Intervention de Patrick Kron

Réunion du 20 mai 2014 à 19h00
Commission des affaires économiques

Patrick Kron, président-directeur général d'Alstom :

Le souci de confidentialité que j'ai évoqué n'a rien à voir avec de la défiance. Il est de règle, juridique et de bon sens, que ce genre de projet soit entouré de confidentialité. Je réfute l'accusation selon laquelle nous aurions voulu agir dans le dos des pouvoirs publics. Il se trouve que le 23 avril, la dépêche de Bloomberg est sortie seulement quelques heures après le moment où j'ai pris conscience que les éléments d'un accord existaient. J'avais l'intention de procéder à toutes les concertations nécessaires et d'apporter toutes les réponses entre le 23 avril et le 6 mai, date à laquelle notre conseil d'administration devait se réunir pour valider les comptes de l'entreprise. Au lieu de cela, j'ai été pris de court par l'emballement médiatique, d'autant plus déchaîné qu'on ne savait pas, et pour cause, de quoi précisément on parlait. On avait l'impression que nous cherchions à vendre un fleuron de notre industrie nationale derrière le dos de tout le monde, ce qui ne me paraît absolument pas refléter la réalité.

Cette confidentialité n'est pas une question de confiance ou d'absence de confiance, monsieur le député : c'est tout simplement une condition de travail normale. Il était légitime que M. Montebourg s'étonne que je ne l'aie pas informé de ce projet avec General Electric, mais je n'avais pas, à ce stade, l'idée que le projet en question avait une chance significative de prospérer. Il est vrai que j'avais dîné avec M. Immelt, le président de General Electric, mais j'avais également pris un petit-déjeuner avec M. Kaeser, le PDG de Siemens, comme j'ai pris beaucoup de déjeuners, de petit-déjeuner et de dîners avec beaucoup de mes homologues : ce n'est pas parce qu'on évoque des perspectives que celles-ci se transforment automatiquement en projets !

Alliance, cession, adossement, peu importe le terme employé : il s'agit en l'occurrence d'intégrer les activités d'Alstom Énergie au sein d'un groupe qui a les moyens, notamment financiers, d'assurer un avenir à cette branche et à ses salariés.

Il est vrai que nous avons reçu aujourd'hui une indication d'intérêt de Siemens. Nous avons en conséquence permis à Siemens d'accéder, dans les mêmes conditions que nous l'avons fait pour General Electric, à l'ensemble des éléments d'information nécessaires pour qu'ils puissent décider s'ils sont prêts à transformer cette indication d'intérêt en une offre ferme. Dans ce cas, le conseil d'administration, comme il en a l'obligation, examinera la pertinence de cette offre par rapport à celle de General Electric. Il ne s'agit pas simplement de prendre en compte l'intérêt des actionnaires : il faut considérer l'ensemble de l'opération, notamment son volet financier, peser les risques d'exécution, dans le respect de l'intérêt de l'ensemble des parties prenantes, des salariés au premier chef, et mesurer les conséquences pour d'autres, notamment pour l'État français qui est de toute évidence une partie prenante de ce dossier.

Le fait que le ministère de l'économie ait commandé à un cabinet de conseil une étude sur les perspectives stratégiques d'Alstom prouve bien que des questions se posaient quant à l'avenir de ce groupe et que je n'étais pas le seul à craindre un problème à moyen ou long terme. À ce propos, je ne suis pas déchiré entre le court, le moyen et le long terme. Ma préoccupation c'est de garantir un avenir sur le long terme aux activités et aux salariés du groupe. Il n'y a certes pas le feu à la maison Alstom : la situation ne va pas se dégrader demain matin. Mais on ne peut pas à la fois accuser un chef d'entreprise de laisser son entreprise aller dans le mur et lui reprocher d'anticiper. Je préfère que l'on me critique pour avoir choisi la deuxième option.

Il se trouve que l'existence de cette étude a été révélée par une fuite – encore une ! Le jour même de cette fuite, notre cours de bourse a baissé de 10 %, ce qui est déjà en soi assez désagréable. Surtout, nous avons été submergés de messages de nos clients alarmés qui voulaient savoir si nous avions un problème, si nous étions dans une situation difficile, nous demandant si dans ce cas c'était une bonne idée de répondre à l'offre de General Electric. Vous voyez, mesdames, messieurs les députés, non seulement l'intérêt de la confidentialité dans notre métier, mais surtout la nécessité que la période pleine d'incertitudes que nous vivons actuellement ne dure pas. Sinon, c'est l'entreprise et ses salariés qui en subiront les conséquences. Croyez-moi, aujourd'hui il faut se battre pour arracher des commandes. J'assume ma responsabilité : c'est moi qui ai mis cette offre sur la table. Mais il faut désormais laisser le processus se dérouler dans des conditions sereines et transparentes.

La question de la destination des 12 milliards d'euros est un problème nouveau pour Alstom : j'avais plutôt l'habitude de chercher comment maîtriser sa dette et éviter de voir sa note dégrader par les agences de rating. Cela dit, on s'habitue assez vite à ce genre de problème.

Nous comptons avant tout rembourser toute la dette qui pourra l'être. Ensuite, nous allons doter Alstom Transport d'un bilan qui lui donne les moyens de ses ambitions. Le solde reviendra aux actionnaires, sous forme de dividendes ou sous une autre forme. Si l'opération se fait, les actionnaires d'Alstom seront payés en cash et ils auront une participation dans Alstom Transport. Il est donc de l'intérêt de tous qu'Alstom Transport ait les moyens d'opter pour une stratégie de développement qui crée de la valeur pour tous.

Oui, nous dialoguons avec l'État, d'autant que, comme le ministre l'a rappelé, l'activité transport d'Alstom compte beaucoup d'institutions publiques parmi ses clients, en France comme dans les soixante pays du monde dans lesquels il est présent. Il n'est donc pas surprenant que nous soyons en relation très étroite avec les acheteurs publics et les États.

Je vous répète que mon obsession a toujours été d'assurer la pérennité de ces activités et de l'emploi. Mon premier objectif a évidemment été de chercher les moyens d'une croissance interne. Mais quand vous voyez les dangers pour l'entreprise d'une démarche autonome, peut-être pas dans l'immédiat mais à moyen ou long terme, comment refuser une opportunité, même extérieure, de lui donner des moyens solides d'assurer l'avenir, l'emploi, d'investir dans la recherche et développement et d'accompagner la croissance partout dans le monde ? Aujourd'hui, il faut aller chercher la croissance au-delà d'un marché européen sinistré, sur des terrains où nous jouons visiteurs, quand nos concurrents asiatiques jouent à domicile. C'est ça mon obsession, plus que la nationalité de tel ou tel partenaire. Ce que je veux c'est consolider l'avenir.

Cela vaut pour le site d'Alstom Transport à Tarbes. Si ce projet aboutit, Alstom Transport aura les moyens d'une stratégie plus ambitieuse, plus volontariste, grâce à un bilan plus solide qui lui permettra de se développer, à la fois par croissance interne et via des acquisitions au fil des opportunités. Je répète qu'Alstom Transport est une entreprise dynamique, en bonne santé et qui a les moyens de son avenir.

Ce n'est pas l'ensemble du processus qui a été torpillé par cette fuite ; c'est seulement la phase de consultation, mais celle-ci est fondamentale. C'est cela qui a provoqué la situation que vous connaissez.

Je ne suis pas du tout déchiré entre le court, le moyen et le long terme : ce qui m'intéresse c'est l'avenir.

En ce qui concerne « l'Airbus de l'énergie », je me méfie des formules. Alstom est un groupe international, comme l'est General Electric. Ce dernier a annoncé qu'il avait prévu d'installer en France son centre mondial de fabrication de turbines à vapeur et qu'il comptait conforter son centre européen et moyen-oriental dans le domaine du gaz. Il a pris des engagements quant au maintien en France des centres de décision. Il s'est engagé à augmenter le nombre d'emplois en France, notamment en régions, dans les secteurs de l'ingénierie et de la production. Les engagements sont là. Encore une fois, le fond m'intéresse plus que la nationalité. Regardez ce que font nos homologues allemands. Siemens, par exemple, vient d'annoncer qu'il comptait transférer en Floride le quartier général de sa branche énergie. Dans ce domaine, il faut se méfier de toute conception trop sommaire et considérer la situation de manière un peu plus fine.

Je vous promets que les quatre ans de commandes existent, monsieur Alauzet, voire un peu plus depuis la signature d'un contrat de 4 milliards avec l'opérateur sud-africain. Vous me permettrez de revenir vers vous après avoir vérifié ce qu'il en est des inquiétudes qui existeraient chez les salariés du site d'Ornans.

Il est vrai que des discussions sont en cours avec Areva à propos d'une éventuelle reprise du secteur éolien. Je n'y suis pas a priori opposé s'il s'avère qu'elle répond aux préoccupations de l'ensemble des parties prenantes. Il faut éviter cependant que ce qui est un projet industriel ne se transforme en vente à la découpe. Je ne pense pas que cela serait de l'intérêt des activités en cause.

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