Intervention de Jean-Frédéric Poisson

Séance en hémicycle du 27 mai 2014 à 21h30
Débat sur la réforme territoriale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Frédéric Poisson :

Nous sommes entrés de plain-pied dans un conflit entre les régionalistes et les départementalistes – ce qui est dommage parce que cette réforme territoriale mérite beaucoup mieux que cela – parce que nous semblons considérer comme acquise la transition que connaît notre histoire moderne, qui fait passer insensiblement la France du trépied de la Révolution française – communes, départements, État – à un trépied moderne : intercommunalités, régions, Europe.

Tout à l’heure, monsieur Dussopt, vous avez dit que les départements étaient pris en tenailles. Il faudrait pousser le raisonnement jusqu’au bout : dans cette nouvelle organisation, l’État aussi est pris en tenailles. En effet, dans l’Europe des régions, que Mme Appéré vient de mentionner, on se demande bien, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, ce que deviendra l’État, si bien que, paradoxalement, la première question que soulève ce débat sur la réforme territoriale, ce n’est pas tant celle du nombre de collectivités ou celle de leur rôle que celle du rôle qui sera demain dévolu à l’État dans une organisation quelle qu’elle soit et, éventuellement même, la manière de repenser les relations avec les collectivités.

Une seconde question fondamentale se pose, celle des libertés fondamentales dans les territoires. On a évoqué depuis le début de cette soirée l’accès aux droits sociaux. Un grand nombre d’entre nous, habitués à diriger des territoires ruraux, sont confrontés à la problématique des transports – Hervé Gaymard a parlé tout à l’heure des territoires de montagne et de leurs spécificités.

Au-delà, la question que nous devons poser est celle de savoir si, oui ou non, les territoires auront la capacité de s’organiser comme ils le souhaitent en termes de structures et de compétences. Seront-ils maîtres de leurs choix stratégiques ? Je pense ici aux relations qu’ils auront le droit ou pas d’établir entre les différents schémas de cohérence territoriale auxquels ils sont soumis. Nous avons débattu de ce sujet dans le cadre de la loi ALUR, ici même, il y a quelques semaines.

Le troisième élément, qu’a évoqué M. Fromentin, ce sont les équipements. Comment peut-on envisager une juste réforme des territoires sans leur donner les moyens d’exister, de se développer librement ? Il y a en général deux éléments : les transports et la couverture numérique. Partout où ils manquent, il est difficile d’imaginer une véritable liberté.

Outre ces deux points essentiels – sur lesquels j’attends avec une grande impatience les réponses du Gouvernement et le contenu du projet de loi que, monsieur le secrétaire d’État, vous allez certainement nous décrire tout à l’heure en répondant, j’imagine, aux orateurs –, il me semble que se posent des questions supplémentaires, que nous ne pouvons pas écarter.

Premièrement, sommes-nous prêts à repenser les relations entre l’État et les collectivités ? Un grand nombre d’entre nous ont eu maille à partir avec certains services, notamment à l’occasion d’un contrôle de légalité, parce qu’ils étaient confrontés à une interprétation divergente, pour le dire gentiment, des textes. Ces relations doivent donc être repensées. Je ne sais pas, madame la ministre, ce que compte faire le chef de l’État à ce sujet.

Deuxièmement, sommes-nous condamnés à envisager la France enfermée dans les frontières administratives actuelles – départements et régions – ou sommes-nous capables d’avoir l’ambition de considérer notre territoire comme une forme de carte blanche dans laquelle il y aurait des points d’ancrage ? Sur ce point, je partage l’avis de Mme la maire de Rennes, dont je comprends également l’origine de la pensée sur la question des métropoles et de leur maintien. Elles structurent, dans la loi, le territoire et il est difficile de faire sans elles. Mais, plutôt que de rester prisonniers d’une logique administrative qui consisterait à recombiner des frontières déjà définies, pour des raisons géographiques ou pour d’autres motifs un peu moins avouables, ne pourrait-on pas prendre en compte, outre les métropoles, les bassins de vie ?

La Révolution française avait d’ailleurs découpé le territoire à partir de ces bassins de vie. Certes, le critère retenu à l’époque – une journée de cheval – ferait sourire tout le monde aujourd’hui, si tant est qu’un grand nombre de personnes sachent encore monter à cheval, ce qui n’est pas certain. Mais, franchement, si nous regardions le territoire de cette manière, et M. Fromentin le disait à propos des ports, nous aurions une configuration du territoire très différente de la seule recombinaison des entités existantes que vous semblez nous proposer actuellement.

Si la réforme territoriale se limite à diminuer le nombre des départements, voire à les supprimer, pour diminuer en même temps le nombre des régions et les faire grossir, on sera passé à côté du sujet. D’ailleurs, l’inverse est vrai. Si l’on supprime les régions et qu’on fait grossir les départements, on sera passé également à côté du sujet.

Le problème est de savoir si l’on accepte que les bassins de vie président au redécoupage du territoire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion