Ce projet de loi a été présenté parce que nous croyons en l'avenir du réseau ferré national et parce que le système actuel, issu de la réforme de 1997, se trouve à bout de souffle. Il enregistre en moyenne, chaque année, 1,4 milliard d'euros de pertes.
Le législateur de 1997 avait le choix entre le modèle intégré allemand et le système britannique reposant sur un gestionnaire d'infrastructure indépendant. Il a retenu une troisième voie en créant un gestionnaire d'infrastructure, RFF, et un gestionnaire délégué, SNCF Infra : la tête et les bras, en quelque sorte ! RFF a été conçu presque exclusivement pour porter une dette importante. En face des passifs, il était nécessaire de placer des actifs, c'est-à-dire la propriété du réseau, car l'État n'a pas fait le choix de reprendre la dette comme en Allemagne. Cette division entre un gestionnaire d'infrastructure et un gestionnaire d'infrastructure délégué s'est cependant rapidement révélée contreproductive, RFF demandant à la SNCF des efforts de compétitivité jamais vraiment définis et la SNCF se plaignant en retour d'augmentations incessantes des péages qui menacent sa rentabilité à moyen terme. Ce conflit a été nourri par des difficultés opérationnelles, un donneur d'ordre qui ne se trouve jamais en relation avec le client final et des mouvements sociaux dus à ce que les agents n'ont aucune visibilité à long terme.
Cette situation n'est pas nouvelle et le constat ne l'est pas davantage. À la suite des débats sur la loi du 8 décembre 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires – dite loi ORTF – et des assises du ferroviaire en 2012, il est apparu urgent de mettre fin aux dysfonctionnements et de rétablir l'équilibre financier. L'enjeu est aussi simple qu'ambitieux : sauvegarder, en le réformant, notre modèle ferroviaire afin d'éviter sa disparition comme cela a pu se produire dans de nombreux pays européens. Le présent projet de loi vise donc à pérenniser notre système ferroviaire en mettant fin à la dérive financière.
Pour atteindre cet objectif, il unifie le gestionnaire d'infrastructure, qui regroupera les actuels RFF, SNCF Infra et la direction des circulations ferroviaires au sein de SNCF Réseau. Cependant les services de l'opérateur seront quant à eux regroupés au sein de SNCF Mobilités, et ces deux entités entreront dans un groupe unifié, le groupe SNCF. Cette réforme permettra d'injecter 1,5 milliard d'euros dans le système. En effet, 500 millions d'euros annuels sont attendus des synergies et des économies d'échelle découlant de la réunification ; 500 autres millions d'euros abonderont les recettes de SNCF Infra : alors qu'aujourd'hui la SNCF reverse en moyenne 350 millions d'euros à l'État sous forme de dividendes, dans la nouvelle organisation, cette somme remontera à l'établissement public à caractère industriel et commercial – EPIC – de tête – la SNCF – qui la reversera à SNCF Réseau. À ces 350 millions d'euros s'ajouteront 150 millions liés à l'intégration fiscale. C'est donc un effort financier de 500 millions d'euros que l'État consentira en faveur du système ferroviaire. Enfin, SNCF Réseau et SNCF Mobilités attendent 500 millions de gains de productivité d'ici à 2020, ce qui permettra de combler la totalité du déficit d'un milliard et demi d'euros.
Le présent projet vise également à mettre en cohérence la répartition des biens avec les missions dévolues aux trois nouveaux EPIC.
Si RFF est aujourd'hui propriétaire de ses biens et maître de sa procédure de déclassement, tel n'est pas le cas de l'actuelle SNCF, qui n'est qu'affectataire des biens du domaine public ferroviaire dont l'État est propriétaire. Le projet de loi ne procède pas à une harmonisation de ces régimes, mais à une nouvelle répartition des actifs qui relève davantage de l'ajustement que d'un véritable partage. Il précise également la gestion domaniale de l'EPIC de tête.
Il est ainsi prévu de transférer les biens, droits et obligations attachés aux missions de gestion de l'infrastructure de SNCF Mobilités vers SNCF Réseau, tout comme seront transférés à la SNCF ceux de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités qui sont nécessaires à l'accomplissement de ses missions.
Le transfert à SNCF Réseau des biens confiés à l'actuelle SNCF pour assurer les transports ferroviaires effectués pour les besoins de défense est également prévu, même s'il serait étonnant qu'il intervienne à titre gratuit.
Le projet de loi traite également la question de la gestion domaniale des biens de l'EPIC de tête, en donnant à cet établissement public la possibilité de céder ses biens immobiliers à l'État ou à des collectivités territoriales « pour des motifs d'utilité publique, moyennant le versement d'une indemnité égale à la valeur de reconstitution », et selon des modalités fixées par voie réglementaire.
Ce projet de loi comporte cependant trois limites. Il repose tout d'abord sur un pari, selon lequel les gains de productivité atteindraient 500 millions d'euros, sans autre précision sur leur nature ; il s'appuie ensuite sur un raisonnement à réseau constant alors que nous savons que des investissements sont ou seront réalisés – notamment pour les quatre lignes à grande vitesse lancées sous la précédente législature et pour la ligne Lyon-Turin puisque, à ma connaissance, ce projet n'a toujours pas été abandonné ; enfin, il ne prend pas en compte la spécificité de l'actuelle SNCF, qui est seulement affectataire de ses biens. Pour améliorer le texte, je proposerai donc une série d'amendements que je déposerai ultérieurement.
Concernant le volet domanial, je souhaite « nettoyer » le texte en revenant sur le transfert à SNCF Réseau des biens de SNCF Mobilités, qui n'en est pas propriétaire, et je préciserai que la cession des biens nécessaires aux besoins de défense se fera à titre onéreux.
Un autre amendement aura pour objet d'harmoniser les procédures de déclassement entre SNCF Mobilités et le futur SNCF Réseau. Il conviendrait d'autoriser la première de ces entités à utiliser la même procédure que la seconde – l'État ne déclasserait plus les biens du domaine public ferroviaire mais en resterait propriétaire –, tout en introduisant un contrôle nécessaire pour prévenir tout risque de pratiques discriminatoires entre entreprises ferroviaires. Ainsi, il faudrait prévoir les conditions dans lesquelles le régulateur, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires – ARAF –, pourra rendre un avis préalable au déclassement de biens susceptibles d'avoir une utilité ferroviaire et rendre fiables les délais des diverses consultations nécessaires, afin que le groupe ferroviaire dispose d'un calendrier ferme pour ces opérations. Tout cela permettrait de garantir une gestion efficace du patrimoine immobilier et foncier des trois EPIC.
S'agissant du volet financier, la règle d'or instaurée en 1997 n'a pas empêché la croissance de la dette de RFF, du fait d'un schéma immuable : on envisage l'ouverture d'une ligne nouvelle, on en surestime les prévisions de trafic et donc de péages, et RFF se trouve conduit à accepter des investissements supérieurs à ce qui permettrait un amortissement complet. Afin d'éviter cela, je proposerai que tout nouvel investissement de développement soit totalement et exclusivement supporté par les collectivités publiques qui l'ont réclamé ; ainsi sera-t-il possible de raisonner à réseau constant.
L'aggravation de la dette de RFF découle également de l'action de l'État. En effet, le gestionnaire d'infrastructure s'est, en de nombreuses occasions, retrouvé la victime collatérale de la régulation budgétaire de fin d'année. À mesure que RFF augmentait ses péages, l'État diminuait ses subventions, tant et si bien que l'équilibre n'a jamais été atteint. Je proposerai donc que le contrat entre SNCF Réseau et l'État prévoie une couverture du coût complet et que l'ARAF se prononce sur ce contrat. Il s'agira d'un verrou supplémentaire contre la facilité dont tous les gouvernements ont usé : convertir une dette maastrichtienne de l'État en dette non maastrichtienne du système ferroviaire.
Enfin, il faut traiter le stock de dette, qui finira à terme par être requalifié en dette publique si rien n'est fait ; je suggère donc la création d'une caisse d'amortissement qui pourrait porter tout ou partie de la dette et qui bénéficierait d'un financement pérenne comme c'est déjà le cas de la Caisse d'amortissement pour la dette sociale – CADES. Un tel amendement se heurterait à l'article 40 de la Constitution, mais le Gouvernement ne semble pas fermé à une telle disposition, qui présenterait l'avantage de faire baisser les charges financières supportées par le gestionnaire d'infrastructure unifié – charges qui s'élèvent à 1,3 milliard d'euros par an – et constituerait une partie de la solution pour réduire la perte annuelle de 1,4 milliard d'euros.
Cette caisse d'amortissement pour la dette ferroviaire – CADEF – pourrait notamment être alimentée par l'éco-redevance acquittée par les poids lourds, proposée par notre collègue Jean-Paul Chanteguet, même si nous n'allons pas entrer dans ce débat maintenant.
Le système ferroviaire, exsangue, se trouve à une période charnière. Des millions d'usagers subissent chaque jour les effets de ces difficultés financières, des entreprises voient leur productivité et leur compétitivité faiblir et des cheminots doutent de leur avenir et se démotivent. Ce projet est donc le bienvenu, car il représente une étape indispensable à la résolution du problème, même s'il n'épuise pas le sujet.