Intervention de Armand de Rendinger

Réunion du 21 mai 2014 à 16h45
Mission d'information sur la candidature de la france à l'exposition universelle de 2025

Armand de Rendinger, ancien directeur de la promotion internationale du projet « Paris 2012 » :

Je suis très honoré de pouvoir apporter ma contribution à votre réflexion, qui me semble aller dans le bon sens.

Exposition universelle et Jeux olympiques sont deux événements planétaires de nature radicalement différente en termes d'enjeu, d'ampleur, de morale et d'opacité. L'image du pays à défendre et les étapes à franchir pour espérer gagner sont néanmoins quasiment identiques dans les deux cas.

Grossièrement, la candidature aux Jeux olympiques est déposée sur un « marché » détenu par 110 personnes qui votent à bulletin secret, mais qui, à force de vivre ensemble et de cooptation, se connaissent parfaitement. Trente ans de carrière dans le milieu de l'olympisme m'ont permis d'entretenir d'excellentes relations avec beaucoup d'entre elles, de me faire quelques amis, mais aussi de me forger une opinion sur ce monde dont les comportements ne sont pas forcément des plus professionnels.

Ces gens sont nommés « à vie » en fonction de leur qualité ou de leur statut, ce qui leur donne un droit et un pouvoir illimité sur le Graal olympique. En fin de compte, les membres du Comité international olympique (CIO) sont propriétaires des anneaux olympiques et accordent l'organisation des Jeux en fonction de critères techniques ou politiques, mais avant tout personnels. Contrairement aux diplomates ou intermédiaires nommés peu avant le vote pour l'attribution d'une exposition universelle, ils ne représentent pas leur pays d'origine au CIO ; leur objectif est de promouvoir l'idéal olympique dans leur pays comme représentants du CIO.

Les étapes de la promotion, les techniques de marketing, de communication et de lobbying, par contre, sont quasiment identiques pour les deux événements et reposent essentiellement sur le professionnalisme des acteurs. Dans les deux cas, on ne peut vendre un mensonge.

Vendre un projet, c'est vendre la marque d'un pays. À cet égard, quelle est la valeur de la marque France ? Quel intérêt les ambassadeurs des 160 pays ou les 110 membres du CIO pourraient-ils trouver à confier l'organisation de leur événement à un pays aussi marqué que le nôtre ?

Depuis sa publication, mon livre m'a valu beaucoup de félicitations de l'étranger, y compris des Russes, des Américains et des Coréens, mais très peu de la part de mes amis français. Alors qu'il a reçu en France un accueil défavorable, à l'étranger, il a servi de vade-mecum pour des candidatures qui ont gagné, en particulier celle de Sotchi.

Une étude comparée de l'image et de l'attractivité de vingt-cinq pays dans le domaine du sport m'a amené à la conclusion que l'image de la France change peu à l'étranger. Les interlocuteurs sont beaucoup plus exigeants vis-à-vis de la France qu'ils ne le sont de l'Allemagne ou de l'Italie, par exemple. On attend d'elle non seulement qu'elle respecte les protocoles, mais qu'elle sache aussi se montrer innovante et révolutionnaire, sans se départir de ses qualités traditionnelles – son savoir-faire, sa capacité à jouer avec les procédures administratives, par exemple. En d'autres termes, ses supporters voudraient être bousculés dans les règles.

Si le savoir-faire français inspire confiance à l'étranger, on est plus dubitatif s'agissant des relations que les Français entretiennent avec : l'argent, objet de culpabilité et d'envie, que l'on doit cacher au point de rendre les choses compliquées ; avec les jeunes, dont on s'inquiète que, malgré une des meilleures politiques familiales, ils descendent dans la rue et partent à l'étranger ; avec l'autre, qu'il soit le voisin de palier, l'immigré de banlieue, l'ami de couleur, la personne de confession religieuse ou politique différente ; enfin, avec le travail, que nos compatriotes considéreraient comme une tare dont il faut se défaire – cette impression très prégnante est souvent prise comme prétexte par les contempteurs de notre pays. On attend donc de la France qu'elle règle son problème psychologique vis-à-vis de ces quatre éléments fondamentaux.

Pour les Jeux olympiques de 2012, les choses s'étaient parfaitement déroulées jusqu'à trois mois du vote : nous étions les favoris, avec des gens talentueux comme Guy Drut et Jean-Claude Killy, un maire très impliqué, un soutien sain, une mobilisation de qualité, des partis politiques discrets. Puis la France s'est laissée emporter par un autre de ses maux, bien connu également à l'étranger ; le « bal des ego » a commencé : sûrs de gagner, les organisateurs n'ont plus pensé qu'à se répartir les pouvoirs et ils ont arrêté de travailler. Les Anglais, partis lentement, sont allés jusqu'au bout et ont fini par l'emporter de quatre voix, grâce à une campagne mettant en oeuvre tous les moyens de lobbying et de promotion, mais aussi grâce à l'unité de leur pays.

Les raisons de la défaite tiennent donc à un travail inabouti et à une candidature altérée par cette querelle des egos au cours des derniers mois. Alors que nous avions obtenu 50 voix – contre 17 voix pour les JO de Pékin en 2008, et 7 voix pour les Jeux d'Annecy en 2011 –, nous avons désormais, dans le monde olympique, une image de mauvais perdants, de gens incapables de capitaliser sur les personnes envers lesquelles nous devons nous montrer fidèles !

Autre différence de taille entre les deux événements, le déroulement de la campagne pour les JO est médiatisé à l'extrême et l'environnement dans lequel se prennent les décisions est relativement opaque. Ce n'est pas du tout le cas pour une exposition universelle.

À mon sens, la France ne peut mener de front deux candidatures, pour des raisons à la fois économiques et d'image. Si cela est possible vis-à-vis de l'étranger, ce serait incorrect vis-à-vis du peuple français, beaucoup plus regardant sur les budgets depuis la crise financière de 2008 et beaucoup moins enclin à laisser s'exprimer la passion. Aujourd'hui, on peut mobiliser la population à condition de jouer la transparence totale ; cela est compliqué dans le cadre des Jeux olympiques, mais beaucoup moins pour une exposition universelle, car les enjeux et les contraintes économiques sont différents.

Pour les Jeux, une fête qui dure seize jours, l'organisateur doit donner la garantie que tout sera prêt sept ans et un jour après qu'ils lui ont été attribués ; chaque minute de retard est très pénalisante, et le moindre aspect de l'organisation est sous pression. Pour l'exposition universelle, les conditions d'organisation sont différentes. Outre la transparence dont il faut faire preuve, il faut montrer, et notre pays a toute crédibilité à cet égard, qu'on organise l'exposition non pas pour vendre Paris ou la France, mais pour accueillir le monde entier. Dès lors, tout un dispositif devra être mis au service de cet objectif : communication, lobbying, marketing, financement. La France investira, certes, mais les étrangers eux-mêmes contribueront à cet investissement économique, administratif et technique. L'exposition universelle doit être pour la France l'occasion d'offrir au monde ce qu'elle a de plus beau, mais surtout d'inviter les exposants à montrer au monde entier ce qu'ils savent faire dans une structure d'accueil qui rend les miracles possibles. Le pays d'accueil est le coordinateur, le fédérateur ; il imprime sa patte. Et la patte de la France, c'est l'innovation et le savoir-faire.

Pour résumer, la France candidate à l'organisation de l'exposition universelle de 2025 devra présenter un management de projet, un dispositif de contrôle d'avancement des travaux, et engager un travail de lobbying et de communication très professionnel. Elle est tout à fait capable de se plier à ce genre d'exigence, car la nature de l'événement s'y prête bien.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion