Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 27 mai 2014 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Ce projet de loi n'a plus de secrets pour vous, puisque vous y travaillez depuis plusieurs mois : le rapporteur a conduit de nombreuses auditions, et vous vous êtes vous-mêmes fortement impliqués sur le texte.

Ce texte affiche clairement ses intentions et son ambition : individualiser les peines et prévenir la récidive. J'insiste sur le fait que la prévention de la récidive consiste non seulement à lutter contre la récidive, ce que nous allons continuer de faire, mais aussi à prévenir celle-ci, c'est-à-dire à éviter la commission de nouveaux actes de délinquance par des personnes ayant été confiées à l'administration pénitentiaire, en milieu fermé ou en milieu ouvert, et à faire en sorte qu'il n'y ait pas de nouvelles victimes.

Nous sommes partis d'un constat d'échec sur la prévention de la récidive et sur la lutte contre la récidive telle qu'elle était conçue par les politiques pénales précédentes.

Je passerai rapidement sur certains éléments, que je souhaite néanmoins évoquer car ils font partie de l'état des lieux. J'estime que le sujet est trop important pour céder à la polémique et aux positionnements partisans, d'où la méthode que nous avons adoptée.

Je passe donc rapidement sur la centaine de lois qui ont été adoptées dans les dix dernières années pour modifier le code pénal et le code de procédure pénale. Je me bornerai à indiquer que la population carcérale a augmenté de 35 % en dix ans, ce qui ne correspond ni à l'évolution du taux démographique, ni même à celle des taux de délinquance. Un certain nombre de textes ont été adoptés en affichant clairement la volonté de lutter contre la récidive. On constate néanmoins qu'entre 2001 et 2012, le taux de condamnation en état de récidive légale est passé de 4,9 % à 12,1 %. Les sorties sèches, qui sont le terreau de la récidive, sont de 80 % en moyenne, et même de 98 % pour les courtes peines, faute de temps nécessaire pour organiser un programme de préparation à la sortie. Les juges se sont retrouvés contraints dans leurs décisions, et les victimes instrumentalisées et négligées. Je le dis haut et fort, et je l'étayerai au besoin par des éléments précis : il vient un moment où il faut mettre un terme aux mauvais procès.

Il aurait certes été facile, compte tenu de tout le matériau dont nous disposions déjà, de défaire ou de corriger ce qui avait été fait. Mais nous avons choisi d'adopter une méthode rigoureuse, en mettant en place une conférence de consensus, qui a élaboré un état des savoirs à l'échelle nationale et internationale, en cherchant à identifier les facteurs et les programmes efficaces dans la prévention de la récidive, avant de présenter une douzaine de préconisations, à partir desquelles nous avons ouvert trois « tours » de consultation très larges. Nous avons consulté les représentants de tous les métiers judiciaires et pénitentiaires, mais également les représentants syndicaux de la police et le comité de liaison de la gendarmerie, ainsi que les associations de victimes et d'aide aux victimes et les associations d'insertion et de réinsertion – la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS), présidée par M. Louis Gallois, la Fédération des associations réflexion-action, prison et justice (FARAPEJ), le Groupement étudiant national d'enseignement aux personnes incarcérées (GENEPI)… Nous avons bien sûr consulté le Conseil national d'aide aux victimes (CNAV), qui n'avait pas été réuni depuis 2010. Le processus interministériel a ensuite suivi son cours. Sur cette base, nous avons élaboré les principes directeurs du projet de loi.

Quels sont-ils ? La peine doit être adaptée à la gravité des faits, à leur effet sur la victime, et au parcours et à la personnalité de l'auteur des faits. Cette adaptation doit être possible pour les juges ; autrement dit, nous devons redonner une marge d'appréciation aux magistrats. Il faut également faire en sorte que cette individualisation de la peine soit effective au moment du prononcé de la peine, mais aussi jusqu'à l'exécution de la peine et après, puisque nous avons mis en place des dispositifs d'accompagnement et d'encadrement. Il convient pour cela de mobiliser, de coordonner et de mieux articuler l'action conduite par les services de l'État, par les collectivités territoriales qui agissent déjà et par les associations.

Deux articles principaux constituent la colonne vertébrale de ce texte.

L'article 1er indique les finalités et les fonctions de la peine, le sens de la peine et les objectifs qui lui sont assignés : sanctionner l'auteur des faits, protéger la société et contribuer à réparer le préjudice subi par les victimes ; préparer la réinsertion, voire la désistance, c'est-à-dire la sortie du parcours de délinquance. Nous enrichissons ici utilement l'article 132-24 du code pénal.

L'article 11 énonce les principes qui doivent présider à l'exécution de la peine. Il rassemble les dispositions relatives aux droits des victimes, jusqu'ici dispersées dans le code de procédure pénale, que nous renforçons, notamment dans la phase de l'exécution de la peine, de manière à assurer la tranquillité et la sûreté des victimes.

Autour de ces deux articles essentiels, nous avons prévu une série de dispositifs permettant de traiter avec efficacité les délits – puisque, je le rappelle, le texte concerne les faits délictuels.

Le principe de l'individualisation de la sanction est rappelé dans les articles 2 et 3. Pour qu'il soit effectif, il faut mettre à la disposition des magistrats les éléments qui leur permettent de prononcer la sanction la plus adaptée, celle qui sera la plus efficace. C'est la raison pour laquelle l'article 4 ouvre une possibilité de césure du procès pénal : une première audience permettra de reconnaître la culpabilité, mais aussi, si les éléments nécessaires ont pu être rassemblés, de fixer les réparations dues à la victime ; la seconde, tenue quatre mois au plus tard après la première, permettra de prononcer la peine la plus adaptée.

Nous redonnons une marge d'appréciation aux magistrats par la suppression des automatismes. Nous l'avons constaté, ceux-ci ne contribuent pas à réduire la récidive. Nous avons fait procéder à des études rigoureuses et incontestables, dont nous vous donnerons les chiffres.

Nous supprimons donc les automatismes, notamment en ce qui concerne les révocations. Le magistrat pourra décider de révoquer les sursis ; c'est l'automatisme qui disparaîtra.

Je l'ai dit, des études sérieuses ont été conduites non seulement en France, mais aussi en Europe et dans d'autres pays. Ces études incontestées ont montré que les conditions dans lesquelles l'aménagement de peine était effectué étaient de nature à améliorer – ou non – l'efficacité de la lutte contre la récidive. Je m'attends à une discussion sur les seuils, puisque le projet modifie ceux qui avaient été retenus par la loi pénitentiaire de 2009.

Pour prévenir la récidive, il faut traiter toutes les situations, mais surtout constater ce qui fonctionne. Les éléments statistiques dont nous disposons montrent que la récidive est beaucoup moins forte lorsque les peines ont été exécutées en milieu ouvert, d'où l'importance de travailler sur ce champ. C'est la logique de la contrainte pénale, qui est une peine en soi, exécutée en milieu ouvert, qui sera prononcée par les magistrats en fonction de l'appréciation qu'ils porteront sur les faits, le préjudice à la victime et le parcours et la personnalité de l'auteur. Exécutoire par provision, elle n'aura pas les défauts des peines actuelles, qui peuvent – selon les dispositions de la loi pénitentiaire de 2009 – être aménagées jusqu'à deux ans d'emprisonnement ferme. Adaptable et modulable, elle pourra donner lieu à des incarcérations en cas d'échec, y compris à plusieurs reprises. Cela suppose de travailler de façon plus méthodique sur l'intervention des services de l'État, des collectivités, avec lesquelles nous avons déjà signé des conventions, et des associations qui interviennent.

Nous avons donc articulé plus clairement les fonctions respectives des juges de l'application des peines (JAP) et des conseillers d'insertion et de probation. Nous avons aussi prévu des dispositions qui permettent aux forces de sécurité de contribuer au contrôle, par des retenues ou des visites domiciliaires sous le contrôle du juge. Seront en effet introduites dans le fichier des personnes recherchées les obligations et les interdictions particulières les plus importantes ; cela permettra de veiller à l'exécution et au respect des dispositions de la contrainte pénale. Les visites domiciliaires pourront par exemple concerner une suspicion de détention d'armes si celle-ci fait l'objet d'une interdiction.

Nous combattons les sorties sèches, qui sont le terreau de l'aggravation de la récidive. Les mécanismes mis en place ces dernières années visaient en réalité à gérer les flux carcéraux. Nous ne nous situons absolument pas dans cette logique, mais dans celle du sens de la peine et de l'efficacité de la peine prononcée. Nous supprimons d'ailleurs ces mécanismes, qui ne sont pas efficaces tels qu'ils ont été conçus, avec des procédures écrites. Il s'agit de la procédure simplifiée d'aménagement de peine et de la surveillance électronique en fin de peine.

En revanche, nous instituons un dispositif de rendez-vous judiciaire aux deux tiers de la peine exécutée. Il permettra au JAP et à la commission de l'application des peines (CAP) de travailler sur le projet du détenu, accompagné par le conseiller d'insertion et de probation, et de prononcer, si la CAP l'estime nécessaire, une décision de libération sous contrainte ou de maintien en détention. Ce dispositif s'applique aux courtes peines.

Nous avons également prévu un dispositif de rendez-vous judiciaire, mais plus lourd, avec un débat contradictoire, pour les peines supérieures à cinq ans. Vous le savez, le texte concerne les délits pour lesquels la peine encourue est inférieure ou égale à cinq ans.

Pour garantir l'efficacité des dispositions de ce projet de loi, les effectifs du corps des conseillers d'insertion et de probation vont être augmentés de 25 % en trois ans, ce qui est sans précédent dans la fonction publique. Nous avons engagé un travail interministériel pour mobiliser les services de l'État, à savoir les ministères du Travail, de la Santé, du Logement, ainsi que de l'Éducation nationale, le taux d'illettrisme étant très élevé dans la population carcérale. Nous avons également pris un certain nombre de dispositions relatives à l'organisation de l'administration pénitentiaire. La direction de l'administration pénitentiaire travaille depuis plusieurs semaines avec les syndicats à la réorganisation de l'organigramme. Enfin, nous renforçons les conseillers d'insertion et de probation. Nous faisons même plus : nous travaillons sur les profils de recrutement, les méthodes, les outils d'analyse et d'évaluation et la formation initiale et continue.

Nous ne touchons pas à l'échelle des peines. Mais compte tenu de la complexité de notre code pénal, j'ai chargé une mission présidée par M. Bruno Cotte, ancien président de la chambre criminelle à la Cour de cassation et président de chambre à la Cour pénale internationale, de réfléchir – jusqu'à fin 2015 – sur l'architecture même de l'exécution et de l'application des peines.

Contrairement à ce que l'on entend dire de manière inqualifiable, ce texte ne vise ni à supprimer ni à remplacer la prison. Je le répète, l'échelle des peines n'est pas modifiée ; nous enrichissons l'arsenal répressif mis à la disposition des juges. Il s'agit de sortir de la démagogie et de l'irresponsabilité. Les intentions et l'ambition du Gouvernement sont clairement affichées dans l'intitulé du projet de loi. Nous allons même plus loin, puisque nous sommes en train d'achever une réforme des outils statistiques, aussi bien au niveau du ministère de l'Intérieur qu'au niveau du ministère de la Justice. Conformément aux dispositions de la loi pénitentiaire de 2009, nous avons créé l'Observatoire de la récidive et de la désistance.

Enfin, nous proposons que l'efficacité des dispositions du texte sur la prévention de la récidive soit mesurée au bout de trois ans.

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