Intervention de Norbert Röttgen

Réunion du 21 mai 2014 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Norbert Röttgen, président de la commission des affaires étrangères du Bundestag, coprésident :

Je remercie l'ensemble des parlementaires qui sont intervenus. Je vais à présent réagir aux propos que j'ai entendus, tout en précisant que nous n'aurons malheureusement pas le temps, chère collègue, d'aborder aujourd'hui le Traité transatlantique.

S'agissant du Rwanda, j'aurais pu dire mot pour mot ce que vient d'affirmer Hervé Gaymard. J'enverrai d'ailleurs à Norbert Röttgen les références du rapport de la commission d'enquête de 1998, dont les conclusions restent valables aujourd'hui, ainsi qu'un texte beaucoup plus court, résumant parfaitement notre position commune, qui a été publié dans la dernière lettre de l'Institut François Mitterrand par Hubert Védrine, secrétaire général de l'Élysée lors de ces événements.

Quant à la crise syrienne, elle constitue sans doute la plus grande tragédie depuis la seconde Guerre mondiale : on recense 150 000 morts en Syrie ; la moitié de la population y a été déplacée et un quart de celle-ci s'est réfugié à l'extérieur. Enfin, les attaques chimiques se poursuivent. Si nous ne sommes pas restés inactifs, il nous faut continuer à alerter l'opinion et cesser de détourner les yeux. Nous pourrions instituer des corridors humanitaires, comme l'a rappelé tout à l'heure Norbert Röttgen. Nous plaidons d'ailleurs en ce sens lors de toutes nos rencontres aux Nations unies, mais nous nous heurtons malheureusement à un blocage. Les Russes ont certes exercé une pression modérée sur Bachar el-Assad pour que nous puissions le faire par intermittences mais ils ne se montrent guère coopératifs sur ce sujet non plus. Nous sommes donc en train d'accumuler des preuves, grâce à nos services de renseignements respectifs, que nous remettrons aux Nations unies de sorte que M. el-Assad puisse un jour comparaître devant la Cour pénale internationale.

En Libye, le chaos règne : il n'y a plus d'État – et il n'y en a d'ailleurs jamais eu. La situation y est fort inquiétante puisque c'est de ce pays que proviennent les armes servant aux groupes terroristes du Sahel. Ce n'est pas rien, dans la mesure où Boko Haram est équipé de chars et non seulement d'armes de poing, de sorte que ce groupe peut pénétrer dans des bâtiments publics. La Libye constitue un foyer de déstabilisation. Et s'il est vrai que lorsque nous étions dans l'opposition, nous avons soutenu l'intervention militaire afin d'éliminer Khadafi, on ne s'est pas préoccupé des suites à donner à celle-ci. Or, une intervention militaire n'est jamais un but en soi. Nous partageons donc vos préoccupations à cet égard : une intervention militaire n'est utile qu'en cas de situation d'urgence, comme au Mali où, sans notre intervention, un gouvernement islamiste se serait installé à Bamako, qui aurait gouverné l'ensemble du pays, avec les risques de contagion que cela emporte. Si nous avons jugé qu'il fallait intervenir, c'est que c'était une question d'heures. Je reviendrai néanmoins sur les mesures à prendre pour éviter de mettre nos partenaires devant le fait accompli.

Il ne faudrait pas sous-estimer la gravité de l'expansion des groupes terroristes dans toute la bande du Sahel qui va de la Mauritanie, à l'ouest du continent, jusqu'à la Somalie, à l'est. Il s'agit là d'un sujet d'intérêt pour la sécurité européenne. S'agissant de notre sécurité économique, Nicole Ameline a évoqué tout à l'heure les actions que nous avons menées au large de la corne de l'Afrique afin d'y sécuriser la circulation maritime mais il faudrait en faire autant dans le Golfe de Guinée qui connaît le même phénomène – toute la drogue déversée dans l'Union européenne arrivant par là. Si vous avez tout à fait raison, Norbert Röttgen, d'évoquer nos intérêts économiques en Afrique, nous en avons également en Ukraine. C'est justement parce que nous avons des intérêts économiques à défendre que nous aurions intérêt à rapprocher nos points de vue. Mais plus encore, nous partageons collectivement un intérêt de sécurité majeur car de nombreux jeunes Français se rendent en Syrie pour y faire le djihad.

Jacques Myard ayant bien répondu sur la question algérienne, je n'ai rien à ajouter à ce propos.

S'agissant du Mali, l'intervention militaire fut rapide au départ et nous a permis d'empêcher ce que nous souhaitions éviter. Par ailleurs, pour ne pas répéter l'erreur commise en Libye, nous avons encouragé un processus politique, considérant encore une fois qu'une intervention militaire ne constituait pas un but en soi. Notre but politique était d'établir enfin un gouvernement démocratiquement élu qui, espérons-le, veuille éradiquer la corruption ayant miné ce pays. Les élections présidentielle et législatives s'étant bien déroulées – à la surprise générale –, nous avons insisté sans relâche pour que le gouvernement engage un dialogue avec les Touaregs dans le nord. Malheureusement, cela n'a pas été suffisamment fait de sorte que la situation se dégrade dans cette région et donne lieu à des incidents dramatiques. Nous ne cessons de faire pression car nous sommes convaincus comme vous que c'est par une action globale, intégrant l'humanitaire, le développement et la coopération politique, que nous parviendrons à aider ces pays africains à sortir de la grave situation dans laquelle ils se trouvent. Bien entendu, chaque pays représente un cas différent, ainsi que l'a parfaitement souligné Norbert Röttgen. Je ne pense donc pas non plus que l'on puisse adopter de stratégie complète à l'égard de ce continent. Si la France s'est dotée d'une stratégie africaine globale, c'était afin de rompre avec les fâcheuses habitudes de la Françafrique, malheureusement entretenues par différents gouvernements de notre pays, ayant consisté à mêler des intérêts financiers concrets et à fermer les yeux sur le maintien de gouvernements qui ont pillé leurs pays respectifs. Tout cela est terminé. Nous surveillons d'ailleurs mois après mois, avec les responsables européens, l'utilisation concrète des aides européennes qui sont versées au Mali.

Je remercie Norbert Röttgen d'avoir souligné qu'il convenait de soutenir la Tunisie : il s'agit certes d'un petit pays mais il n'en est pas moins emblématique. Si la Tunisie réussit, cela aura un impact ailleurs. Je n'ai rien à ajouter aux propos de Jacques Myard sur l'Égypte, celui-ci ayant rédigé un rapport d'information sur le sujet avec Jean Glavany. Cela étant, il me paraît important que nous puissions adopter une démarche commune à l'égard de ces pays, ainsi que l'a souligné Michel Destot, et que nous essayions d'anticiper nos actions. Si cela fut impossible au Mali, Hervé Gaymard a néanmoins bien rappelé que nous avions accompli une démarche coopérative aux Nations unies. En tout état de cause, il conviendrait que nous puissions prendre l'habitude de travailler davantage à l'échelle bilatérale ainsi qu'au sein de l'Union européenne de manière à parvenir à construire des consensus, à nous partager le travail, et quelquefois, à agir ensemble – comme nous le faisons en Ukraine. Et il est normal que la France ait davantage de liens avec l'Afrique, et l'Allemagne, avec la Russie, car cela découle de l'Histoire, de la géographie et de la culture. Nous ne devons pas en prendre ombrage mais essayer, chaque fois que cela est possible, de faire progresser nos valeurs.

Si nous ne nous occupons pas ensemble de l'Afrique, d'autres États, tels que la Chine, le feront et ce, avec des visées souvent prédatrices. Nous aurions donc intérêt à être beaucoup plus actifs sur ce continent.

S'agissant enfin du Traité transatlantique, nous abordons la négociation de façon positive et offensive. Nous sommes très attentifs au respect du mandat confié au négociateur européen – mandat dans lequel figurent d'ailleurs nos lignes rouges. Nous avons exprimé des réserves à l'égard du mécanisme d'arbitrage de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) dans la mesure où il ne respecte pas la législation des États. In fine, nous déciderons que faire en fonction de l'équilibre qui nous sera présenté dans le cadre des négociations. Nous tiendrons d'ailleurs demain matin un débat en séance publique sur ce sujet. Si nous sommes par conséquent favorables à la poursuite des négociations, nous protégerons nos intérêts défensifs et exprimerons des demandes offensives telles que l'ouverture des marchés publics américains – sachant que les nôtres sont ouverts à 80 % et les leurs, à 25 %.

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