Intervention de Alain Tourret

Réunion du 27 mai 2014 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret :

Cela ne l'est pas pour nous non plus, et pourtant nous avons fait le choix d'être présents, compte tenu de l'importance du sujet abordé aujourd'hui.

Le principe essentiel de la justice, qu'il s'agisse de sanction, de protection de la société ou de réinsertion, est celui de l'individualisation. Nulle justice ne peut en effet être rendue sans respecter ce principe, c'est-à-dire sans prendre en compte la personnalité de l'individu fautif et la gravité de l'acte commis. Or ce principe est incompatible avec l'existence d'automatismes. C'est pourquoi, à titre personnel, je suis opposé à toute sanction automatique, qu'elle soit administrative ou judiciaire, lorsqu'elle n'est pas étudiée par le magistrat et justifiée par une motivation.

C'est, me semble-t-il, un des points sur lesquels notre opposition avec la droite peut être la plus grande. La droite croit que, grâce aux peines plancher et aux automatismes, elle parviendra à résoudre le problème qui lui fait peur, celui de la réitération d'un certain nombre d'infractions. Pour ma part, je revendique un acharnement idéologique contre les peines plancher. On ne peut être plus clair ! Elles sont contraires à toute vision que je peux avoir de la société et de la justice. Je suis totalement opposé à tout ce qui peut conduire à introduire une forme d'automatisme dans le prononcé de la peine.

Si encore cela servait à quelque chose ! Mais, si on peut constater une augmentation très sensible du nombre de personnes incarcérées, celle-ci ne s'est pas traduite par une diminution sensible des infractions. Dès lors, je suis bien obligé d'en conclure que ce dispositif n'a pas servi à grand-chose, si ce n'est entasser des personnes en prison dans des conditions qui ne permettent plus de respecter leur dignité.

N'oublions jamais, en effet, qu'un individu incarcéré doit être respecté et garder sa dignité, faute de quoi il sera encore plus enclin à la réitération des infractions.

Cela nous amène à réfléchir à la philosophie de l'incarcération. Historien de formation, j'ai voulu comprendre pourquoi il y avait si peu de personnes incarcérées dans les prisons du royaume ; pourquoi, lors de la prise de la Bastille, le bâtiment ne contenait que sept détenus. Au fond, l'incarcération est la solution que la IIIe République, soucieuse d'instaurer un ordre dur, a cru trouver à un certain nombre de problèmes. Mais c'est totalement faux : l'incarcération n'est que le moyen de mettre en contact des individus dangereux dans ce que l'on a pu appeler l'école du crime. Et qu'on le veuille ou non, cette situation les conduit vers la réitération et la récidive. Plus vous mettez des gens en prison, plus vous les poussez à retomber dans la criminalité, d'autant que, faute des moyens nécessaires pour les accompagner, la plupart des condamnés ayant purgé une peine relativement courte font l'objet d'une sortie « sèche ». Il faut donc privilégier au maximum les alternatives à la prison.

C'est d'ailleurs ce qu'avait compris Mme Rachida Dati : elle a fait preuve d'intelligence et de sens de l'humain en étendant aux personnes condamnées à une peine de moins de deux ans de prison, au lieu d'un, la possibilité d'obtenir un aménagement de peine. Je remercie Mme Dati et je soutiendrai tout amendement allant dans le sens de ce qu'elle préconisait à l'époque.

Je souhaite maintenant aborder la situation des hommes et des femmes vis-à-vis de la prison, de la récidive et de l'incarcération. En effet, la prison compte 97,5 % d'hommes et 2,5 % de femmes, et le taux de récidive est quasiment nul chez les femmes. Une telle différence, à l'heure où nous parlons d'égalité entre les sexes, ne peut que nous interpeller.

Je ne peux pas admettre de voir des femmes enceintes en prison. Chacun sait, en effet, que l'incarcération d'une femme enceinte a des conséquences sur l'enfant qu'elle porte. Comment peut-on défendre la condamnation d'enfants à naître, entre trois et neuf mois après leur conception ? C'est insupportable ! L'humanisme devrait nous conduire à interdire l'incarcération d'une femme enceinte.

Je demande à tous mes collègues de visiter des prisons pour femmes – je sais qu'il existe des parlementaires très sensibles à ces questions, quel que soit leur engagement politique. À la prison de Rennes, où je m'étais rendu avec Jacques Floch et Catherine Tasca, j'ai visité les couloirs où sont installées les mamans et leurs enfants jusqu'au moment où ces derniers leur seront retirés. Celui qui n'a pas vu cela – ces malheureuses mamans enfermées et leurs gamins qui piaillent – ne peut pas comprendre à quel point il s'agit d'une infamie. Les études démontrent en effet que l'enfant prend très rapidement conscience de son incarcération.

Nos collègues italiens ayant beaucoup travaillé sur cette question, je me suis battu, en 1998 et en 2000, pour demander que la loi française s'inspire de la leur. À l'époque, la garde des Sceaux, Mme Guigou, ne m'a guère entendu. Il faut donc s'emparer à nouveau du sujet. Est-il acceptable dans notre société que la mère d'un enfant de moins de dix-huit mois soit incarcérée avec ce dernier ? N'existe-t-il pas, pour elle comme pour la femme enceinte, une autre solution, comme l'assignation à domicile, le bracelet électronique, le placement sous contrainte dans d'autres lieux ? J'en appelle à vos qualités de coeur, madame la ministre, ainsi qu'à celles du président et du rapporteur, afin de trouver une solution à ce problème, d'autant qu'il ne concerne qu'environ 50 personnes.

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