Intervention de Frédéric Cuvillier

Séance en hémicycle du 26 mai 2014 à 16h00
Débat sur la situation de l'aéronautique française — Débat

Frédéric Cuvillier, secrétaire d’état chargé des transports, de la mer et de la pêche :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, merci d’avoir organisé ce débat important, qui permet de nous arrêter sur la situation de l’industrie aéronautique. Je tiens particulièrement à féliciter de son initiative le groupe GDR et son président, André Chassaigne. Le Gouvernement ne peut participer à la table ronde. Aussi me permettrai-je d’entrer de suite dans le vif du sujet, en dressant un état des lieux.

Nous le savons, la construction aéronautique civile est stratégique pour notre pays. Elle est un vecteur de souveraineté, avec un poids économique et social majeur. Le chiffre d’affaires de la construction aéronautique a dépassé les 30 milliards d’euros en 2013 et l’excédent commercial a atteint les 20 milliards, ce qu’il convient de souligner compte tenu de la situation de nos échanges commerciaux.

Les parlementaires présents le savent, puisque nombre d’entre eux viennent de territoires concernés : ce secteur représente 170 000 emplois directs hautement qualifiés et autant d’emplois indirects. Même s’il doit faire face à des difficultés de recrutement – j’y reviendrai –, son dynamisme est remarquable : de 2006 à 2013, près de 100 000 embauches ont été réalisées, dont 15 000 pour chacune des années 2012 et 2013 – 48 % d’ingénieurs et cadres, 26 % d’employés techniciens agents de maîtrise et 26 % d’ouvriers qualifiés. Et cela mérite d’être souligné, 84 % des recrutements portent sur des contrats à durée indéterminée.

Plus de 20 % des recrutements – 3 300 au total – ont concerné des jeunes diplômés. Par ailleurs, un effort particulier est réalisé en matière de formation en alternance, avec plus de 5 000 jeunes employés en contrats d’apprentissage ou en contrats de professionnalisation début 2013.

Cette dynamique globale de création nette d’emplois devrait en toute hypothèse se poursuivre. En effet, selon le consensus des analystes, la croissance du trafic aérien mondial sera continue, de 5 % par an environ. Elle devrait être portée par trois types de demande.

Tout d’abord, les besoins des compagnies des économies émergentes vont croissant : le marché intérieur chinois sera le premier marché devant le marché américain après 2030. Les flottes devront aussi être renouvelées dans les économies occidentales. Enfin, les compagnies occidentales devraient elles-mêmes profiter de la croissance des économies émergentes, ce qui entraînera des besoins supplémentaires, notamment en matière de modernisation.

De cette augmentation de volume du trafic aérien découlera une augmentation de la flotte, évaluée à environ 30 000 appareils sur cette période. Cela profitera très majoritairement au duopole Airbus Boeing au moins jusqu’en 2030, compte tenu de la faible maturité de la concurrence émergente.

Pour la France, disposer sur son territoire de l’un des deux seuls acteurs mondiaux du secteur est une chance remarquable : cela permet de capter de manière directe et durable les effets de la croissance économique des zones les plus dynamiques pour en faire bénéficier des implantations industrielles situées sur le territoire national.

C’est l’une des particularités du secteur que de regrouper, dans un ancrage très fort et une grande solidarité industrielle, à la fois un grand groupe leader, les PME et les équipementiers. Par ailleurs, la très haute technicité des personnels, la complexité de la conception et de la production ou encore les investissements humains et financiers colossaux caractérisent cette activité et la rendent difficilement transférable. C’est un point que nous évoquions la semaine dernière avec mes homologues, lors du « conseil des ministres Airbus » qui se tenait à Berlin.

Au-delà de cette conjoncture durablement favorable, la France peut également être fière d’être le seul pays au monde, avec les États-Unis, à disposer sur son territoire d’une filière aéronautique complète, avec de très grands constructeurs comme Airbus ou Dassault, mais aussi l’ensemble des équipementiers, de grands groupes comme Zodiac, Safran ou Thales pour ne citer que ceux-là, et des entreprises de taille intermédiaire et PME, qui maîtrisent l’ensemble des compétences nécessaires à la construction des aéronefs.

Au sein de ce tissu équipementier, très compétitif, innovant et complémentaire, la solidarité joue à plein, ce qui permet aux PME de bénéficier, à l’export, de l’ouverture des marchés et de l’accompagnement de la part des majors. Le secteur des équipementiers participe pleinement au succès de la filière puisqu’il représente à lui seul la moitié du chiffre d’affaires et des effectifs de l’industrie aéronautique nationale.

Il s’agit donc d’une filière solide. Je ne crois pas en avoir rencontré – dans le domaine des transports comme dans d’autres – d’aussi solides, d’aussi dynamiques, grâce à la solidarité économique entre petits et grands acteurs, et d’aussi ancrées sur le territoire.

Bien sûr, certaines activités aéronautiques qui auraient pu être développées en France l’ont été à l’étranger. Mais force est de constater que, malgré des facteurs structurels qui pourraient encourager cette industrie à se délocaliser, comme la persistance d’un effet de change défavorable à notre industrie, les tentatives d’implantation hors de France, en zone à bas coût salarial, sont restés finalement peu nombreuses.

Les industriels eux-mêmes reconnaissent que le haut niveau de technicité nécessaire et les exigences technologiques empêchent presque mécaniquement de produire dans des zones où la compétitivité en matière de coûts aurait des conséquences sur la qualité de la construction et la fiabilité même des produits. C’est une garantie, une de ces grandes forces qui permet de fixer l’innovation, la recherche, le savoir, et donc l’emploi et la production.

Pour autant, un certain nombre d’initiatives ont été prises, inspirées par une stratégie de conquête de marchés.

Je pense par exemple au partenariat d’Airbus avec la Chine, qui montre que, bien maîtrisé et encadré, un tel schéma est une stratégie gagnant-gagnant. Avec l’installation de la chaîne d’assemblage des aéronefs Airbus A320 à l’usine de Tianjin, cette coopération a permis de faire augmenter le nombre d’appareils commandés par la Chine : du fait même de l’implantation, la part de marché d’Airbus est passée de 25 % à 50 %. Airbus réalise donc désormais en Chine plus de 20 % de ses ventes totales ; sur les 626 avions qui ont été livrés en 2013 à l’échelle mondiale, 133 étaient destinés à la Chine.

Nous avons eu cette discussion la semaine dernière, ainsi que je l’indiquais, et un chiffre a été réaffirmé, que je souhaite vous livrer : 5 % seulement de la valeur ajoutée des avions livrés en Chine est effectuée sur place, ce qui veut dire que 95 % de la valeur ajoutée demeure européenne, en particulier française, donc fabriquée avec une main-d’oeuvre européenne et nationale. En outre, les chaînes d’assemblage représentent de faibles transferts de technologie, tout ce qui a trait à la technologie restant en amont, ce qui bénéficie essentiellement à la filière française.

L’industrie aéronautique a réalisé des progrès considérables en une cinquantaine d’années, ce qui est encourageant pour les défis à venir et qui justifie le développement d’une recherche forte. On le voit en particulier avec les enjeux environnementaux, par exemple. Il faut savoir que la consommation de kérosène – donc les émissions de CO2 – a été réduite de près de 80 %. C’est également vrai du bruit perçu, qui a été réduit d’un facteur dix. Les émissions d’oxydes d’azote ont été divisées par quatre. Et, bien sûr, j’aurais pu commencer par mentionner cela, les progrès ont été sensibles dans le domaine de la sécurité aéronautique, ce qui nous permet aujourd’hui d’affirmer que l’avion est un des modes de transport les plus sûrs.

Ces enjeux ouvrent des perspectives d’innovation soutenue et rendent nécessaires le renouvellement des produits. Nous nous situons dans le long terme : les produits sont développés sur plusieurs décennies ; les programmes, engagés très tôt, devront répondre aux enjeux de demain, absolument stratégiques. On peut citer par exemple l’A350, l’A320 NEO remotorisé, les hélicoptères X4 et X6, ou un certain nombre de motorisations, comme celle de la Snecma, ainsi que le renouvellement de la gamme Falcon de Dassault Aviation. Vous mesurez donc à quel point les enjeux sont immédiats.

Le fabuleux projet d’avion électrique E-Fan, que nous avons vu la semaine dernière, annonce également de belles perspectives. Il y a encore un long chemin à parcourir avant d’avoir un A380 tout électrique. En tout cas, nous avons de nombreux défis à relever en perspective, ce qui nous permet une fois encore de nous positionner parmi les leaders de la recherche, donc à terme de l’industrialisation aéronautique.

L’État est pleinement conscient du rôle de l’industrie aéronautique et de l’importance pour celle-ci des investissements, considérables dans le domaine de la recherche et développement. L’effort réalisé dépasse 15 % du chiffre d’affaires pour les entreprises aéronautiques ; peu d’industries affectent une part aussi importante de leur chiffre à la recherche et au développement. En outre, comme je l’indiquais, l’investissement est réalisé sur des cycles très longs : le retour sur investissement n’intervient qu’au bout de vingt à vingt-cinq ans.

C’est pourquoi l’investissement doit être accompagné par l’intervention publique. C’est le cas non seulement en Europe, notamment en France, mais aussi aux États-Unis. Des États fédérés octroient des aides en accordant des exemptions fiscales ; c’est le cas de l’État de Washington, où elles atteignent près de 8,7 milliards de dollars. Il y a donc bien une aide publique apportée aux entreprises dans des pays où la doctrine économique affichée est pourtant tout autre. À cet égard, un contentieux est en cours, puisque mes collègues ministres Airbus et moi-même contestons les dispositifs d’aides d’État qui ont été mis en place successivement aux États-Unis.

Lorsqu’il s’agit de la recherche et développement, lorsqu’il s’agit d’être aux côtés du CORAC, le Conseil pour la recherche aéronautique civile, que j’ai la chance de présider, aucun moyen n’est sacrifié. Je pense par exemple aux programmes d’investissements d’avenir ou PIA : l’action aéronautique des PIA a été dotée d’un total de près de 3 milliards d’euros depuis 2010.

Un tel effort est déterminant pour les projets de recherche du CORAC, qui sont nombreux. Il s’agit notamment du long-courrier A350 d’Airbus ou de l’hélicoptère moyen tonnage X4 d’Airbus Helicopters. Il s’agit aussi des réflexions sur les aéronefs des futures générations, qui doivent relever les défis technologiques et environnementaux que j’ai mentionnés voilà quelques instants, sur les usines du futur et sur les nouveaux systèmes de pilotage. Sont donc concernées la recherche et l’innovation soutenues dans le cadre des aides de l’État.

À cet égard, le dialogue dans le cadre du CORAC avec les industriels est très important, car le soutien gouvernemental doit être le plus efficace possible. Politique ou financier, il peut en effet prendre d’autres formes, complémentaires, mais nous savons qu’il a pour objet, in fine, l’emploi et l’industrie de demain.

Les pôles de compétitivité constituent bien sûr une action essentielle pour le transfert des recherches du secteur public à la filière industrielle, notamment aux petites et moyennes entreprises. La France dispose également d’incitations fiscales à l’innovation, au premier rang desquels le crédit impôt recherche. Par ailleurs, nous accompagnons avec beaucoup de détermination les grands contrats à l’exportation, à la fois par une action diplomatique, qui est une mobilisation de tous les instants, et par l’instrument financier de l’assurance-crédit COFACE, un appui que nous voulons le plus solide possible pour aider l’ensemble de l’industrie à conquérir les marchés.

Telles sont les orientations de notre mission, le compte rendu de nos activités de soutien à l’ensemble des acteurs de la filière qui, je puis en témoigner, sont très impliqués et ont une vision vraiment très précise de ce que peut être l’aéronautique de demain et des moyens de concurrence à développer pour conserver un rôle de leader. Cette question, essentielle, était au programme de la réunion annuelle des ministres Airbus qui s’est tenue il y a quelques jours. C’est important, car il y a peu de domaines dans lesquels le politique et l’industriel déterminent des stratégies d’un commun accord, avec pour seul intérêt celui de nos entreprises, de nos emplois et de nos territoires.

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