La commission des affaires culturelles et de l'éducation doit aujourd'hui se prononcer sur la recevabilité et l'opportunité de la proposition de résolution présentée par le groupe de la gauche démocrate et républicaine, tendant à la création d'une commission d'enquête chargée d'évaluer la situation du monde associatif face au contexte économique actuel et aux problèmes que soulèvent les choix effectués par l'État et les collectivités locales en matière de dépenses publiques. Le groupe GDR a en effet décidé de faire usage du droit qui lui est reconnu par l'article 141 de notre règlement, qui permet aux groupes minoritaires de demander l'inscription à l'ordre du jour de notre assemblée d'une telle proposition de résolution. J'ai bien entendu, monsieur le Président, votre souhait de voir ce droit élargi. Celui-ci étant toutefois soumis à certaines conditions, notre commission a pour tâche de vérifier qu'elles sont bel et bien remplies.
Notre règlement fixe en premier lieu une exigence de précision aux propositions de résolution, qui doivent « déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ». Il m'apparaît que la proposition de résolution qui nous est soumise aujourd'hui remplit tout à fait cette condition. Bien qu'ambitieux, son objet n'en est pas moins précis et circonscrit, puisqu'il s'agit d'étudier l'impact de la crise actuelle sur le monde associatif. Par ailleurs, une commission d'enquête ne saurait porter sur des sujets traités récemment dans le cadre de structures parlementaires particulières. Là encore, la proposition de résolution m'apparaît sur ce point recevable puisqu'aucune commission permanente ne bénéficie actuellement des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête pour une mission portant sur le monde associatif et qu'aucune commission d'enquête portant sur un sujet similaire n'a été constituée au cours de la législature. Enfin, une commission d'enquête ne doit pas empiéter sur le travail de la justice. Sur ce point, Mme la Garde des Sceaux a indiqué qu'elle n'avait pas connaissance de poursuites judiciaires engagées sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition. Celle-ci est ainsi tout à fait recevable au regard des critères fixés par notre règlement.
Mais notre commission est également appelée à se prononcer sur l'opportunité d'inscrire cette proposition de résolution à l'ordre du jour de l'Assemblée.
J'insisterai tout d'abord sur le fait associatif et sur sa place dans notre société. Nous comptons aujourd'hui plus d'un million d'associations en France, dont plus de 2 000 sont reconnues d'utilité publique. Plus de 65 000 associations ont encore été créées l'an passé, et le monde associatif rassemble au total 12 millions de bénévoles. Il s'agit d'un engagement citoyen sans équivalent dans notre pays, d'un remarquable espace d'éducation populaire et, dans la plupart des cas, d'un lieu d'apprentissage de la démocratie.
Le monde associatif est également un acteur économique : 166 000 associations employeurs salarient près de 2 millions de personnes, soit 10 % de l'emploi salarié privé en France. Les associations sont également un facteur de croissance : elles créent environ 3 à 4 % du PIB. Par la diversité de leurs objectifs, de leurs champs d'action et des parcours de leurs bénévoles, par leur implantation territoriale, elles jouent un rôle majeur en faveur du lien social et répondent aux besoins quotidiens de nos compatriotes. Cela concerne, par exemple, l'accueil et le loisir des enfants et des jeunes par de grandes associations issues des réseaux d'éducation populaire, telles que les Centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active (Céméa), les Francas et la Ligue de l'enseignement ; des associations de jeunesse telles que les Scouts et les Guides, les Jeunes Chrétiens ruraux ou la Jeunesse ouvrière chrétienne ; l'accès au sport et à la culture ; l'alphabétisation ; et enfin, les actions caritatives, secteur dans lequel les associations se sont développées récemment.
Imaginons un instant que, face à la crise et aux difficultés de financement auxquelles sont confrontées les associations, les bénévoles de France cessent pendant quelques jours leur activité. On s'apercevrait alors du rôle extrêmement important que joue le monde associatif dans notre pays. Bien sûr, s'il fallait que l'État et les collectivités territoriales remplacent les associations dans le rôle qu'elles jouent, non seulement il leur faudrait des moyens, mais ils ne pourraient le faire compte tenu de la spécificité de la démarche associative, fondée sur le recours au bénévolat et l'appel à l'engagement des individus pour satisfaire des besoins.
Le monde associatif, dont la place est si importante dans notre société, est-il en crise ou bien frappé par la crise économique ? La présidente de la Conférence permanente des coordinations associatives (CPCA), qui porte désormais le nom de Mouvement associatif, nous alertait l'an passé sur la crise des financements et du bénévolat associatifs, due, selon elle, à des mutations profondes et irréversibles. Il reviendra à la future commission d'enquête, si elle est créée, de débattre de la véracité de ces dires. Il est néanmoins certain que de nombreux indicateurs virent au rouge.
S'agissant du bénévolat, 15 % des responsables associatifs se disent dans la détresse, ayant des difficultés à transformer l'engagement ponctuel de leurs bénévoles en une présence durable. Le noyau dur du bénévolat est en train de se réduire. En outre, les associations ont perdu 11 000 emplois entre 2010 et 2011. Sur les 150 000 associations en grande difficulté, 14 000 sont des associations qui emploient. On estime qu'entre 2012 et 2013, ce sont encore 9 500 emplois associatifs qui auront disparu.
Bien sûr, cela est lié à un problème de financement, le niveau des subventions ayant diminué de 17 % en six ans : 57 % de responsables associatifs se disaient satisfaits de leur situation financière en 2012, mais ils ne sont plus que 53 % dans ce cas aujourd'hui. Cette baisse des subventions a eu des effets divers selon la taille des associations concernées et leur capacité à recourir à des réseaux.
Mais ce que pointe le mouvement associatif, c'est moins la baisse globale du montant des subventions aux associations que l'accroissement du recours aux marchés publics – de l'ordre de 73 % –, aux appels d'offres et aux appels à projet. La commande publique finira par tuer la vie associative, alerte la CPCA, en faisant évoluer l'esprit associatif et en transformant le rôle des associations en celui d'exécutant. On peut parler d'une instrumentalisation aux conséquences vitales pour les petites et moyennes associations, et d'une transformation de l'objet des grands réseaux. Nous en avons d'ailleurs déjà débattu lors de l'examen du rapport budgétaire sur les crédits consacrés aux associations par le ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative de même que lors de la discussion du projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire (ESS).
Bien sûr, cette proposition de résolution aborde le financement par la foule (« crowdfunding »), comme solution possible à cette baisse des subventions aux associations. Il conviendra cependant de rapprocher ce mode de financement de ce que nous appelions à une autre époque les dons, les collectes ou encore les cotisations permettant d'être membre d'une association.
S'agissant des solutions à apporter à ces enjeux, notre proposition de résolution fait allusion à l'intention du Gouvernement de retravailler à l'élaboration d'une charte entre le Gouvernement, les collectivités locales et les associations en 2014 – la dernière charte signée datant de 2001. Cette dernière reposait d'ailleurs encore sur la loi de 1901 et sur une conception de la vie associative épaulée par une puissance publique sous forme de subventions – les collectivités locales étant dotées d'une compétence générale – et s'appuyant sur l'appel à l'adhésion, à la cotisation et au bénévolat, sur l'appel au financement sous forme de dons, de collectes et de mécénat. La structure associative était alors à la recherche d'un statut du bénévolat, du développement des aides à l'engagement, comme le service civique.
Ces pistes restent-elles encore valables aujourd'hui ou convient-il d'oeuvrer à une mutation, comme le demandent certains responsables des coordinations de la vie associative ? Je ne répondrai pas aujourd'hui à ce qui sera l'un des enjeux de cette commission d'enquête – si jamais elle voit le jour. Il conviendra également de réfléchir au fonctionnement même des associations, d'examiner de plus près la question des grands réseaux et de leur rapport aux associations de proximité, ainsi que les systèmes d'aide à l'emploi salarié dans les associations, et enfin, de veiller à clarifier les objets associatifs par opposition à ceux de la puissance publique et du marché.
Cette commission d'enquête, si elle est créée, aura donc un vaste travail en perspective, compte tenu de l'hétérogénéité du monde associatif et des situations qui y sont vécues.
Ainsi, l'opportunité de créer une commission d'enquête pour analyser avec précision les difficultés rencontrées par le monde associatif ne fait-elle pas de doute ; nos débats sur de nombreux sujets au sein de cette commission nous permettent d'ailleurs souvent d'évoquer l'apport du monde associatif, mais jamais de vraiment s'arrêter sur ses problèmes.
On peut se demander, comme l'a fait le président de la commission, si une mission d'information n'aurait pas été plus adaptée pour atteindre ces objectifs, mais il nous a fallu utiliser notre droit de tirage. Je vous invite donc, chers collègues, à adopter notre proposition de résolution.