Intervention de Dominique Raimbourg

Réunion du 27 mai 2014 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Raimbourg, rapporteur :

Je commencerai par un constat. J'ai eu la chance d'avoir un peu de temps pour travailler ; j'ai donc procédé à 300 auditions. Le constat est un peu attristant quant aux dysfonctionnements de notre système pénal. Au cours des trente dernières années, nous avons demandé à la justice de prendre de plus en plus de place dans notre société, de juger de plus en plus de faits, sous la pression de la mise en place des conseils communaux de prévention de la délinquance, devenus conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), puis du service de traitement direct, qui a mis en contact téléphonique permanent les officiers de police judiciaire (OPJ) et les substituts du procureur, ce qui s'est traduit par la mise en place d'un indicateur de l'efficacité de la justice pénale, le taux de réponse pénale. Si cet indicateur est important, il a poussé la justice à traiter de plus en plus de dossiers.

Le présent texte ne concerne que les délits, c'est-à-dire les 600 000 cas qui sont jugés chaque année par les tribunaux. Il ne concerne pas les 2 500 arrêts de cours d'assises.

Pour mesurer l'importance de l'accroissement du travail de la justice, il suffit de rappeler qu'entre 2001 et aujourd'hui, le nombre de jugements correctionnels est passé de 450 000 à 600 000, sachant que les moyens humains et matériels n'ont quasiment pas augmenté. Les difficultés de notre justice se traduisent dès lors par un dysfonctionnement dans le triptyque pénal, c'est-à-dire dans les relations entre la police et la justice comme entre la justice et l'administration pénitentiaire. Ce dysfonctionnement est perceptible dans les délais : les policiers se plaignent de la lenteur du traitement de leurs dossiers. Pour comprendre ce qu'il en était, je me suis astreint à une lecture assidue de la rubrique des faits divers dans mon quotidien régional. La semaine dernière, un groupe de cambrioleurs a été arrêté. Ses membres sont convoqués devant le tribunal correctionnel, mais pour juin 2015 ! Tout cela perd son sens : les juges seront conduits à juger des cambrioleurs qui auront évolué, que ce soit en bien – ce que l'on peut espérer – ou en mal.

À l'autre bout de ce qu'il faut bien appeler la chaîne pénale, quand bien même ce terme déplaît à certains, les délais d'exécution sont très longs et lents. La lecture de l'Infostat Justice de la fin de l'année 2013 nous montre que la mise à exécution des décisions d'incarcération demande en moyenne neuf mois. Or durant ce délai, la situation de l'intéressé peut évoluer. De là vient le malaise de la justice, malaise perçu par nos concitoyens, qui ont le sentiment que tout cela tourne à vide.

Cette situation a appelé des réactions. Sous le précédent quinquennat, et plus généralement entre 2002 et 2012, la droite a bien senti ces difficultés. Étonnamment, elle s'est concentrée pour y répondre sur ce qui marche le mieux, à savoir l'audience. Elle a considéré que c'était la sévérité de la peine qui posait problème. Nous en voyons la trace : la durée moyenne d'incarcération a augmenté, et l'effort de construction de places de prison n'a pas suffi. Le 1er juillet 2001, on dénombrait 49 718 détenus pour 49 043 places de prison. Le 1er juillet 2013, nous disposions – au terme d'un effort méritoire – de 57 320 places de prison ; dans le même temps, le nombre de détenus était passé à 68 569. Ces chiffres mettent à mal le raisonnement qui voudrait que l'on construise toujours plus de places de prison. Le vieil adage selon lequel plus l'on construit de places et plus l'on met de prisonniers dedans semble se vérifier. Certes, nous n'avons pas assez de places ; mais faut-il vraiment se fixer l'objectif d'incarcérer 80 000 personnes à l'horizon de 2017 ?

En outre, il faut rappeler que le coût de construction d'une place de prison oscille autour de 100 000 euros, et que le coût d'une journée de détention s'établit à 97 euros et quelques centimes – il s'agit là d'une moyenne. La politique que nous menons doit donc s'adapter aux moyens ; nous devons répondre à la question de la délinquance avec les moyens qui sont les nôtres et qui seront les nôtres demain, sans nous leurrer sur un futur qui nous permettrait de disposer de places de prison qui ne sont peut-être pas utiles.

Ce constat fait, j'en viens aux trois principaux volets du texte.

Le premier volet concerne les victimes, dont les droits sont remis à jour. Certes, elles en ont déjà ; mais il est important qu'elles soient informées de leurs droits et que la mise en oeuvre de ces droits fonctionne. L'un des amendements que je vous proposerai vise à créer une sur-amende sur les amendes correctionnelles, destinée à abonder un fonds en direction des associations d'aide aux victimes.

Le deuxième volet important du texte concerne la lutte contre la récidive par le contrôle des sortants de prison. Permettez-moi ici d'apporter une précision sémantique. En matière correctionnelle, le terme de récidive n'a aucun sens, puisqu'il ne concerne que les personnes condamnées à nouveau pour le même délit. Or c'est contre la réitération – c'est-à-dire la commission de plusieurs délits et la poly-délinquance – qu'il faut lutter.

Peu nombreuses sont les études sur cette question de la réitération. Mais l'étude de Mme Annie Kensey et M. Abdelmalik Benaouda, présentée à l'occasion de la conférence de consensus, tend à prouver que plus l'on prépare les détenus à la sortie de prison, et moins il y a de réitération. Le constat est aujourd'hui le suivant : 80 % des sortants de prison ne bénéficient d'aucun suivi et d'aucun contrôle. Pour les condamnés à une peine de six mois ou moins, ce taux monte à 98 %. C'est l'une des raisons pour lesquelles nos concitoyens ont le sentiment que le triptyque police-justice- pénitentiaire ne fonctionne plus.

Ce texte consent un effort important pour faire en sorte qu'il n'y ait plus de sorties sèches : le dispositif de libération sous contrainte ; l'embauche de 1 000 conseillers d'insertion et de probation supplémentaires, qui portera les effectifs des services d'insertion et de probation (SPIP) à 5 000 agents, soit un effort équivalent à 25 % des effectifs ; l'association des forces de police et de gendarmerie au suivi des sortants de prison. On peut s'étonner que dans un pays comme le nôtre, les services de police et de gendarmerie ne soient informés ni des sorties de prison, sauf dans certains cas, ni des interdictions qui pèsent sur les sortants. Il y a là un grave dysfonctionnement. Nous avons besoin d'une coopération entre les services de police et la justice.

Le texte met en place cette coopération, par le biais de l'inscription au fichier des personnes recherchées, qui est notamment consulté lors des contrôles routiers. Seront désormais inscrites sur ce fichier les interdictions qui pèsent sur un certain nombre de condamnés en milieu ouvert et de sortants de prison.

Comme vous le verrez au travers des amendements, il me semble nécessaire d'aller plus loin et d'organiser la coopération entre les services de police et la justice. Celle-ci pourrait se faire au sein des états-majors de sécurité, qui sont l'une des cellules des conseils départementaux de prévention de la délinquance, et des cellules de coordination des zones de sécurité prioritaires. Dans certains cas, il pourrait également être utile de vérifier ce que font les sortants de prison. Je propose donc de mettre en place de la géolocalisation et des écoutes téléphoniques pour certains sortants de prison.

Pour éviter les sorties sèches, et pour éviter que certains n'exécutent leur peine jusqu'au bout, en refusant toute mesure d'aménagement de fin de peine, dans le but d'échapper à un contrôle et à un suivi à la sortie, je vous proposerai un mécanisme de conditionnalité du crédit de réduction de peine. Le juge aura ainsi la possibilité de révoquer le crédit de réduction de peine en cas de violation de certaines interdictions qu'il aura posées avant la sortie.

Le troisième volet important du texte concerne l'individualisation : nous supprimons les automatismes. Je précise qu'il s'agit non pas d'une espèce d'acharnement idéologique contre les peines plancher, mais de la prise en compte du réel. Les peines plancher ont représenté 42 000 condamnations sur cinq ans. Dans le même temps, les tribunaux correctionnels rendaient 3 millions de décisions. Statistiquement, nous sommes donc passés à côté de l'objectif visé. Là encore, on s'est fondé sur la notion de récidive, qui n'a guère de sens en matière correctionnelle. Je l'ai expliqué tout à l'heure, récidive et réitération ne sont pas la même chose. Les chiffres nous le confirment : en 2010, 52 993 personnes ont été condamnées en récidive et 134 799 en réitération. Le mécanisme des peines plancher aboutit donc à poursuivre artificiellement les récidivistes plutôt que les réitérants. On ne peut fonder une politique pénale sur ces concepts.

La fin de l'automaticité en matière de révocation des sursis simples est un mécanisme important. Certaines peines ne sont pas inscrites au casier judiciaire. Lorsque le juge condamne à nouveau, il révoque donc sans le savoir un sursis simple, ce qui aboutit à des situations difficiles. J'ai passé une matinée dans le cabinet d'un JAP. Est arrivé un homme qui avait eu quelques démêlés avec la justice et qui, pour reprendre une expression populaire, n'était sans doute pas un enfant de choeur. Incarcéré en 2009, il avait effectué dix-huit mois de prison, à raison d'un an plus six mois. Pour une raison incompréhensible, un sursis de 2006 n'avait pas été ramené à exécution. Début 2014, il a donc été convoqué par le JAP. « Monsieur, lui a-t-on dit, il ne semble pas que ce sursis ait été mis à exécution, alors qu'il a été révoqué par la peine de 2009. » Après vérification auprès du greffe de la prison, on a constaté qu'en effet, cette peine n'avait pas été exécutée. L'intéressé a donc effectué cette année une peine d'incarcération d'un mois pour une condamnation datant de 2006. Il n'a pas compris que huit ans après, alors que sa situation avait grandement évolué, on vienne lui demander d'exécuter cette peine. Dans le cas présent, la situation n'était pas dramatique ; mais dans certains cas, elle peut l'être. C'est un dysfonctionnement, et c'est pourquoi nous avons prévu que le sursis ne soit révoqué que lorsque le juge le dira : les mécanismes automatiques disparaissent.

Nous mettons en place la contrainte pénale, qui a tant fait jaser. N'oublions pas que selon l'étude d'impact, elle s'appliquera à environ 20 000 personnes, à rapprocher des 160 000 condamnées chaque année à des sursis avec mise à l'épreuve.

Nous reviendrons sur les amendements dans le cours de la discussion. En ce qui concerne l'exécution de la peine, nous tendons à aligner le régime des récidivistes sur celui des non-récidivistes, pour des raisons qui ont déjà été développées, et notamment parce que nous avons besoin de suivre ces personnes à l'extérieur.

Puissions-nous adopter à une large majorité ce texte qui se veut un début de prise en compte du réel, c'est-à-dire des flux, dans un système de justice, de police et de prisons qui a bien besoin d'être rénové.

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