Intervention de Patrick Kron

Réunion du 20 mai 2014 à 19h00
Commission des affaires économiques

Patrick Kron, président-directeur général d'Alstom :

Monsieur Laurent, permettez-moi de vous dire que la question n'est pas de savoir si je vais rater ma sortie ou pas – d'autant que je considère que je suis encore loin d'être dehors ! Laisser à mon successeur le soin de régler les problèmes n'a jamais été ma façon de faire. Mon devoir est d'anticiper et de prendre mes responsabilités : c'est précisément ce que j'ai fait. Ce qui m'intéresse, c'est de veiller à l'avenir de nos activités et de nos sites, et de consolider l'emploi. Une éventuelle « sortie » n'aurait de sens que par rapport à cette préoccupation.

Ce projet n'est en rien une opération financière ; dans mon esprit, il s'agit d'une opération industrielle, que je juge bénéfique, car elle donnera un avenir aux activités énergie d'Alstom. Est-ce la meilleure ? Je l'ignore. Le conseil d'administration en délibérera ; s'il y a d'autres offres, il les examinera. Mais aujourd'hui, je vous dis en conscience que, pour les 65 000 salariés concernés, cette solution est préférable au statu quo. L'inquiétude sur Alstom Transport découle de ce que nous n'avons pas encore eu la possibilité d'informer dans le détail et de consulter les partenaires sociaux dans tous les pays concernés. Nous le ferons dès que possible : ce sera la prochaine étape du processus.

Je le répète encore une fois : il ne s'agit en rien d'une opération financière ; c'est le résultat d'une analyse qui nous a conduits à considérer que la stratégie de l'autonomie était périlleuse pour les salariés. La solution qui se présente me paraît répondre aux enjeux auxquels nous devons collectivement faire face.

Faut-il essayer de gagner du temps ? Je pense qu'il convient de trouver le bon équilibre entre la nécessaire rigueur de la démarche – qui comprend une phase de consultation et de concertation et la demande d'autorisation prévue par le décret – et l'intérêt de l'entreprise. Je veux simplement attirer votre attention sur le fait que le temps ne joue pas nécessairement en faveur de l'entreprise, qui ne doit pas rester dans l'expectative trop longtemps.

Je ne m'offusque absolument pas de l'intervention de l'État, monsieur Prat – je ne me le permettrais pas. Je sais bien qu'il s'agit d'un sujet important ; l'État est une des parties prenantes dans le dossier, de même que les salariés de l'entreprise. Le fait qu'il prenne ses responsabilités et décide d'agir ne me pose aucun problème.

Quant aux plans sociaux, je pense que la force de frappe internationale de General Electric et la puissance de la combinaison qui résultera de cet accord sont la meilleure garantie contre eux, alors qu'aujourd'hui, certaines de nos usines souffrent d'une sous-activité commerciale. Pour vous donner un ordre de grandeur, sur les douze derniers mois, nous avons vendu onze turbines à gaz quand General Electric en vendait 100 à 150. Voilà une illustration de ce qu'est la « taille critique » !

L'actionnariat n'a rien à voir avec ce projet, qui répond à un problème de taille sur un marché qui s'est consolidé au cours du temps et qui franchit aujourd'hui une nouvelle étape dans ce processus. L'activité d'Alstom Énergie s'est construite au fil des acquisitions, aux États-Unis, en Suisse ou en Scandinavie. Malheureusement, dans le contexte actuel, nous n'avons pas la taille critique qui me permettrait de dire aux salariés, les yeux dans les yeux, que nous éviterons les écueils.

J'en viens à la question du « secret ». L'État est un interlocuteur habituel d'Alstom, c'est bien évident, mais je rappelle que le projet a été construit – certes dans la confidentialité – en quelques semaines. Lorsque j'ai vu le ministre, début mars, j'avais déjà dîné avec le président de General Electric et pris un petit-déjeuner, le matin suivant – un hasard du calendrier –, avec le président de Siemens. Le président de General Electric ayant évoqué la possibilité d'une coopération, je l'ai prié de me donner la possibilité d'y réfléchir, et j'ai rencontré ses collaborateurs vers la deuxième quinzaine de mars ; nous avons alors décidé de nous rencontrer de nouveau le 23 mars, puis de travailler ensemble jusqu'au 23 avril.

Il n'y a rien de choquant à ce que je n'aie pas été au rapport durant ces trois ou quatre semaines, puisque j'ignorais s'il résulterait quelque chose de ces rencontres. Le problème, c'est qu'entre le moment où j'ai pris conscience qu'un accord était possible et la fuite de Bloomberg, il ne s'est écoulé que quelques heures. Qui pouvait y avoir intérêt ? Certainement pas nous, probablement pas General Electric. Seul un petit nombre de personnes étaient associées à ce dossier, de notre côté comme de celui de General Electric, mais il y avait également, comme toujours dans ce genre de discussions, des banquiers d'affaires et des avocats. Malheureusement, la confidentialité n'a pas été préservée.

Le projet que vous évoquez, monsieur Hammadi, était sans commune mesure avec celui dont il est aujourd'hui question ; de surcroît, il concernait une activité d'Alstom, les chaudières, qui était alors en difficulté. L'annonce de discussions avec Shanghai Electric n'était de nature à inquiéter ni notre corps social ni nos clients : tout cela apparaissait logique. Mais le fait que ces discussions se soient retrouvées dans le domaine public n'a probablement pas contribué à les faciliter ; d'ailleurs, elles ont échoué : nos intérêts et ceux de Shanghai Electric se sont révélé diverger.

Quant à la convocation d'un conseil d'administration exceptionnel un dimanche, vous comprendrez que l'agitation médiatique du vendredi m'a conduit à prendre l'initiative d'une information rapide et détaillée des membres du conseil d'administration sur ce qui était en train de se passer. Il s'agissait d'une réunion purement informative. Il y en a eu d'autres depuis, et il y en aura encore, puisque le conseil d'administration sera tenu régulièrement informé de l'avancée du processus. La question de la portée juridique de la décision ne se pose pas, puisque le conseil d'administration a simplement décidé de constituer un corps d'administrateurs indépendants et de mettre en place un processus lui permettant d'examiner de manière transparente et rigoureuse l'offre qui nous a été faite et d'examiner les éventuelles offres alternatives. Le malentendu provient du fait qu'on a cru qu'il s'agissait d'un processus abouti. Or nous en sommes encore au démarrage ; nous n'avons à l'égard de General Electric aucune obligation autre que celle d'examiner son offre et de ne pas chercher activement des offres alternatives, étant entendu que nous avons la possibilité d'examiner celles qui nous seraient soumises. Je crois que l'affaire a fait suffisamment de bruit pour que ceux qui ont envie d'en présenter une puissent le faire !

Pour ce qui est de mon intérêt personnel, c'est bien simple : je n'ai engagé aucune négociation avec quiconque. Mon statut est celui des présidents de sociétés du CAC 40, je n'ai ni contrat de travail ni protection particulière. Mon seul objectif est de trouver une solution intelligente pour nos 93 000 salariés. Je vous remercie de m'avoir posé cette question, car il a été dit certaines choses, mais je vous assure que tout cela n'a rien à voir.

S'agissant de l'article du Canard enchaîné, il est vrai que nous faisons actuellement l'objet, dans un certain nombre de pays dont les États-Unis, d'enquêtes pour des faits de corruption relatifs à des dossiers anciens ; sachez que nous collaborons étroitement avec les autorités judiciaires.

Quant aux liens entre le frère de M. Immelt et le cabinet d'avocats que nous emploierions, j'ai découvert l'information en lisant ce journal ! Il est exact que nous utilisons les services de ce cabinet – qui emploie au total 10 000 à 20 000 avocats –, mais uniquement ceux de son bureau bruxellois, où exerce un spécialiste du droit de la concurrence à qui je fais régulièrement appel depuis 2003. Cela n'a rien à voir avec General Electric !

S'agissant de nos supposés besoins en capitaux frais, pardon de le dire crûment, mais je ne crois pas qu'1 milliard de plus ou de moins dans les caisses d'Alstom changerait quoi que ce soit au nombre de turbines vendues. Il s'agit hélas d'un problème de taille critique – et nous n'avons pas la possibilité de racheter General Electric, sinon vous pensez bien que j'aurais proposé cette solution au conseil d'administration et à l'assemblée générale ! Ce dont nous avons besoin, c'est d'une taille critique qui donnera à Alstom les moyens de son avenir.

L'impact du CICE est limité du fait que nous comptons beaucoup d'ingénieurs dans notre effectif ; or, comme vous le savez, le bénéfice du CICE est soumis à un plafond d'éligibilité.

Nous avons en effet eu la chance de nous rencontrer en d'autres occasions, madame Batho, et je me réjouis de ce que nous avons fait ensemble, à commencer par l'ouverture du nouveau centre de technologie hydroélectrique de Grenoble. General Electric a pris l'engagement non seulement d'établir en France son centre mondial pour l'énergie hydraulique, mais également d'accroître les activités de recherche et développement dans le centre de Grenoble. Quant à l'usine de Saint-Nazaire, elle est la première d'une série de quatre usines qu'Alstom va construire pour développer la filière éolienne offshore. General Electric a indiqué qu'il reprendrait à son compte la totalité des engagements d'Alstom sur cette filière.

Je n'ai donc pas l'impression que le projet mette en péril notre base industrielle française ; il va au contraire lui permettre de se renforcer et de se développer. La majorité des salariés d'Alstom en France travaille aujourd'hui pour l'exportation : il ne faut pas opposer les racines française et européenne du groupe et sa capacité à attaquer les marchés internationaux ; celle-ci sortira renforcée de cette alliance.

Penser que Bouygues nous aurait fait aller à Canossa pour vendre ce fleuron national serait contraire à la réalité : c'est moi qui ai pris l'initiative de rencontrer le président de General Electric, ainsi que le président de Siemens et tous les autres présidents des sociétés présentes dans nos métiers, parce qu'il était de mon devoir d'examiner s'il y avait quelque chose d'intelligent à faire. Certes, à un moment donné, à l'aval du processus, General Electric a voulu vérifier qu'un tel accord aurait le soutien de Bouygues, mais le projet ne répond en rien à la volonté de ce dernier de vendre ses actions au meilleur prix.

Madame Tallard, je vous assure qu'il existe bel et bien un carnet de commandes de 25 milliards d'euros – ce qui ne signifie pas que nous n'aurons pas besoin d'engranger de nouvelles commandes pendant quatre ans. Certes, nous avons un devoir d'information, mais ce sera la prochaine étape : pour informer, encore faut-il avoir quelque chose à dire. Ce n'est d'ailleurs pas seulement une obligation morale et une évidence opérationnelle : c'est une obligation juridique. La prochaine étape du processus, une fois que le conseil d'administration aura accepté l'offre de General Electric, ou de toute autre société, sera de soumettre le dossier pour information puis pour consultation aux partenaires sociaux. Ce dossier sera en parallèle présenté aux autorités compétentes afin d'obtenir les autorisations nécessaires, puis les actionnaires devront donner leur accord.

Oui, Alstom Transport a la taille critique : je ne comprends même pas la raison d'être de ce débat ! En connaissez-vous beaucoup, vous, des entreprises françaises avec un chiffre d'affaires de 6 milliards et une présence dans 60 pays, répartis sur tous les continents ? Des entreprises qui emploient 9 000 personnes en France, dont une partie considérable travaille pour l'exportation ? Des entreprises dont le carnet de commandes est rempli pour les quatre prochaines années, et qui viennent de signer un contrat de 4 milliards d'euros en Afrique du sud, avec des conséquences extrêmement positives sur de nombreux sites français ? Nous avons la taille critique – dans un environnement concurrentiel différent de celui de l'énergie. Un de mes plus douloureux souvenirs de ces douze dernières années est la perte du contrat pour la construction du TGV saoudien, contre une entreprise dix fois plus petite que nous – ce qui montre que, parfois, la taille critique ne suffit pas.

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