu'il nous a paru inopportun d'en rester au calendrier de redéploiement initialement prévu alors que des affrontements avaient lieu. Ce report ne remet pas en cause notre décision de maintenir au Mali 1 000 hommes affectés au contre-terrorisme.

En résumé, on ne peut admettre ce qui s'est passé à Kidal ; dans le même temps, il faut, pour éviter l'embrasement, susciter un dialogue qui ne se crée pas spontanément entre le pouvoir et certains groupes, et ne pas nous laisser entraîner là où ne nous voulons pas aller.

La cause immédiate de la réunion du Sommet de Paris pour la sécurité au Nigeria a été l'épouvantable enlèvement de dizaines de lycéennes dans la zone où la famille Moulin-Fournier avait été prise en otage. Une fois localisé le lieu de rétention des jeunes filles, que faire ?

Des contacts ont eu lieu entre le président de la République et le président Goodluck Jonathan. Étant donné les raisons qui ont poussé à l'organiser, nous ne nous félicitons certes pas que ce Sommet ait dû avoir lieu, mais il n'est pas indifférent que se soient rassemblés à Paris, pour traiter du fort peu francophone Nigeria, les chefs d'État du Bénin, du Cameroun, de la France, du Niger, du Nigeria et du Tchad, ainsi que des représentants des gouvernements américain et britannique et M. Herman Van Rompuy, président du Conseil européen.

Nous avons traité du sort des jeunes filles enlevées et des pistes envisageables pour tenter de les faire libérer. Il a été longuement question de Boko Haram, groupe à l'extrême dangerosité, malheureusement très bien équipé. L'un des risques qui guettent, c'est la formation d'une coalition entre plusieurs groupes armés, aussi différents soient-ils.

Le Sommet a décidé d'intensifier la coopération entre les États de la région pour lutter contre Boko Haram. Sur une base bilatérale, cela se traduira par la formation de patrouilles coordonnées entre le Nigéria et les pays voisins ; le partage du renseignement et l'échange d'informations sur les trafics d'armes ; le renforcement des mesures de sécurisation des stocks des armées ; l'établissement de mécanismes de surveillance des frontières.

Sur une base multilatérale, une cellule de fusion du renseignement sera créée. Une équipe spécialisée sera instituée, chargée de définir les moyens à mettre en oeuvre pour élaborer une stratégie régionale de lutte contre le terrorisme, dans le cadre de la Commission du bassin du lac Tchad.

Au niveau international, les participants se sont engagés à accélérer la mise en oeuvre de sanctions à l'encontre de Boko Haram et d'Ansaru, en ajoutant ces groupes à la liste des organisations considérées comme terroristes par les Nations Unies, et à entreprendre des actions en matière de développement. Il a également été beaucoup question de la Libye, véritable hub du terrorisme.

Le sommet a été positif. Outre que nous disposons de quelques éléments au sujet des jeunes filles enlevées, les décisions prises permettent de renforcer la coordination de la lutte contre Boko Haram, groupe terroriste également soupçonné d'être l'auteur d'une attaque, samedi dernier, contre une usine à capitaux chinois située au Nord du Cameroun ; cela dit sa détermination.

En Ukraine, où un vote décisif est imminent, les vents soufflent alternativement froids et tièdes. Côté froid, on observe qu'à l'Est du pays et singulièrement à Donetsk, certains s'organisent pour que l'élection n'ait pas lieu, non sans un début de conflit entre pro-Russes eux-mêmes, les appétits de pouvoir s'aiguisant ; visiblement, on ne pourra voter partout totalement. Je pense que l'on peut s'abstenir de commenter au jour le jour les déclarations contradictoires des Russes : ainsi M. Poutine annonce-t-il que les troupes russes massées à la frontière avec l'Ukraine ont été priées de rentrer dans leurs casernes sans que rien ne permette encore de confirmer de tels mouvements – qui pourraient cependant s'amorcer ; de même, les autorités russes déclarent que la tenue d'un scrutin ne serait pas une mauvaise chose, avant d'expliquer que voter avant que tous les problèmes aient été résolus conduira à une dégradation de la situation…

L'aspect positif, ce sont d'abord les tables rondes de l'unité nationale organisées avec des opposants par le Premier ministre Arseni Iatseniouk, sous l'égide des anciens présidents Léonid Kravtchouk et Léonid Koutchma. Les Russes eux-mêmes ont reconnu que la deuxième de ces réunions, qui a eu lieu à Kharkiv, a été positive. On y discute des sujets qui seront décisifs après les élections : fédéralisme, autonomie, décentralisation ; place, légitime, accordée à la langue russe, un sujet sur lequel des progrès ont été accomplis ; neutralité éventuelle de l'Ukraine après l'élection présidentielle ; décélération du conflit et désarmement.

Autre élément important : la prise de position de l'oligarque Rinat Akhmetov, qui a appelé ses 300 000 ouvriers à manifester en faveur de la tenue de l'élection présidentielle et pour qu'elle se déroule de manière civilisée. Il est intéressant de constater que cet entrepreneur connu pour être proche des Russes a pris fait et cause pour l'organisation du scrutin dimanche.

Par ailleurs, les sanctions internationales demeurent, et tout le monde est à peu près d'accord pour envisager un échelon supplémentaire si des pressions étaient exercées de l'extérieur pour entraver la tenue de l'élection présidentielle en Ukraine dimanche prochain ou pour empêcher que le scrutin se déroule convenablement.

Il est peu probable que l'élection présidentielle en Ukraine se déroule sans anicroche d'aucune sorte. On peut néanmoins envisager deux hypothèses. La première est que les choses se passent correctement. Certes, tout le monde ne pourra pas voter – on peut estimer qu'un million de personnes environ, sur quelque 30 millions d'électeurs, éprouveront des difficultés. Pour autant, nemo auditur propriam turpitudinem allegans : on ne peut tenter de paralyser un système pour expliquer ensuite qu'il est sans valeur ! Il faut donc éviter de placer la barre trop haut.

L'autre hypothèse, c'est que les choses se passent mal en raison d'affrontements nombreux. L'Union européenne et la France ont intérêt à ce que l'élection présidentielle en Ukraine se déroule bien. Nous voulons la désescalade des tensions ; la poursuite du dialogue engagé par le Premier ministre ; des élections, comme le souhaitent tous les démocrates en pareil cas ; une modification de la Constitution ukrainienne permettant que chacun se sente à l'aise dans le pays. Notre position n'a pas varié : la géographie est celle que l'on sait, l'Ukraine est en Europe et elle n'a pas à choisir entre l'Union européenne ou la Russie ; il faut essayer de parvenir, sans naïveté, de faire qu'elle ait des relations avec les deux.

Si les résultats du scrutin du 25 mai rendaient nécessaire un second tour, il aurait lieu le 15 juin ; mieux vaudrait cependant qu'un président soit élu au premier tour, sa légitimité en serait plus forte. Quoi qu'il en soit, la période qui s'écoulerait entre les deux tours pourrait donner lieu à bien des mouvements, particulièrement de la part de la Russie. Au cours de ces quelques semaines une réunion du G7 aura lieu les 4 et 5 juin à Bruxelles ; le 5 juin, M. Poutine viendra en France, où il est, comme M. Obama, invité à assister, le 6 juin, aux cérémonies commémorant le Débarquement. Tout cela peut être positif… ou explosif.

Même si nous le faisons avec discrétion, nous entretenons évidemment un dialogue avec les autorités russes. Je discute avec mon homologue, Sergueï Lavrov, et des discussions ont lieu avec M. Poutine comme avec M. Obama, Mme Merkel et d'autres personnalités. Prétendre ne s'adresser qu'à des interlocuteurs avec lesquels on est en parfait accord serait se livrer à un exercice de haute spiritualité, le silence des carmélites… Nous espérons que les esprits se calmeront, mais d'autres peuvent souhaiter que la tension persiste.

J'en viens au partenariat transatlantique de commerce et d'investissement. La discussion commence ; elle présente un intérêt et comporte des risques. L'intérêt, c'est de favoriser l'accès aux marchés publics, actuellement ouverts à la concurrence internationale à hauteur de 100 % en Europe et de 47 % seulement aux États-Unis. Si l'on parvient à accroître cette proportion, ce sera très bien pour l'Union européenne. La discussion présente aussi un intérêt pour certains de nos produits agricoles. Et, d'une manière générale, tout ce qui peut développer le commerce est une bonne chose.

Mais parce que cette négociation présente aussi des risques, nous avons dit nos exigences. Ainsi avons-nous demandé le maintien de l'exception culturelle ; sera-ce respecté ? Je l'espère. Nous avons aussi fait valoir l'indispensable respect de nos préférences collectives en matière de santé ou de protection des consommateurs, ce qui revient à dire : « Pas question de poulets chlorés si nous n'en voulons pas ». Enfin, nous avons insisté sur l'ouverture des marchés publics.

La secrétaire d'État au commerce extérieur, a répondu tout à l'heure, en séance publique, à une question relative à la transparence des négociations.

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