Intervention de Philippe Goujon

Réunion du 27 mai 2014 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Goujon :

Bien que vous considériez nos critiques comme « inqualifiables », madame la garde des Sceaux, je vais en rajouter.

Je partage l'analyse de mes collègues Zumkeller et Fenech, aussi bien sur le plan politique que sur le plan juridique. Ces critiques devraient conduire au retrait d'un texte qui ne peut que faire exploser la délinquance et la criminalité dans notre pays – qui ont déjà beaucoup augmenté récemment.

Il faut vous reconnaître, madame la garde des Sceaux, une certaine cohérence, puisque ce projet de loi s'inscrit dans le droit-fil de la circulaire de politique pénale du 19 septembre 2012, qui prescrivait aux procureurs de s'assurer que « les modalités d'exécution des peines de prison tiennent compte de l'état de surpeuplement des établissements pénitentiaires », du rapport de M. Dominique Raimbourg, qui ne proposait rien moins qu'un numerus clausus pour les prisons, et de la conférence dite « de consensus » sur la prévention de la récidive, qui considérait que la récidive faisait partie du parcours de réinsertion. Quoi de plus symptomatique de votre embarras à punir que l'abrogation par l'article 11 du titre préliminaire de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et la suppression de toute référence à la sanction du condamné et au sens de la peine ?

Loin de la prévenir, ce texte favorisera la récidive.

En premier lieu, il abroge les peines plancher, dont le Conseil constitutionnel avait reconnu la conformité aux principes d'individualisation et de nécessité des peines. Pourtant, la proportion de peines minimales prononcées était identique en 2007, avant l'adoption de la loi, et en 2011 : de l'ordre de 40 %. Si, dans près de 60 % des cas, les juges s'écartent des quanta recommandés, les délinquants concernés sont des récidivistes, dont le profil justifie l'application d'une peine plancher. En outre, les juges recourent aux peines plancher de manière ciblée, puisque ces peines sont prononcées à plus de 60 % contre des auteurs de violences aux personnes et de délits sexuels.

Vous avez dit que cette mesure était insuffisante parce qu'elle ne concernait que les cas de récidive légale ; les amendements que nous proposons visent précisément à ce qu'elle s'applique aux cas de réitération d'infractions. À la fin de la précédente législature, une proposition de loi en ce sens avait d'ailleurs été adoptée en première lecture. C'est bien évidemment un tel outil pour lutter contre la délinquance qu'attendent nos concitoyens.

Il convient enfin de préciser que 40 % des prisonniers qui bénéficient d'une libération conditionnelle et 45 % des personnes condamnées à une peine alternative à la prison récidivent. Ces dispositifs ne sont pas la panacée ! Il serait par conséquent irresponsable de se priver d'un outil tel que les peines plancher dans le code pénal.

Le projet de loi va même encore plus loin, puisqu'il dispense les mineurs de la contrainte pénale, alors que ceux-ci étaient concernés par les peines plancher.

Nous pensons que vous faites fausse route. Ce projet prépare, non pas la réinsertion des condamnés, mais leur impunité. Il inverse la logique de l'amendement des condamnés, puisqu'en cas de nouvelle condamnation, le juge devra désormais motiver la révocation du sursis, et non plus son maintien : il n'y aura plus de probation. En outre, cela ne manquera pas d'alourdir la charge de travail et, partant, le risque d'erreur judiciaire. Il est très contestable d'altérer ainsi la nature du sursis et de priver les juges de cet outil, qui ne se distinguera plus de la peine de contrainte pénale.

Cette tendance à une limitation de l'autonomie de décision du juge se retrouve dans le fait qu'avant de prononcer une peine d'amende, le juge devra désormais obligatoirement tenir compte des ressources du délinquant, alors qu'il ne s'agissait auparavant que d'une faculté qui lui était offerte. Paradoxalement, on revient ainsi à une forme d'automaticité. On sait pourtant que nombre de délinquants organisent sciemment leur insolvabilité. Le rapporteur va encore plus loin en présentant des amendements prévoyant que le juge pourra réduire cette amende en cas de bon provisionnement et que les sommes non réclamées par les victimes iront, non pas aux associations de victimes, mais aux associations de contrôle judiciaire !

Ce texte s'appliquera même aux récidivistes et aux délinquants auteurs d'actes graves punis de cinq ans de prison, dont la peine pourra se voir écourtée par le juge au bout d'un an d'observation. Un amendement de Mme Capdevielle propose même que cela concerne tous les délits ! Et si le condamné récidive pendant qu'il effectue sa peine de contrainte pénale, il n'encourra d'emprisonnement ferme que pour une durée limitée à la moitié de celle-ci. Quel effet d'aubaine pour les délinquants : il leur suffira de bien se tenir pendant un an pour être relâchés ! Cela risque d'ailleurs de soulever des difficultés d'ordre constitutionnel, au regard du principe d'égalité devant la peine, puisque, pour un même délit, un condamné pourra bénéficier soit de la contrainte pénale, soit du sursis avec mise à l'épreuve.

Le texte favorise également la libération quasi automatique des détenus aux deux tiers de leur peine, y compris celle des délinquants dangereux condamnés à cinq ans de prison, voire à la réclusion criminelle à perpétuité.

Le manque de sérieux du projet se manifeste aussi à travers l'étude d'impact, qui prévoit de 16 000 à 60 000 condamnations à la contrainte pénale, ce qui reviendrait à « écluser » la totalité des 80 000 peines en attente d'application. De même, cette étude évalue le besoin de recrutement des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) à entre 210 et 954 conseillers, soit un rapport de 1 à 5. On peut s'interroger sur le coût de ces recrutements, qui pourrait aller jusqu'à 6 millions d'euros dans l'hypothèse haute. Quoi qu'il en soit, il sera difficile d'assurer le suivi de tous les condamnés que vous comptez placer sous le régime de la contrainte pénale. Ne risque-t-on pas de voir relâcher dans la nature, sans moyen de les contrôler, des milliers de condamnés aux profils criminels les plus variés ?

Dans une récente étude, Pierre-Victor Tournier indiquait que 51 % des peines prononcées en 2012 comprennent de la prison et que, dans ces 51 %, seuls 21 % comportent de l'emprisonnement ferme, tandis que 30 % sont assortis d'un sursis simple ou d'un sursis avec mise à l'épreuve : on est loin d'une surinflation carcérale ! Il évoquait aussi certains dysfonctionnements : par exemple, les JAP reconnaissent qu'en région parisienne, il est impossible de procéder à un contrôle méticuleux des condamnés incarcérés. Les centres départementaux chargés de gérer les alertes ne disposent pas de permanence le week-end, et les JAP suivent chacun 120 dossiers, contre 20 au Canada – sans compter les délinquants qui peuvent récidiver sous bracelet électronique. Les recrutements que vous prévoyez seront-ils suffisants ?

Le texte risque d'être encore aggravé par les amendements de notre rapporteur, qui prévoient l'abrogation de la rétention de sûreté appliquée aux criminels les plus dangereux, ainsi que la dépénalisation des petits délits de masse – cela inclura-t-il l'usage de stupéfiants ?

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