Intervention de Carlos Tavares

Réunion du 21 mai 2014 à 9h30
Commission des affaires économiques

Carlos Tavares, président du directoire de PSA Peugeot Citroën :

Vesoul est le coeur de notre service d'expédition et a vocation à le rester. Il n'y a aucun péril pour ce site pour autant qu'il s'engage, comme le reste du groupe, dans une dynamique de réduction des coûts et d'amélioration de la qualité.

L'une d'entre vous m'a interrogé sur les baisses de prix imposées aux fournisseurs. Telle n'est pas la réalité. En revanche, madame la députée, ce qui s'impose à nous comme à nos fournisseurs, ce sont les prix de vente de nos concurrents. Lorsqu'ils vendent des véhicules de qualité à un prix attractif, l'alternative est simple : soit nous nous excluons du marché soit nous nous alignons. Lorsque nous nous alignons pour ne pas sortir du marché, sans quoi il faudrait que l'entreprise soit trois fois plus petite, nous ne pouvons faire autrement que de répercuter un certain nombre de contraintes sur l'ensemble de la chaîne de valeur, y compris sur nos fournisseurs. Si nous acceptions d'un côté la loi du marché pour le prix de vente des automobiles et ne pouvions pas de l'autre côté répercuter une partie de l'effort sur nos partenaires, c'est PSA qui disparaîtrait, et toute la chaîne de valeur avec ! Lorsque le marché nous impose à la fois de réduire nos prix et d'améliorer notre qualité, nous prenons notre part de l'effort. C'est ce que nous faisons avec le redressement économique de l'entreprise, dont Dieu sait s'il a été douloureux. Mais nous devons aussi faire supporter une part de cet effort par la filière, de façon qu'elle soit elle aussi compétitive. La seule façon pour un fournisseur sur le territoire national de démontrer que par la qualité de ses produits, l'excellence de sa technologie et le niveau de ses prix, il est compétitif, c'est de réaliser au moins 30 % à 40 % de son chiffre d'affaires avec des clients autres que les deux constructeurs nationaux. Des fournisseurs qui ne travailleraient qu'avec les constructeurs nationaux se mettraient en situation très délicate : cela ne serait certainement pas bon pour eux sur le plan stratégique et en tout cas, cela ne leur permettrait pas d'apprécier leur niveau réel de performance. Les baisses de prix demandées sont le déploiement sur la chaîne de valeur de la baisse des prix de vente des véhicules. Il y a quelques années, il n'existait pas de véhicules à 8 000 euros. Aujourd'hui, il y en a !

Cela étant, nous avons créé au sein de la direction des achats de PSA un service dédié au soutien et à l'accompagnement de nos fournisseurs. Nous sommes tout à fait prêts à les aider à améliorer leur performance s'ils en ont vraiment la volonté. Un groupe d'experts ne travaille qu'à cela. Dans une industrie aussi ouverte que l'industrie automobile, tout fournisseur qui ne chercherait pas à s'améliorer se mettrait lui-même en difficulté.

La meilleure façon pour nous de faire preuve de patriotisme économique dans les trois à cinq prochaines années est de redresser PSA, de façon que le groupe ne devienne pas un problème pour la France, qu'il puisse renforcer encore sa R&D et tirer vers le progrès et la croissance rentable l'ensemble de ses fournisseurs qui peuvent eux aussi investir à l'international.

S'agissant de DS, quand nous introduirons cette marque Premium dans des pays où nous ne sommes pas fortement présents, nous créerons un réseau dédié. Sur le marché européen en revanche, les concessionnaires pourront créer un salon DS au sein de leur concession, avec une mise en valeur spécifique – nous leur proposons à cet effet un kit à prix intéressant –, jusqu'à ce qu'ils aient suffisamment confiance et aient les moyens d'investir dans une concession exclusivement dédiée à la marque. Mais ce sont eux qui en décideront, pas nous. C'est la stratégie adoptée par Toyota avec Lexus, par Nissan avec Infinity et par Volkswagen avec Audi. Tous les constructeurs qui ont créé une gamme Premium ont commencé par mettre en place des salons dédiés – ce qu'on appelle en anglais des corners – à la marque Premium au sein des concessions de la marque généraliste. En Chine, nous avons créé d'emblée un réseau DS indépendant puisque nous avons un partenaire qui se consacre exclusivement au développement de cette marque sur le territoire chinois.

L'un d'entre vous a rappelé, à juste titre, que nous avons encore une image extrêmement forte sur le continent africain. Parmi les six grandes divisions régionales que nous allons prochainement mettre en place, il y en aura bien une AfriqueMoyen-Orient. Un membre du comité exécutif sera spécifiquement chargé de renforcer notre présence dans ces régions du monde. Je partage le point de vue exprimé : nous avons l'opportunité de reconquérir une grande partie du marché africain, notamment avec Peugeot.

Vous m'avez interrogé sur la qualité. Nous avons décidé il y a deux semaines de remonter la barre de nos objectifs de qualité. En effet, beaucoup de progrès ont été réalisés et il ne faudrait pas que des objectifs moins ambitieux conduisent à une forme de stagnation dans l'amélioration de la qualité. Ce serait une erreur car, les autres continuant pendant ce temps de progresser, nous perdrions en position relative. Il y a quelques semaines, nous avons donc rendu plus sévères les critères pour les produits – livraison, durabilité, aspect et finition des véhicules… – mais aussi pour le service, devenu un élément important de différenciation. Ainsi voulons-nous nous redonner une perspective suffisante de progrès afin de gagner des places dans les classements vis-à-vis des autres constructeurs.

Une question m'a été posée sur l'euro cher. Sur ce sujet, ma position est simple et se fonde sur les faits : lorsque l'euro se déprécie, nos résultats s'améliorent. Un euro faible est donc un facteur d'accélération de notre redressement.

Vous m'avez interrogé sur notre stratégie en Amérique du Nord. Il faut savoir que l'Amérique du Nord et la Chine représentent à elles deux les deux tiers du profit de l'industrie automobile mondiale. Autant dire qu'être absent de l'un de ces deux territoires, c'est se priver de la possibilité de participer à un tiers du profit mondial de notre industrie. La question de l'Amérique du Nord se posera pour nous dans le cadre du plan 2019-2023. J'espère que nous aurons alors achevé notre redressement et que nous pourrons décider de nous y développer.

Comment en définitive mesure-t-on la performance d'un site ? Excellente question ! Il faut que le coût de la valeur ajoutée créée sur le site soit compétitif par rapport à d'autres sites. Fabriquer une automobile, c'est s'approvisionner en pièces, les frapper et les souder, peindre des caisses, assembler le tout, effectuer des tests qualité et certifier la qualité du produit final. Nous savons exactement, voiture par voiture, modèle par modèle, usine par usine quelle est la valeur ajoutée créée. Nous pouvons la rapporter au nombre d'heures nécessaire à la fabrication d'une voiture. Nous l'analysons sous l'angle de critères économiques et non économiques pour faire la part des choses entre l'efficience industrielle de l'usine et le coût du travail. Il faut que le coût de cette valeur ajoutée soit compétitif par rapport aux autres usines du groupe et par rapport à ce que nous savons de celles de nos concurrents.

Le deuxième critère c'est le « bon direct », c'est-à-dire le taux de voitures qui arrivent en bout de ligne sans aucun problème de qualité à corriger. Toute retouche qualité représente non seulement un coût supplémentaire mais présente aussi le risque de créer un nouveau problème en cherchant à en régler un autre. Le « bon direct » est la mesure de la rigueur, de l'efficience et de la qualité du management d'une usine.

Le troisième critère est bien évidemment la qualité des produits provenant d'une usine donnée, telle que mesurée, non pas par nos techniciens mais par nos clients. La qualité des produits d'une usine est un facteur de différenciation très important.

Le dernier critère, économique également, réside dans la qualité des flux, la qualité de la logistique interne et la compacité. Aujourd'hui, nombre de nos usines datent d'il y a trente ou cinquante ans. Elles ont été construites à une époque où on valorisait ce qui était « gros », alors qu'aujourd'hui, ce qui est « gros » se révèle un handicap sur le plan de la consommation d'énergie, de la maintenance, de la gestion, de la protection du site, du coût de la logistique interne. La modernité en matière d'efficacité industrielle automobile, ce sont des sites très compacts, comportant une seule ligne, proche de l'approvisionnement, et où très peu de retouches qualité sont nécessaires. Une usine performante aujourd'hui, et ce sera encore plus vrai à l'avenir, est une usine compacte, monoflux, avec une plate-forme comportant plusieurs dérivés. C'est pourquoi, face à nos concurrents, nous devons moderniser notre appareil industriel.

Vous m'avez interrogé sur les deux roues et les trois roues. Il se trouve que je visitais hier Peugeot Scooter à Mandeure. Cette activité présente un intérêt stratégique. Les deux et trois roues offrent en effet en zone urbaine une solution de mobilité intéressante, une alternative à la voiture. Nous avons lancé il y a peu un excellent trois roues, Metropolis. Ces outils hyper-sophistiqués, désormais équipés d'un démarrage mains libres, d'un ABS… se sont grandement développés grâce à une importation intelligente de la technologie automobile et ont beaucoup progressé à son contact. Hélas, nous perdons aujourd'hui de l'argent sur ce secteur. C'est la raison de mon déplacement hier à Mandeure, pour aider les équipes à retrouver le chemin de la rentabilité. Nous vendons environ 60 000 véhicules par an. Nous pourrions en vendre davantage. Nous réalisons encore des pertes parce que notre système industriel et logistique non plus que la façon dont nous valorisons et distribuons ces véhicules ne sont pas optimaux. Il est possible de redresser Peugeot Scooter, et il y a un intérêt stratégique à le faire. Il semblerait qu'il n'y ait pas eu de visite de président du directoire à Mandeure depuis de nombreuses années. Je m'y suis donc rendu aussi pour encourager les équipes sur la voie du développement.

Une question m'a été posée, avec un brin de nostalgie que je partage, sur la présence de Peugeot aux 24 heures du Mans. Je m'attends à ce que la compétition qui y a lieu entre Japonais et Allemands conduise à une inflation considérable des coûts. PSA n'a pas les moyens d'y participer mais je reste très attentif au moment où le constat de cette inflation des coûts ayant été fait et cette bulle ayant éclaté, on reviendra à une réglementation plus acceptable. J'espère qu'à ce moment-là, nous aurons retrouvé la santé et serons en situation de pouvoir participer de nouveau à cette compétition.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur les véhicules électriques. Il y a deux ans, lors de mon audition alors que je travaillais pour un autre constructeur, vous ne souteniez pas autant le véhicule électrique. Je prends acte de votre enthousiasme aujourd'hui. Des véhicules électriques, nous en avons, nous les développions avec un partenaire japonais. Nous allons devoir définir une stratégie pour continuer à en proposer aux clients. Celle-ci n'est pas encore arrêtée. Elle le sera dans les douze prochains mois. La question se posera de savoir si nous les développons seuls ou en partenariat, et où ils seront fabriqués. Nous avons retiré de nombreuses leçons de cette expérience, notamment sur ce qui se passe quand le yen devient très fort. Le véhicule électrique n'est pas spontanément ce qui est proposé au sein de l'entreprise, qui est plus câblée hybride. Mais il n'y a pas de doute que nous devrons continuer d'offrir des véhicules électriques à nos clients. Nous allons voir comment utiliser nos ressources propres de R&D.

Il m'a été demandé à ce sujet si nous ne risquions pas de nous retrouver avec trop d'ingénieurs et de techniciens. Soyez rassurés, vu tous les projets que nous avons sur les quatre roues motrices, les crossover, le plug in hybride-essence, le véhicule électrique – que nous ne développons pas nous-mêmes –, je ne doute pas d'utiliser pleinement nos ressources d'ingénierie. Mais, comme à tous les autres métiers de l'entreprise, comme aux fabricants, comme aux logisticiens, comme aux commerciaux, je dois demander aussi à nos équipes de R&D un effort substantiel de productivité. C'est collectivement que nous avons un problème de rendement dans l'entreprise qui a conduit au résultat que nous connaissons. Elles devront faire un effort comme tous les autres métiers mais seront pleinement utilisées pour développer les nouvelles technologies.

J'en viens au sujet des stocks. Mon expérience préalable chez d'autres constructeurs nous a permis d'avancer rapidement. J'ai en effet immédiatement identifié une différence marquée entre notre niveau de stocks et celui de nos concurrents. Nous avons de suite traité le problème et des progrès ont rapidement été enregistrés. Nous cherchons à protéger ce que nous appelons dans notre jargon le taux de service, c'est-à-dire la capacité à apporter la bonne pièce au bon endroit dans un délai très court. Je demanderai sur ce point à nos concessionnaires de faire des progrès. Il ne faut pas qu'un taux de service excessif, source de coûts importants en amont, serve à rattraper un manque de rigueur de nos partenaires. Pourquoi par exemple avoir à livrer des pièces deux fois par jour alors qu'une programmation du plan de charge de l'atelier d'un jour sur l'autre peut suffire à se satisfaire d'une livraison journalière ? Il faut trouver le juste équilibre entre le bon taux de service, le bon niveau de stocks et le bon niveau de recours à l'emprunt, emprunter restant assez cher pour nous. Lors de mes visites, je pose systématiquement la question de savoir si des véhicules sont immobilisés faute de pièces. La situation n'est pas mauvaise, mais il y a matière à optimiser.

La technologie Hybrid Air est en passe de sortir du stade de la recherche et de l'avant-projet. Nous aurons à décider le mois prochain si le projet est assez mature et performant pour entrer dans la phase d'application. L'évaluation est en cours. Nous saurons alors si l'Hybrid Air est une technologie susceptible de déstabiliser nos concurrents, dans la mesure où elle permet de réduire fortement les émissions de CO2 pour un coût moindre.

S'agissant de l'hydrogène, je pense qu'on est encore loin d'une application généralisée. Le coût des infrastructures est en effet très lourd. Je ne crois pas que les sociétés qui nous entourent soient en mesure de financer cela avant vingt ou trente ans, en tout cas pas dix ans ! Cela n'en est pas moins une bonne technologie.

Pourquoi les clients européens continuent-ils à valoriser autant les voitures allemandes ? Peut-être parce que nous ne valorisons pas assez les voitures françaises. Je vous rappelle et vous invite à le faire savoir largement autour de vous que, tel qu'il résulte de l'évaluation de quarante experts indépendants, la Peugeot 308 a été jugée la voiture la plus performante de sa catégorie, toutes nationalités confondues, et que nous avons battu tous nos concurrents allemands, y compris sur des véhicules Premium qui concouraient. La dimension mentale est importante. Beaucoup de nos concitoyens n'osent pas encore dire qu'ils sont ravis d'avoir une Peugeot et qu'elle est meilleure que bien d'autres modèles d'autres marques !

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