Intervention de Manfred Bergmann

Réunion du 20 mai 2014 à 17h15
Commission des affaires européennes

Manfred Bergmann, directeur général de la fiscalité et de l'union douanière à la Commission européenne :

Je veux tout d'abord revenir sur la légalité de notre proposition. Sur ce point, n'oublions pas que la taxe doit porter sur des transactions, non sur des services, des biens de consommation, des profits ou des revenus. Il faut, dans ces conditions, assurer une connexion suffisante entre la juridiction qui prélève la taxe et la transaction. Cette connexion peut être établie par quatre critères, que nul – pas même les Britanniques, ni le service juridique du Conseil – ne conteste : la résidence du vendeur, la résidence de l'acheteur, le lieu de transaction et le lieu d'émission du produit négocié. Si la transaction concerne quatre lieux différents, la question n'est pas celle de l'extraterritorialité, mais celle d'une éventuelle double taxation. Le service juridique du Conseil a inventé un concept selon lequel le droit d'une juridiction pourra prévaloir sur celui d'une autre. Un tel concept, bien entendu, n'est pas appliqué partout dans le monde : s'il l'était, les accords destinés à éviter la double imposition deviendraient inutiles.

Quant aux produits dérivés, les deux mots-clés, comme l'indiquaient Mme Waysand et M. Trannoy, me semblent être « réduction » et « ralentissement ». Rien ne justifie un marché financier quarante fois plus volumineux que l'économie réelle. Les incitations dont ce marché bénéficie favorisent actuellement son inflation ; mais chaque maillon ayant un coût, le raccourcissement de la chaîne aura des bénéfices en termes d'efficacité. D'autre part, les sociétés de gestion, observait M. Briatta, effectuent des transactions à haute fréquence : c'est précisément ce qui doit nous inciter à ralentir celles-ci, car il n'y a pas plus de sens à échanger le risque toutes les millisecondes qu'à l'assumer seul. Certains produits peuvent être conservés jusqu'à maturité, d'autres négociés sur les marchés à un rythme plus régulier ; mais le contournement permanent n'a pas de justification.

J'en viens à la cartographie demandée par Mme Rabault. Onze États membres participent à la coopération renforcée ; la Slovénie n'a pu signer la déclaration pour deux raisons, l'une institutionnelle – le pays se trouvait alors sans gouvernement – et l'autre, peut-être, plus officieuse : elle ne possède pas de société dont la capitalisation atteigne un milliard, soit le niveau à partir duquel la taxe s'appliquera. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, la plupart des petits États membres plaident pour un élargissement de l'assiette, soucieux qu'ils sont de retirer un bénéfice de la taxe.

Un autre groupe de pays défend des positions plus proches de celles de la Commission, tout en prônant une mise en oeuvre par étapes : on évaluerait d'abord l'impact de la taxe sur quelques produits avant, le cas échéant, de l'étendre à d'autres.

Un troisième groupe, le plus restreint, souhaite une assiette plus réduite, sur le modèle du stamp duty britannique.

On peut aussi distinguer, au sein de l' Union, deux groupes d'États membres non adhérents à la coopération renforcée, l'un formé par les pays qui possèdent des places financières importantes, comme le Luxembourg ou le Royaume-Uni, et l'autre par ceux qui, sans s'opposer à la taxation, refusent l'idée d'une coordination européenne, arguant qu'elle n'a plus guère d'utilité dès lors que chaque pays met en oeuvre la taxe par ses propres moyens, en l'asseyant sur les émissions nationales. Il ne faut pas oublier, cependant, que les onze États réunis dans la coopération renforcée représentent 90 % de l'économie de la zone euro, et un sixième de l'économie mondiale. Leur poids leur permet donc d'être plus ambitieux. Dans les quinze prochains jours, l'Allemagne, par exemple, fera une proposition, non sur les dérivés à taxer, mais sur les modalités de taxation. Un accord sur ce point permettrait, pour reprendre une expression allemande, de tuer deux mouches d'un coup de tapette. Mais pour le moment, je le répète, c'est le Gouvernement français qui détient la clé : s'il décide d'aller plus loin, les autres pays suivront, qu'il s'agisse de l'Italie, de l'Espagne ou de l'Allemagne.

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