Intervention de Colette Capdevielle

Réunion du 27 mai 2014 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaColette Capdevielle :

Ce texte, qui marquera un tournant dans l'histoire du droit pénal français, entre dans la catégorie des textes fondateurs du droit de la peine. Il vient après une pause législative de deux ans qui a confirmé l'échec de toutes les politiques de droite, marquées par l'affichage, la démagogie, le populisme pénal, l'outrance, l'incohérence.

Les faits et chiffres de la réalité carcérale parlent pour nous, et contre les idées reçues : la prison d'aujourd'hui, la prison vue comme châtiment, voire comme purgatoire, est un échec. C'est l'échec d'une société moderne, qui s'évertue à croire que l'incarcération opère telle une potion magique, de façon salutaire et définitive, sur les personnes qui se sont rendues coupables d'infractions, et que ces dernières reprendront le cours d'une vie tranquille et rangée.

Cette conception de la peine de prison, éculée mais toujours revendiquée par l'ancienne majorité, n'a pas sa place au XXIe siècle.

Le groupe socialiste, madame la garde des Sceaux, soutient la méthode que vous avez choisie : la conférence de consensus, le dialogue, l'élaboration d'un projet de loi fondé sur de solides travaux théoriques et doctrinaux. Et il vous félicite pour le volontarisme dont vous faites preuve pour le défendre, non seulement ici, mais aussi dans les territoires et auprès du grand public.

L'opinion publique, parlons-en, monsieur Fenech ! Vous savez bien que l'on peut lui faire dire, selon la façon de poser la question, une chose et son contraire. En réalité, ce que veut l'opinion, c'est une action publique efficace. Or c'est justement l'objectif de ce texte. Comme vous l'avez affirmé à plusieurs reprises, madame la garde des Sceaux, nous ne cherchons pas à faire toujours plus, mais à faire différemment, à faire mieux.

Monsieur le rapporteur, vous avez aussi beaucoup et bien travaillé, guidé par un souci constant de pragmatisme et d'efficacité. Vous avez fait preuve de patience et d'imagination, vous avez su écouter et analyser, et vous êtes désormais en mesure de proposer des amendements pouvant enrichir le projet de loi sans en remettre en cause la philosophie initiale.

Le groupe SRC retient trois points fondamentaux dans la première partie du texte.

Tout d'abord, la peine est enfin clairement définie. Placée symboliquement en tête du titre III du livre Ier du code pénal, la nouvelle définition permet de clarifier et de hiérarchiser les fonctions complémentaires de la peine, qu'elles soient sociales ou individuelles.

L'étude d'impact est très précise à ce sujet : la peine doit réparer le dommage causé à la société et éviter que la réponse pénale ne l'aggrave. La sanction et la réinsertion sont compatibles ; elles visent à amener la personne condamnée à intégrer l'absolue nécessité de ne plus transgresser les règles et les normes sociales.

De son côté, la victime est mieux considérée grâce à la prise en compte de ses droits et non plus de ses seuls intérêts.

Ensuite, ce texte restaure les principes fondamentaux du droit pénal : l'individualisation, la motivation, l'ajournement, l'abrogation des automatismes et plus particulièrement des peines plancher.

Le principe d'individualisation des peines a depuis peu valeur constitutionnelle. Il est donc légitime qu'il figure clairement dans le code pénal.

Quant à l'article 3 du projet de loi, il renforce deux principes fondamentaux du droit pénal, en obligeant à motiver les peines d'emprisonnement sans sursis et en faisant de l'emprisonnement le dernier recours en matière correctionnelle.

Motiver une décision, c'est réfléchir, se positionner, argumenter, s'interroger. Une décision motivée, bien motivée et spécialement motivée a plus de chances d'être mieux comprise et mieux acceptée par tous les acteurs du procès pénal, qu'il s'agisse des enquêteurs, des auteurs, de la partie poursuivante, du plaignant ou des services de probation et ce, que le prévenu soit primo-délinquant ou qu'il ait été condamné à plusieurs reprises. Bien des recours en appel pourraient être ainsi évités si les décisions privatives de liberté étaient motivées, tant en ce qui concerne la culpabilité que la sanction prononcée.

L'obligation de motivation est d'ailleurs clairement précisée : « au regard des faits de l'espèce et de la personnalité de leur auteur ainsi que de sa situation », obligeant ainsi le juge à épuiser toutes les possibilités offertes par la loi, en termes d'éventail de peines, avant de prononcer une peine ferme. Il s'agit là d'une garantie pour tous les justiciables concernés.

Quant à l'ajournement du prononcé de la peine, il est un nouvel outil destiné à mieux personnaliser, adapter et affiner la sanction, à faire du « cousu main », notamment lorsque la juridiction saisie dispose de peu ou pas d'éléments pour prononcer la peine la plus efficace. C'est le cas lors des audiences de comparutions immédiates, de plus en plus fréquentes et « grandes pourvoyeuses d'incarcérations », pour reprendre les termes de Dominique Raimbourg.

Le secteur associatif socio-judiciaire pourrait légitimement être mandaté, au même titre que le service pénitentiaire d'insertion et de probation, pour conduire des mesures d'enquête aux fins d'investigations complémentaires sur la personnalité et la situation du prévenu, ou de contrainte pénale.

Cette césure du procès aura bien d'autres vertus : vérifier la volonté d'amendement, investiguer sur la personnalité, vérifier les garanties de représentation, indemniser la victime.

C'est d'ailleurs pour garantir les droits des victimes que je soutiendrai, au nom du groupe, un amendement visant à permettre sans délai son indemnisation partielle ou totale.

De nombreux pays appliquent depuis plusieurs années et avec succès cette césure du procès pénal, en ciblant des publics prioritaires sensibles à la réitération. Une expérimentation inspirée du modèle canadien est d'ailleurs menée actuellement à Bobigny auprès des toxicomanes. Il serait intéressant d'en faire une évaluation précise avant, le cas échéant, de généraliser à l'ensemble du territoire ce type de dispositif.

S'agissant des peines plancher, force est de constater qu'après sept ans d'application, leur caractère dissuasif est bien à la peine.

De moins en moins prononcées par les juridictions pénales, les peines plancher ont fait augmenter les durées d'incarcération. Le nombre de détenus aggrave de facto les mauvaises conditions d'incarcération, ce qui prive ceux qui ont purgé leur peine de la possibilité de se préparer à la sortie. En outre, la complexité des textes et le caractère aléatoire de leur application en font une peine inique et incomprise de l'opinion publique.

Il en est de même pour le sursis simple, dont les conditions de révocation, particulièrement rigides, contredisent le principe de l'individualisation des peines.

En abrogeant les automatismes, on évite les oublis, les erreurs, et l'on redonne au juge toute liberté d'appréciation dans le choix de la juste peine. On remet enfin le juge à une place qu'il n'aurait jamais dû quitter.

J'en viens à la disposition figurant au coeur du projet de loi, celle de la contrainte pénale. Il s'agit bien d'une peine nouvelle, totalement autonome de la peine d'emprisonnement, et qui a vocation à devenir à terme – du moins nous l'espérons – la peine de référence pour tous les délits. Dans le texte soumis à notre appréciation, la contrainte pénale s'applique seulement aux délits punis au plus de cinq ans d'emprisonnement, mais en cohérence avec les autres peines, et par souci d'efficacité, je proposerai qu'elle soit étendue à tous les délits, car elle s'apparente à un suivi très renforcé.

La durée de la contrainte pénale sera fixée par la juridiction de jugement et comprise entre six mois et cinq ans. La mise à exécution de son contenu se fera sous le contrôle du juge d'application des peines, après évaluation de la situation et de la personnalité du condamné. À nouveau, l'objectif est d'assurer l'individualisation de la peine.

Cette évaluation préalable, très affinée, à laquelle notre système judiciaire n'est pas habitué, est une nouveauté. Le suivi méticuleux auquel elle donnera lieu est la clé du succès de la réforme, le moyen d'éviter la commission de nouvelles infractions. Cela implique un effort dans la formation initiale et continue des personnels de probation.

Vous l'aurez compris, madame la garde des Sceaux, la majorité parlementaire dans son intégralité – mais aussi, je l'espère, les parlementaires les plus progressistes de l'opposition et tous les républicains sachant se détacher de vaines et dangereuses polémiques politiciennes – soutiendra sans réserve ce projet de loi novateur, ce projet qui fait appel à notre intelligence. C'est au prix de cet effort et du renoncement aux illusions que nous parviendrons à restaurer la confiance, à réconcilier tous les maillons de la chaîne pénale et à réduire la délinquance de façon à favoriser le mieux-vivre ensemble.

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