Intervention de Arnaud Montebourg

Réunion du 20 mai 2014 à 17h00
Commission des affaires économiques

Arnaud Montebourg, ministre de l'Économie, du redressement productif et du numérique :

Monsieur Abad, sans le décret que vous qualifiez de « coup d'épée dans l'eau », le Gouvernement ne serait pas consulté sur le devenir des centres de décision et des emplois, à propos desquels les députés de l'UMP ont exprimé leur préoccupation. Les décisions seraient prises et imposées à la nation par un conseil d'administrateurs, sans instance de recours. Or j'ai observé que, depuis que le décret est pris, chacun s'efforce de trouver un compromis avec les demandes exprimées publiquement dans la lettre que j'ai adressée à M. Immelt.

Quant à l'usage que je ferai de ce décret, il sera tempéré et efficace. Tempéré, car il s'agit d'éviter les excès et de servir l'intérêt national, en évitant par ailleurs d'en faire une interprétation abusive : il n'est pas fait pour bloquer, mais pour négocier au mieux les intérêts de notre nation. C'est ainsi qu'en usent tous les États qui disposent d'armes de ce type. Efficace, car c'est le résultat qui comptera – vous me donnerez rendez-vous à cet égard, et vous aurez raison, car c'est ainsi que l'on juge un gouvernement.

Il est vrai qu'il importe de capitaliser nos entreprises. Alors que nous disposons d'une extraordinaire épargne nationale, avec 1 300 milliards d'euros placés dans l'assurance-vie, laquelle jouit de surcroît d'une bonification fiscale, nous n'avons encore jamais décidé d'augmenter, comme nous le pourrions et comme le fait le Japon, le degré de contrainte pesant sur les compagnies d'assurances pour les inciter à investir davantage dans les grandes entreprises de notre pays. Nous avons nos fonds de pension à la française, mais nous ne les utilisons pas. Nous poserons la question aux assurances et aux fonds de retraite mutualistes, car nous avons besoin que ces centaines de milliards s'investissent dans nos entreprises plutôt que dans des obligations souveraines à l'étranger. Des décisions ont déjà été prises en ce sens pour les PME par mon prédécesseur, Pierre Moscovici. J'ai discuté hier avec les banquiers de la manière dont ils peuvent améliorer le financement des PME et TPE, et il nous faut de même discuter avec les grandes entreprises et les grands fonds d'assurance, afin que nous soyons nous-mêmes les investisseurs de notre propre épargne.

Au-delà du problème de la branche nucléaire, l'offre de GE soulève celui de la branche transports. Au sein de l'alliance Fer de France, RFF, la SNCF et la RATP – mais pas Alstom, qui ne s'est pas prononcé – ont exprimé à l'unisson leurs inquiétudes quant à la solitude dont souffrirait la branche transports, qui n'intéresse pas GE. Face au géant Siemens, à la puissance chinoise et aux autres acteurs mondiaux, M. Kron a déclaré qu'il voulait, avec les fonds qu'il tirerait de la vente de 75 % des actifs d'Alstom, renforcer les 25 % restants. En réalité, il va d'abord désendetter l'entreprise puis, et surtout, verser un superdividende à ses actionnaires, qui le lui réclament – et dont vous pourrez lui demander tout à l'heure le montant, car il ne m'a pas répondu sur ce point.

Que pourra-t-il faire de cet argent ? Passer des alliances ? Mais avec quels alliés ? Bombardier n'est pas disponible et les autres acteurs de ce marché sont de petites entreprises. Reste la confrontation européenne avec la puissance de Siemens, à côté de laquelle Alstom sera bien petit.

C'est la raison pour laquelle j'ai demandé au président de GE que soit vendue à Alstom, en contrepartie, l'activité ferroviaire de GE, qui produit des locomotives de trains de marchandises sur le continent américain et de la signalisation, pour un chiffre d'affaires de 3,9 milliards d'euros, ce qui assurerait à Alstom un renforcement mondial et une taille critique. Aujourd'hui, nous n'avons pas de contre-proposition en ce sens de la part de GE – pas plus que nous n'avons de réponse satisfaisante sur l'autre point qui préoccupe le Gouvernement.

Siemens, quant à lui, a fait une offre engageante, sous réserve de vérification, dont je vous ai lu certains éléments la dernière fois que j'ai été entendu par votre commission. Depuis, Siemens approfondit cette proposition et nous n'avons pas de nouvelle offre précisée à partir des due diligences accomplies au niveau des états-majors des deux entreprises concernées. Comme je vous l'ai indiqué, une lettre est partie ce matin. Lorsque nous aurons une nouvelle offre de la part de Siemens ou de GE, nous pourrons en discuter à nouveau. La proposition actuelle de Siemens consiste, je le rappelle, en l'acquisition du bloc énergie, avec une solution française pour certains compartiments de cette offre et la préservation des intérêts du nucléaire – car Siemens a construit des turbines de centrales nucléaires, y compris pour Areva, et continue d'en assurer la maintenance.

Quant à savoir, monsieur Laurent, si ces dispositions sont trop ou trop peu favorables à l'Allemagne ou à la France, je vous répondrai lorsque je disposerai de tous les éléments pour le faire. En effet, le travail engagé entre les différentes équipes, dont les miennes, et Siemens est destiné à traiter les questions qui sont sur la table et que j'ai évoquées avec les syndicats, comme les éventuelles surcapacités en Europe, la compétition entre sites industriels ou la taille acquise qui nous permettrait de gagner des parts de marché avec une branche transports qui sortirait renforcée de l'opération, car Siemens a proposé d'apporter la totalité de son activité ferroviaire en contrepartie de l'acquisition de la totalité de la branche énergie d'Alstom. Cette solution est celle d'un double leadership : une entreprise avec des actifs franco-allemands et une direction allemande dans le domaine de l'énergie, et une entreprise avec des actifs franco-allemands et une direction française dans le domaine des transports – c'est peut-être là la naissance du fameux « Airbus de l'énergie ».

À ce jour, toutefois, je le répète, la proposition de Siemens n'est pas aboutie et je ne puis la commenter ni devant vous ni devant le Président de la République. Lorsque cette proposition sera disponible, améliorée par le travail itératif des équipes d'Alstom, du Gouvernement et de Siemens, peut-être pourrons-nous en savoir davantage et nous prononcer.

Madame Batho, les énergies renouvelables sont un des points d'investissement du gouvernement français. Siemens est très présent dans ce domaine, notamment dans l'éolien, où il détient 69 % des parts du marché européen. Quant aux réseaux, Alstom et Siemens représentent ensemble 100 % du marché européen, ce qui suppose une limitation de nature concurrentielle. Ce sont là des questions dont nous discuterons dans le cadre d'une offre.

General Electric n'a pas ce type d'activités. Dans l'hydraulique, domaine où Alstom est leader mondial avec 25 % de parts de marché, on peut considérer que General Electric est tout à fait intéressé, ce qui ne serait pas forcément le cas de Siemens.

À l'heure actuelle, nous ne disposons que de conjectures et attendons que la proposition de Siemens soit finalisée pour pouvoir prendre position et répondre aux interrogations légitimes des organisations syndicales, de l'opinion publique, des parlementaires et de l'ensemble de l'exécutif.

Monsieur Taugourdeau, le Grenelle de l'environnement, qui fait partie des points auxquels nous réfléchissons dans le cadre du processus de simplification, n'est pas pour rien dans l'augmentation des couches que vous dénoncez. Alors député de l'opposition, j'ai été de ceux qui ont voté ce texte : on peut partager des erreurs – mais on peut aussi être assez intelligent collectivement pour les corriger sans nous accuser sans cesse mutuellement. Évitons l'esprit polémique, surtout sur des dossiers d'intérêt national.

Les satellites font l'objet d'un traitement différencié, comme l'ensemble des compartiments d'activité d'Alstom. Ce domaine n'est pas un sujet d'inquiétude – ni du reste un sujet de grand intérêt pour les différentes parties.

Les télécoms, madame Erhel, relèvent d'une vision stratégique, car nous avons besoin d'acteurs forts dans ce domaine – c'est d'ailleurs, monsieur le président, l'esprit de votre question sur la consolidation. Le Gouvernement est favorable à un retour à trois opérateurs, afin de faire cesser la destruction de valeur, la chute des prix, la destruction d'emplois et une certaine incapacité à investir sur l'avenir. À défaut d'opérateurs susceptibles de financer, aux côtés des pouvoirs publics, des investissements de 20 milliards d'euros pour installer le très haut débit dans toute la France, il faudra lever 20 milliards d'euros d'impôts pour assurer la compétitivité du territoire national dans la révolution numérique, ce qui ne semble pas souhaitable. Nous avons donc besoin d'opérateurs de télécoms forts, capables de gagner de l'argent et de le réinvestir sur le territoire dans les nouvelles technologies.

Nous avons donc besoin de technologie et d'approvisionnement technologique. C'est pourquoi je suis attentif aux questions technologiques dans les plans industriels comme dans les processus protecteurs ou défensifs.

Pour la première fois – après la lettre que Mathias Döpfner, président d'Axel Springer, a adressée à Eric Schmidt, patron de Google –, le gouvernement allemand et le gouvernement français, dans une lettre commune que je mettrai à votre disposition, demandent à la Commission européenne de prendre des mesures de régulation strictes à l'égard de Google. C'est là un point important, car nous considérons que notre souveraineté numérique est atteinte et nous devons donc prendre, au niveau européen, des mesures à la hauteur des plates-formes de l'internet mondial.

Nous n'avons pas vocation, en effet, à être une colonie numérique des géants de l'internet mondial et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous défendons l'existence en Europe d'acteurs forts de la téléphonie. Les opérateurs sont en effet au nombre de 120 pour 400 millions de clients potentiels en Europe, contre quatre au maximum – en fait trois, et même deux et demi – pour 300 millions de clients aux États-Unis, et deux ou deux et demi pour 800 millions de clients en Chine. Chez nous, en effet, l'idéologie de la concurrence se traduit par l'émiettement, la balkanisation et la scissiparité. Ainsi, tout le monde est faible, personne ne gagne d'argent et, les opérateurs téléphoniques étant incapables d'investir, nous sommes soumis aux investissements des autres. Notre choix est donc un choix de souveraineté européenne.

Monsieur Laurent, lorsque j'affirme ma préférence pour Alstom, cela signifie que je souhaite que sorte de cette opération un Alstom renforcé. Toutes les propositions ne sont pas sur la table et il est encore un peu tôt pour nous prononcer. La solution nationale a déjà été mise en oeuvre pendant dix ans et, Alstom étant aujourd'hui la proie d'intérêts importants, nous ne nous interdisons rien et étudions toutes les possibilités.

Monsieur Benoit, vous m'avez interrogé sur le financement à long terme et l'orientation de l'Europe. La Confédération européenne des syndicats, qui réunit quatre-vingts organisations syndicales, a demandé à la Commission européenne et aux États membres de soutenir la proposition visant à relancer l'économie de l'Union européenne par la mobilisation de 2 % du PIB européen. Nous prenons cette proposition très au sérieux car, si la dette et les politiques de désendettement sont dans les États, la dette n'est absolument pas présente sur le plan européen et les outils de financement européen rendent parfaitement possible de créer à ce niveau les conditions de la relance économique.

Nous avons donc activé les ressources de la Banque européenne d'investissement et, lors de la présentation de ma feuille de route de ministre de l'économie, dans les prochaines semaines, j'évoquerai plusieurs projets ambitieux menés sur fonds privés et sur fonds européens. L'un de ces projets est le plan fibre et très haut débit, engagé avec les collectivités locales pour un montant de 20 milliards d'euros et qui concerne les trois zones, en vue de lutter contre la fracture numérique. Il y en aura d'autres, car il faut relancer l'investissement.

Nous nous efforçons de travailler avec les institutions européennes sur ces deux volets, afin de tempérer la multiplication des plans d'austérité dans toute l'Europe.

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