Intervention de Georges Fenech

Réunion du 27 mai 2014 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorges Fenech :

Vous avez qualifié certaines critiques d'inqualifiables, madame la garde des Sceaux. Souffrez néanmoins d'en entendre certaines qui reflètent très largement l'opinion publique. Rappelons que, selon tous les sondages, 75 % des Français sont hostiles à votre réforme.

Avant d'évoquer les deux mesures phares du texte, à savoir la suppression des peines plancher et l'instauration de la nouvelle peine baptisée contrainte pénale, permettez-moi de faire quelques observations préliminaires.

Je relève d'abord que l'examen de ce projet a été opportunément repoussé après les élections municipales et les élections européennes. Il est vrai que les sondages lui étaient très défavorables. Du reste, cela n'a pas évité la déroute de la majorité lors de ces deux scrutins. Je vous suggère donc de tenir compte de ce désaveu infligé à la politique du Gouvernement, dont votre politique pénale est l'un des enjeux les plus emblématiques, pour retirer ce projet de loi de l'ordre du jour. Il n'apporte aucune plus-value, introduit de la complexité, repose sur un certain angélisme et adresse un message de laxisme dangereux pour la sécurité de nos concitoyens.

Que M. le président de la Commission veuille bien me pardonner de rappeler une de ses déclarations, selon laquelle mieux vaut voter les textes qui font polémique lorsque les Français sont en maillot de bain. Or ce texte fait polémique. Si toutefois, madame la garde des Sceaux, vous vous obstinez à le défendre, si vous persistez dans une forme d'aveuglement idéologique, alors croyez-moi, les députés de l'opposition – certes peu nombreux ce matin – seront au rendez-vous lors de son examen en séance publique. Mais je remarque que la dévitalisation de la sanction pénale, sous-jacente à ce projet, intervient à l'heure où l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales enregistre une envolée de la délinquance. Dès lors, était-il opportun d'envoyer en direction de sa frange la plus endurcie un tel message de laxisme ?

Je rappelle les déclarations faites le 18 décembre 2013 par le général Bertrand Soubelet devant la mission d'information sur la sécurité à laquelle j'appartiens : « Quand vous lâchez 65 % de ceux qui se sont rendus coupables d'un certain nombre d'exactions, comment voulez-vous que les chiffres baissent ? ». On ne peut être plus clair sur l'état de découragement des forces de l'ordre.

C'est sans doute, d'ailleurs, l'une des raisons de l'affrontement qui vous a opposée, tout l'été 2013, à votre collègue alors en charge de l'Intérieur, Manuel Valls, lequel avait alerté le président de la République pour dénoncer un texte reposant « sur un socle de légitimité fragile » et fustiger « le bref délai » dans lequel avait été conduite la réflexion au sein de la conférence dite « de consensus ». En guise de conférence de consensus, nous avons d'ailleurs plutôt assisté à une conférence de « préconvaincus », soigneusement triés sur le volet pour atteindre un seul objectif : donner un caractère pseudo-scientifique au projet de loi. Les associations de victimes s'en sont d'ailleurs publiquement offusquées.

Force est de constater qu'une fois devenu Premier ministre, Manuel Valls n'exprime curieusement plus les mêmes objections à l'égard du texte. Les Français apprécieront cette volte-face, véritable renoncement à assurer la sécurité des Français.

J'en arrive, madame la ministre, à l'examen des deux mesures phares de votre projet : la suppression des peines plancher et l'institution de la contrainte pénale.

Alors que les peines plancher correspondent à une logique de graduation de la peine, applicable depuis le primo-délinquant jusqu'au récidiviste et au multi-récidiviste, vous avancez trois arguments pour justifier leur suppression.

Selon vous, ces peines seraient d'abord à bannir comme étant quasi automatiques, voire automatiques, et donc contraires au principe de l'individualisation des peines et de la libre appréciation du juge. Mais si tel avait été le cas, à coup sûr, le dispositif aurait été censuré par le Conseil constitutionnel. Or celui-ci a pourtant jugé, le 9 août 2007, que l'instauration des peines minimales ne portait atteinte ni au principe de nécessité ni au principe d'individualisation des peines.

En réalité, la loi du 10 août 2007 permet au juge de descendre en dessous du seuil légal en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur, ou lorsqu'il constate des efforts sérieux de réinsertion. La seule obligation du juge est de motiver sa décision – ce qui est bien le moins. D'ailleurs, l'application de cette loi est devenue plus rare depuis son entrée en vigueur : elle a concerné 50 % des situations éligibles en 2007, 43 % en 2008, 41 % en 2009, 38 % en 2010 et 37 % en 2011. Une peine éligible sur trois tient donc compte de l'état de récidive. Monsieur le rapporteur, si vous jugez le dispositif insatisfaisant en raison du caractère trop précis de la notion de récidive, rien ne vous empêchait d'étendre son application aux faits de réitération. C'est d'ailleurs le sens d'un amendement présenté par le groupe UMP.

On le voit, l'argument de l'automaticité est un faux prétexte pour masquer votre véritable intention – et cela fait sans doute partie des critiques « inqualifiables » – : vous avez l'intention d'éviter l'emprisonnement et de vider les prisons. Oui, monsieur le rapporteur, je crois qu'il faut adapter notre parc immobilier pénitentiaire au niveau de la délinquance que connaît notre pays, et non pas adapter la lutte contre la délinquance aux moyens dont dispose l'administration pénitentiaire.

Il est d'ailleurs étonnant d'entendre parler systématiquement de « surpopulation carcérale ». Est-ce que l'on parle de « surpopulation médicale » ? Non, l'expression employée est : « sous-équipement médical ». C'est aussi le cas en matière pénale : nous faisons face à un cruel sous-équipement carcéral que vous ne voulez pas prendre en compte.

Les Français ne s'y trompent pas, d'ailleurs. L'idée, pour le moins paradoxale, qu'un texte affichant l'objectif de lutter contre la récidive doit prévoir la suppression des sanctions minimales pour les récidivistes n'a pas convaincu l'opinion, comme je viens de le rappeler.

Je constate au passage – et c'est l'un des volets les plus critiquables du projet de loi – que vous souhaitez rendre automatique l'examen d'une libération conditionnelle aux deux tiers de la peine, ce que vous appelez d'une jolie formule le rendez-vous avec le juge d'application des peines. Mais pourquoi vouloir rendre un tel rendez-vous automatique si vous êtes, par principe, opposés à l'automaticité ? Le même principe serait-il donc acceptable pour la sortie de prison et non pour l'entrée ? Nous sommes en pleine démagogie.

Autre critique que vous adressez aux peines plancher : celles-ci seraient à l'origine d'une surpopulation carcérale par l'effet de l'allongement de la durée des peines. Mais cet allongement est bien le but recherché, car un récidiviste doit être condamné plus sévèrement qu'un primo-délinquant. Il est en effet établi qu'environ 50 % des infractions sont le fait de seulement 5 % de délinquants les plus endurcis. Je sais que vous contestez cette analyse, selon vous inventée par Nicolas Sarkozy lors d'un discours à Grenoble. C'est du moins ce que vous avez expliqué à l'occasion d'une de vos nombreuses conférences de presse – en dépit des usages, vous avez en effet assuré de votre projet de loi un « service avant vente » pour tenter de désamorcer les critiques. Mais en réalité, ces chiffres viennent d'une étude menée en Grande-Bretagne – dont la situation est comparable à celle de la France – et sont le résultat du travail d'un sociologue-criminologue, Jerry Ratcliffe, confirmé par un criminologue français parfaitement respectable, Sebastian Roché, lequel explique que la récidive est le fait d'environ 5 % seulement des délinquants.

Il faut rappeler que l'on n'incarcère pas plus en France qu'ailleurs. Alors que le taux de détention, en Europe, est de 122 incarcérés pour 100 000 habitants, il est de 100 en France, de 130 en Espagne, de 150 au Royaume-Uni et de 210 en Pologne. La prison ferme représente aujourd'hui, en France, seulement 17 % des condamnations pénales. Il s'agit d'une réalité statistique objective et indiscutable, même si je sais que vous la discutez en faisant appel aux anciens pays du bloc soviétique – lesquels incarcèrent beaucoup, paraît-il.

Le phénomène de surpopulation carcérale, madame la ministre, est la conséquence de votre refus d'agrandir le parc pénitentiaire et de nous mettre ainsi aux normes européennes. En 2011, la France comptait 56 562 places, contre 75 647 en Espagne, 77 689 en Allemagne et 96 158 en Grande-Bretagne : on voit bien la différence.

Votre troisième argument est de prétendre que les peines plancher n'ont en rien fait reculer la récidive. C'est ce que vous avez déclaré le 22 août 2013 : « Aujourd'hui, nous connaissons un taux de récidive légale de plus de 57 %. […] Non seulement le taux de récidive n'a cessé d'augmenter, mais les peines plancher l'ont aggravé. » Pour justifier votre analyse, vous vous appuyez sur une enquête de 2011 démontrant que les sortants de prison, depuis 2002, ont récidivé à proportion de 59 %. Mais aucune étude similaire n'ayant été réalisée depuis 2007, date de l'institution des peines plancher, on voit mal comment vous pouvez affirmer que le taux de « recondamnation » a grimpé ces cinq dernières années.

En réalité, et vous l'avez reconnu vous-même, la récidive légale est en hausse constante depuis des années : 12 % de récidive en 2011, contre 4,4 % en 2004. Je vous le concède : on ne peut pas dire que les peines plancher, à elles seules, ont réussi à enrayer la hausse de la récidive. Mais vous ne pouvez pas dire non plus qu'elles ont conduit à son aggravation.

J'en viens à la deuxième mesure phare du projet de loi, la contrainte pénale. Qu'y a-t-il de nouveau, sinon un habillage de l'existant : sursis avec mise à l'épreuve, travaux d'intérêt général, surveillance électronique, injonction de soins, etc ? Son véritable objet, là encore, est de vider les prisons en évitant de les remplir en amont.

J'appelle d'ailleurs votre attention sur les risques réels d'inconstitutionnalité que présente la contrainte pénale. Je ne suis pas le seul, puisque Robert Badinter l'a fait également. Vous portez en effet atteinte par ce dispositif à trois principes généraux du droit : celui du non bis in idem, selon lequel on ne juge pas deux fois pour les mêmes faits ; le principe de l'interdiction des peines indéterminées ; et l'égalité des citoyens devant la peine. Parce qu'il bafoue ces trois grands principes, ce texte risque donc d'être censuré par le Conseil constitutionnel. C'est pourquoi je présenterai en séance une motion de rejet préalable

Le projet de loi initial prévoyait par ailleurs un mécanisme s'apparentant, pour les condamnés ayant purgé leur peine, au droit opposable, ce qui aurait eu pour effet de leur donner plus de droits – droit au logement, droit au travail, etc. – qu'aux citoyens honnêtes, grâce à une mise en commun des moyens de l'État, des collectivités locales et des associations. Retiré du projet de loi, ce dispositif réapparaît aujourd'hui sous la forme d'un amendement présenté par notre collègue Dominique Raimbourg. Nous reviendrons longuement sur cette proposition qui dépasse tout ce que l'on aurait pu imaginer et nous fait perdre nos repères. Il n'est pas question d'imaginer une seconde que puisse être instauré un dispositif plus favorable, en termes de droits sociaux, aux condamnés qu'aux honnêtes citoyens.

En définitive, madame la ministre, votre projet s'inscrit à contre-courant des attentes légitimes des Français. Il s'inspire d'une idéologie permissive et déresponsabilisante – le délinquant est avant tout envisagé comme une victime de la société – et d'une philosophie dangereuse, qui entend rééduquer les hommes avant de juger les faits. En effet, la contrainte pénale, qui peut, de prime abord, paraître plus douce que l'emprisonnement puisqu'elle n'est pas normée par la loi, pourrait tout aussi bien se révéler comme une véritable forme de contrôle social infligé à un individu pendant cinq ans de sa vie. Enfin, ce projet promeut un message intentionnellement anti-carcéral, ce qui aura pour effet d'envoyer un signal d'impunité aux récidivistes. D'ailleurs, notre collègue Dominique Raimbourg a indiqué que si ce texte n'avait pas pour but de vider les prisons, la conséquence serait néanmoins celle-là. De fait, l'étude d'impact prévoit qu'environ 20 000 détenus sortiront dans l'année suivant l'entrée en application de la loi : un détenu sur trois se retrouverait donc en liberté.

Pour toutes ces raisons, madame la ministre, le groupe UMP déposera une série d'amendements de suppression et votera contre l'ensemble d'un projet de loi totalement inopérant pour lutter contre la récidive.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion