Merci M. le Président de me permettre de vous présenter le résultat du travail que j'ai mené depuis la fin du mois de juillet. Je me suis inspiré des paroles du Président de la République qui a souhaité que le dispositif de taux réduit de TVA soit évalué ; ainsi que des paroles du Rapporteur général qui avait indiqué, le 17 juillet dernier, qu'il fallait remettre ce dossier sur la table. Je vais vous présenter rapidement les résultats de ce rapport.
En introduction, je rappelle l'historique de la mise en oeuvre de ce taux réduit de TVA. C'est une revendication qui date de 1995 et qui a été obtenue après un accord du Conseil ECOFIN du 10 mars 2009, puis mise en oeuvre par la loi du 22 juillet 2009 de modernisation et de développement des services touristiques, dite loi LME. Les négociations qui ont suivi ont débouché sur un contrat d'avenir, signé le 28 mars 2009, par le Gouvernement et les organisations professionnelles. Le secteur de la restauration s'est engagé sur trois volets : une baisse des prix, une hausse de l'emploi et des salaires et un soutien à l'investissement. Un avenant au contrat d'avenir signé en juillet 2011 a prorogé les engagements en termes de prix, de création d'emploi et d'investissement pour quatre années supplémentaires jusqu'en 2015. Je rappelle également le coût de cette dépense fiscale, la cinquième dépense la plus importante pour l'État, qui s'élève à 3,3 milliards d'euros en 2010 et 2011, 3 milliards d'euros en 2012 et 3,08 milliards d'euros estimés en 2013. Compte tenu de l'économie de 0,6 milliard résultant de la suppression des aides directes sous forme d'allègements de charges mises en place en 2004 par le Gouvernement de M. Raffarin, le coût net pour les finances publiques est donc de l'ordre de 2,6 milliards d'euros. C'est une dépense fiscale importante qui mérite examen, évaluation et contrôle.
Dans ce rapport, j'essaie donc de démontrer que la baisse de la TVA dans la restauration a été une occasion manquée pour orienter le consommateur et le secteur de la restauration vers plus de qualité. Je rappelle néanmoins la demande légitime des restaurateurs qui considéraient, dès 1995, qu'il ne pouvait pas y avoir deux taux de TVA différents dans ce secteur, à savoir un taux pour la restauration rapide et un taux pour la restauration traditionnelle. Dans les hypothèses de travail formulées à la fin du rapport, je précise d'ailleurs que je souhaite que l'on conserve l'uniformité des taux entre les deux types de restauration. Je note toutefois que le passage de 5,5 % à 7 % a créé une dissociation entre l'alimentation et le service. En effet, il faut comprendre que les modes de consommation de nos citoyens sont en train de changer, notamment dans les grandes zones urbaines dans lesquelles le choix d'un repas se fait entre restauration traditionnelle et restauration rapide, mais peut aussi se faire dans les boulangeries. Or, l'instruction fiscale qui accompagne le passage à 7 % fait plus d'une quarantaine de pages et complexifie les situations, au point que la présence ou non d'un gobelet sur une cannette de soda peut conduire à des taux de TVA différents. Ce qui signifie qu'un éventuel relèvement du taux de TVA pourrait s'avérer complexe sur le plan juridique et fiscal entre ce qui ressort de la restauration ambulante ou nomade et ce qui dépend de la restauration rapide ou traditionnelle. Je rappelle aussi qu'il n'est pas impossible qu'une partie du coût de cette mesure ait été accaparée par le comportement de marge dans un secteur par essence très divers, hétérogène et atomisé. Et ceci a profité tout aussi bien aux petits restaurateurs et aux grandes chaînes de la restauration rapide et de la restauration traditionnelle.
La seconde partie de mon rapport concerne l'évaluation des engagements pris dans le cadre du contrat d'avenir. Je commence par ce que j'appelle le « péché originel » de cette mesure. Ce sont les termes de la direction de la législation fiscale, la DLF, qui affirme que pour la première fois, une baisse de taux de TVA n'a pas été entièrement affectée à la baisse des prix. Le contrat d'avenir est assez complexe sur la baisse des prix. La baisse théorique attendue aurait dû être de l'ordre de 9,7 %, si on enlève la partie relative aux boissons alcoolisées. Or, une enquête de l'INSEE a démontré que la baisse des prix se situait en réalité entre 2,2 et 2,5 %. La répercussion de la baisse de la TVA se situerait donc entre 23 % et 26 % de la baisse théorique, alors qu'un tiers de la réduction du taux devait être affectée à la baisse des prix. Le principe du contrat d'avenir était que, le coût de la mesure étant de trois milliards d'euros, on pouvait en répartir les effets en trois tiers : un tiers sur les prix, un tiers sur l'emploi et l'amélioration des salaires et un tiers sur l'investissement.
Si l'on considère les prix, les montants directement restitués aux consommateurs, qui auraient dû être de l'ordre de 860 millions d'euros, sont en réalité de 590 millions. La baisse de la TVA a donc été une sorte de subvention déguisée à un secteur privé pourtant abrité de la concurrence internationale. Il est important de le rappeler car l'on sait aujourd'hui que les destructions d'emplois touchent prioritairement le secteur industriel qui est pour sa part fortement soumis à la concurrence internationale.
Si l'on considère l'aide à l'investissement, la mise en place d'un Fonds de modernisation de la restauration, le FMR, au nom peut-être prédestiné, qui a nécessité une contribution sous forme de cotisations de la part des restaurateurs, n'a pas été suivie d'une utilisation réelle de cet outil. Les chiffres de l'investissement sont au mieux stables, au pire négatifs comme ce fut le cas en 2010, en partie sous l'effet de la crise. À l'inverse, le secteur de la restauration rapide a fortement augmenté ses investissements grâce à cette baisse de TVA. Cela leur a permis d'investir dans des projets comme la rénovation des mâts signalétiques, des enseignes lumineuses ou des façades de leurs restaurants. Ces projets sont effectivement louables mais est-ce aux contribuables de les financer ?
Enfin, sur le volet emploi et conditions de travail, il y a eu quelques avancées sociales qu'il convient de mentionner. Ainsi, il n'y avait pas eu de revalorisation de salaires dans le secteur depuis 1997. L'accord social du 15 décembre 2009 a permis la mise en place d'une prime TVA d'un montant de 2 % du salaire brut annuel, plafonnée à 500 euros pour les restaurants, à 250 euros pour les hôtelsrestaurants et à 125 euros pour les hôtels. C'est donc une prime annuelle plafonnée à 500 euros, réservée aux salariés qui gagnent au moins 2 500 euros bruts par mois et qui ont au moins un an d'ancienneté dans l'entreprise. Je rappelle à ce titre que le pourcentage de salariés payés au SMIC dans la restauration est de 60 % et que le turn-over est très important dans ce secteur dans lequel rares sont les salariés qui restent plus d'un an dans la même entreprise. Cette mesure représente tout de même 160 millions d'euros par an. Il y a eu d'autres avancées telles que la mise en place d'une mutuelle « frais de santé », la revalorisation de la grille des salaires de 5 % pour un coût de 507 millions d'euros et 2 jours fériés supplémentaires représentant un coût de 83 millions d'euros. Au total, ce sont 817 millions d'euros qui représentent les gains en matière d'avancées sociales. Reste le reliquat, soit un peu plus d'un milliard d'euros, qui concerne la création d'emplois. Les engagements des restaurateurs étaient relativement précis sur ce point. La restauration française crée, c'est la tendance depuis près de quinze ans, près de 15 000 emplois par an. À travers le contrat d'avenir, les restaurateurs s'étaient engagés à créer 20 000 emplois supplémentaires par rapport à cette tendance naturelle et 20 000 contrats d'apprentissage. La vérité est que nous n'avons pas eu beaucoup de données sur les chiffres des contrats d'apprentissage mais que ceux-ci semblent très limités. En matière de création d'emplois, on est loin des 20 000. On est plus exactement à 6 504 emplois annuels au-dessus de la tendance qui seraient dus à la baisse de TVA restauration.
Si l'on considère que le reliquat de l'ordre d'un milliard d'euros a financé la création de 6 504 emplois, on obtient un coût par emploi de 153 000 euros. Évidemment les salariés ne sont pas payés à ce prix-là... Cela signifie que, si l'on prend comme base le coût d'un salarié du secteur qui est de l'ordre 20 800 euros, il y a 850 millions d'euros qui ont été dépensés par l'État chaque année sans aucun contrôle.
Le dernier point concerne, Monsieur le Président, la lutte contre le travail illégal. Sur ce point, l'État s'était engagé à exercer un certain nombre de contrôles et une vigilance renforcée. Malheureusement je constate que les contrôles ont été défaillants. Les moyens n'étaient peut-être pas au rendez-vous mais un rapport de l'ACOSS diffusé en juillet dernier a montré que le secteur de l'hôtellerie et de la restauration est aujourd'hui un secteur où il y a beaucoup trop de travail illégal. Il faudra retravailler ce point.
Je fais donc deux propositions, plus exactement deux hypothèses de travail.
D'une part, le relèvement au taux normal de 19,6 % : il est possible et il ne nécessite que l'accord du Parlement et du Gouvernement. Nous n'avons pas besoin d'autorisation européenne. D'autre part, vous l'avez évoqué, la question du relèvement du taux intermédiaire. Or, l'Europe nous interdit d'avoir trois taux de TVA réduits. Il est donc impossible à ce stade de proposer une nouvelle création en plus du taux à 5,5 % et du taux à 7 %. Il faut soit prendre tous ceux qui sont à 7 % – leur liste est dans le rapport et concerne beaucoup de secteurs économiques –et leur appliquer l'augmentation du taux, soit en prendre quelques-uns pour les augmenter tout en en diminuant d'autres… L'impact sur les finances publiques serait alors moins important. Si l'on s'orientait vers l'hypothèse d'un relèvement du taux de TVA réduit, il conviendrait de retravailler, comme vous l'avez dit Monsieur le Président, sur une architecture plus globale des taux de TVA en France.
Quelle que soit l'hypothèse retenue, je l'accompagne de ce que j'ai appelé un plan qualité-restauration parce que le problème de la restauration française n'est pas qu'un problème fiscal. J'insiste sur ce point. Je pense que nous pourrions substituer, à cette dépense fiscale très coûteuse, une dépense budgétaire plus ciblée, notamment sur les petits établissements. J'évoque ainsi trois pistes dans mon rapport.
Premièrement la mise aux normes, l'accessibilité des établissements de petite catégorie, de petite taille, parce que l'on sait qu'ils vont être obligés de se rénover, de se moderniser.
Deuxième piste, la question de la qualification, de la formation parce que trop de jeunes rentrent sur le marché du travail via le secteur de la restauration mais ne restent pas dans ce métier. Il faut donc les former, les qualifier. Je pense qu'un effort pourrait être entrepris en direction notamment des lycées hôteliers, des centres de formation et de l'apprentissage.
Troisième point, c'est une idée qui avait d'ailleurs été évoquée par le précédent gouvernement, c'est ce que j'appelle la transparence de l'assiette. En quoi cela consiste-t-il ? Il s'agit tout simplement de dire au consommateur français ce qu'il mange, en indiquant notamment le pourcentage de produits frais sur les cartes. Le pourcentage de masse salariale dans un restaurant est directement proportionnel au pourcentage de produits frais travaillés et transformés sur place. Donc, au-delà du fait que cela permettrait au consommateur d'avoir toute la connaissance des produits qu'il consomme, cela favoriserait une démarche qualitative en matière d'emplois avec les producteurs locaux.
Voila Monsieur le Président, je ne veux pas être plus long. Je considère que cette mesure est trop coûteuse et qu'il faudra revenir dessus.