Je vous remercie de votre accueil et vous félicite de votre initiative, qui intervient à un moment crucial, puisque nous allons avoir à débattre de la loi sur la transition énergétique. Il est en effet important de se pencher sur le coût de production de l'énergie pour éclairer les choix du Parlement et du Gouvernement, dans le cadre d'un dialogue que je souhaite le plus fructueux possible. Faire un bon diagnostic sur les choix du passé permet de déterminer les choix d'aujourd'hui et de demain. La France doit inventer un nouveau modèle énergétique : nous devons tenir compte à cet égard à la fois de la situation financière et de la situation économique des entreprises, la mutation énergétique étant une grande chance pour notre pays.
Nous sommes dans ce domaine observés par le monde entier, dans la mesure où nous tiendrons l'an prochain à Paris la conférence mondiale sur le climat.
Je rappelle que la production électrique française est dominée par l'électricité d'origine nucléaire. C'est le fruit d'un choix politique majeur des années 1970, poursuivi tout au long de la décennie 1980 notamment, pour réduire notre dépendance énergétique aux énergies fossiles.
Ainsi, notre taux de dépendance est de 50 %, contre une moyenne européenne et mondiale aux alentours de 80 %.
De même, notre pays est un des plus vertueux en matière d'émissions de gaz à effet de serre – en moyenne 8 tonnes par an et par habitant contre 12 dans le reste de l'Europe.
Enfin, la filière nucléaire est une filière industrielle importante reconnue mondialement, avec près de 200 000 emplois et des savoir-faire exceptionnels.
Mais le contexte change : nous devons le prendre en compte, en réduisant encore notre dépendance aux ressources non renouvelables, en nous adaptant toujours plus aux risques du changement climatique et en faisant des choix financiers judicieux vis-à-vis de ce nouveau mix énergétique que nous devons mettre en place.
Si le nucléaire a des avantages, on ne doit pas masquer certains inconvénients. Des tragédies comme Tchernobyl ou Fukushima l'ont fragilisé et nous dictent l'ardente obligation de placer la sûreté nucléaire au premier rang de tous les enjeux. Le projet de loi de transition énergétique proposera donc des mesures améliorant encore notre niveau de sûreté. J'en profite pour saluer à cet égard l'action de l'ASN et de l'IRSN.
En outre, la filière nucléaire est confrontée à la gestion des déchets radioactifs. Le Parlement s'en est préoccupé très tôt, la dernière loi datant de 2006. Le projet de loi en préparation poursuivra cette démarche. Il nous faudra à ce sujet confirmer le principe de la réversibilité de Cigéo.
De même, nous tirerons les leçons du débat public qui vient de se dérouler, en vous proposant d'acter une phase préalable d'expérimentation.
Par ailleurs, tout le monde convient que les réacteurs en fonctionnement ont, par définition, une durée de vie limitée. En effet, on ne peut changer la cuve, ni l'enceinte de confinement d'un réacteur.
Il y a certes débat sur cette durée de vie. Mais il nous faut prévoir dès à présent les provisions nécessaires aux démantèlements futurs. Permettez-moi d'ajouter qu'une approche pratique du coût du démantèlement, en commençant par les deux premières unités, me paraît le meilleur moyen de ne pas connaître trop d'approximation.
Enfin, l'énergie nucléaire est adaptée à la production d'électricité en « base ». Or, elle dépasse aujourd'hui largement nos besoins.
La transition énergétique passe par une nouvelle vision de la place du nucléaire dans notre pays.
En fixant la part de cette énergie à 50 % de notre production d'électricité à l'horizon 2025, le Président de la République a tenu à rechercher cet équilibre, qui est celui d'une diversification, d'un nouveau mix.
Cela passe d'abord par un développement ambitieux et raisonné des énergies renouvelables. C'est une opportunité industrielle et écologique, y compris pour des entreprises comme EDF, qui se positionne par exemple sur l'éolien offshore.
Le choix d'un socle de production nucléaire à 50 % s'appuie d'abord sur ce que nous ont légué nos prédécesseurs en termes d'outil de production. C'est un atout dans la transition qui s'engage car cela nous évitera de devoir, à l'instar de nos voisins allemands, développer le thermique au charbon pour faire face aux besoins de consommation ou aux intermittences.
Enfin, il nous faudra enrichir les moyens de production de base par de nécessaires innovations à court et moyen terme. Je pense notamment aux capacités d'effacement, à l'autoconsommation et, à moyen terme, au stockage de l'énergie.
En matière européenne, il nous faudra toujours mieux veiller à nos capacités d'interconnexions pour renforcer la sécurité d'approvisionnement de l'Europe.
Par ailleurs, s'agissant des dépenses publiques en faveur du nucléaire, elles ont fait l'objet d'un recensement exhaustif de la Cour des comptes en 2012, qui se poursuit. Celle-ci a précisé qu'en 2010, les dépenses récurrentes sur crédits publics étaient d'un montant limité, proche de celui de la taxe sur les installations nucléaires de base. Cette situation est toutefois nouvelle : de fortes dépenses publiques dans la recherche ont été financées par le passé. Au-delà de ces dépenses récurrentes en baisse, des projets sont soutenus par le programme des investissements d'avenir : 50 millions d'euros pour la sûreté nucléaire, 75 millions pour la gestion des déchets, 250 millions pour le réacteur de recherche Jules Horowitz et 625 millions pour le projet ASTRID, c'est-à-dire le développement d'un démonstrateur de réacteur rapide au sodium.
Le maintien d'une capacité de recherche de pointe au sein de l'État est essentiel pour la préservation de sa capacité de décision en vue de préparer l'avenir, garantir l'avance technologique française et conserver un haut niveau de sûreté. Je veillerai à ce que ces efforts soient maintenus.
S'agissant des charges de long terme, le Gouvernement est attentif à ce que le dispositif de couverture par des actifs dédiés soit robuste, crédible et contrôlé. Les ministres de l'énergie et de l'économie sont conjointement chargés du contrôle. Nous sollicitons également l'avis de l'ASN.
J'ai commandé un audit sur les provisions de démantèlement du parc en exploitation. Le processus de sélection des entreprises est en cours : l'audit démarrera en juin prochain et se terminera en avril 2015. Il est important d'examiner les devis en détail pour se forger une opinion. Ces travaux seront évidemment communiqués à votre assemblée, sachant que le déroulement de l'audit tiendra compte de vos conclusions.
Le décret modificatif du 24 juillet 2013 inscrit le dispositif particulier du nucléaire dans un dispositif plus large et robuste, qui est celui du contrôle prudentiel des assurances. Les règles seront mieux stabilisées et ne pourront plus faire l'objet de modifications opportunistes. Il revient aux entreprises d'assurer cette charge et de gérer les placements. Le ministère souhaite à cet égard renforcer le contrôle en s'appuyant sur l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution en charge du contrôle des assurances et des banques.
S'agissant de la sûreté, à la suite de l'accident de Fukushima, l'ASN a conduit des évaluations complémentaires et formulé un certain nombre d'exigences sous forme de décisions notifiées à l'exploitant à l'été 2012. Elle demande d'ailleurs des moyens d'action supplémentaires, notamment la possibilité d'ordonner certains contrôles – je vous proposerai probablement d'aller dans ce sens lors du débat sur le projet de loi sur la transition énergétique. Elle a également réclamé un renforcement des marges par la mise en place d'un noyau dur de dispositions matérielles et organisationnelles permettant de maîtriser les fonctions de sûreté dans des situations extrêmes.
EDF, qui est le plus impacté, estime le montant total des travaux à environ 10 milliards d'euros, dont la moitié aurait été de toute façon dépensée pour des améliorations de sûreté en l'absence d'un tel accident.
Concernant les coûts du grand carénage – correspondant à toutes les opérations de maintenance lourde –, je rappelle que l'âge moyen du parc nucléaire français est aujourd'hui proche de 30 ans : pour redresser les performances industrielles, se mettre au niveau de sûreté demandé par l'ASN et permettre l'allongement de la durée d'exploitation jusqu'à 40 ans et au-delà, EDF va engager des travaux importants sur l'ensemble de ses centrales. Ces investissements s'élèveraient à 55 milliards d'euros pour la période 2014-2025. Cela correspond à un doublement, voire un triplement des investissements de maintenance et fait suite à une période très faible d'investissement dans les années 2000, qui a permis de faire baisser les prix mais aussi les performances…
Ces sommes doivent être relativisées au regard des investissements totaux d'EDF, puisqu'en 2013, 9,9 milliards d'euros ont été prévus en France – dont 3,5 milliards pour les réseaux de distribution, 1,4 milliard pour les réseaux de transport et 5 pour les activités non régulées – et 13,3 milliards à l'international.
Au sujet de Cigéo et du stockage réversible en couches géologiques profondes des déchets radioactifs, il est de notre responsabilité vis-à-vis des générations futures de mobiliser les meilleures techniques disponibles et les moyens financiers suffisants pour gérer au mieux ces déchets. Cela doit se faire en associant toutes les parties prenantes, notamment au plan local.
Ce projet est un des éléments de la solution à condition de respecter un certain nombre de principes, dont la sûreté du stockage – le débat public qui s'est tenu en 2013 a conclu à l'intérêt de commencer par une phase d'exploitation pilote et de desserrer le calendrier. L'ANDRA a également annoncé les suites positives qu'elle donne aux conclusions du débat. Le projet de loi de transition énergétique proposera des adaptations du calendrier du projet et un traitement plus rapide de la question de la réversibilité.
L'évaluation du coût est en cours de réalisation par l'ANDRA et sera disponible l'été prochain, après l'avis de l'ASN et les observations de producteurs de déchets. Dans ce domaine, la transparence est importante et nous permettra de faire clairement les différents choix d'investissement.
Il ne serait pas non plus inutile de s'interroger sur les coûts des énergies renouvelables, par type d'énergie, pour orienter les choix publics en vue de trouver le meilleur rapport qualité-prix, la meilleure sécurité, la meilleure indépendance et le meilleur équilibre de mix énergétique nous permettant de remplir nos obligations internationales.