Intervention de Ségolène Royal

Réunion du 21 mai 2014 à 11h45
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Ségolène Royal, ministre de l'environnement, du développement durable et de l'énergie :

Je n'opposerai pas les énergies les unes aux autres. Les choix sur le nucléaire ont été faits pendant des années, avec parfois des effets négatifs, car la production était tellement supérieure à la consommation que les Français ont cru que l'énergie serait bon marché et pléthorique ad vitam aeternam. C'est la raison pour laquelle nous sommes le pays le moins performant en matière d'isolation, de performance énergétique et de lutte contre les gaspillages d'énergie. Nous avons par là même pris beaucoup de retard par rapport à des pays qui avaient une énergie rare et chère et ont su développer des filières dans le bâtiment et des énergies renouvelables plus performantes, se positionnant ainsi à l'international sur des marchés créateurs de beaucoup d'activité et d'emplois.

En outre, avoir un discours d'opposition vis-à-vis de l'énergie nucléaire conduit à mettre en cause la dignité de milliers de salariés de la filière. Cela est d'autant moins acceptable que la France doit honorer un certain nombre de commandes internationales et qu'il faut assurer une continuité de l'État, indépendamment des choix énergétiques.

Nous sommes maintenant à un tournant : après les catastrophes nucléaires, la demande mondiale dans ce domaine est en train de baisser. L'État est actionnaire à 85 % de l'opérateur nucléaire : nous devons donc orienter judicieusement l'allocation optimale des ressources publiques, de manière visionnaire – par rapport à ce que seront la demande énergétique mondiale, les évolutions technologiques et les contraintes liées aux différentes formes d'énergie.

J'ai engagé avec EDF un travail sur cette vision de l'avenir et lui ai demandé d'y réfléchir avec ses dirigeants, qui sont actifs en la matière et conscients des positionnements internationaux à prendre, des enjeux industriels et du fait que l'État va mieux exercer ses responsabilités d'actionnaire. Nous convergeons vers l'idée que, d'ici 2025, il n'y aura pas de forte croissance de la demande intérieure d'électricité. Nous nous y engageons car la performance énergétique passe d'abord par les économies d'énergie.

La montée en puissance ambitieuse des énergies renouvelables devra parallèlement s'accompagner d'une évolution de la place de l'énergie nucléaire. Je souhaite que ce mix énergétique soit mis en oeuvre collectivement. J'observe à cet égard qu'EDF, Areva ou Alsthom se positionnent de plus en plus sur les énergies renouvelables même si, paradoxalement, ils l'ont fait beaucoup moins en France que dans d'autres pays, qui ont capté le savoir-faire des industriels français.

Nous sommes confrontés à une course à l'innovation, comme le montre par exemple la nouvelle génération des parcs éoliens offshore avec des éoliennes flottantes, plus rapidement installées et moins nocives pour les écosystèmes marins, ou le positionnement d'entreprises comme DCNS sur l'hydrolien, notamment dans les mers chaudes, en couplant la récupération de chaleur et l'énergie marine. Il ne faut pas que nos grandes entreprises industrielles se figent sur un modèle passé et ratent ce tournant important de la conquête de nouveaux marchés mondiaux, de nouvelles technologies et de nouvelles innovations. Ce débat sur les choix énergétiques est crucial.

En tant que responsables de la bonne allocation des investissements publics et de la définition de notre modèle énergétique, nous devons montrer la voie de l'avenir et y entraîner les entreprises. C'est tout l'enjeu du prochain projet de loi.

Il serait donc regrettable que ce débat politique se focalise sur la question de l'énergie nucléaire et que celle-ci devienne un enjeu politicien. À cet égard, les questions que vous avez posées sont parfaitement légitimes et, même au sein du parti socialiste, il y a des divergences de vues. Je souhaite que nous ayons des groupes de travail spécifiques afin de nous permettre de répondre aux questions que se posent les Français au moment du vote de la future loi : allons-nous être efficaces sur la performance énergétique ? Les transports propres ? La montée en puissance des énergies renouvelables ? La question de la pollution de l'air ? Qu'allons-nous être capables de changer dans la vie quotidienne des Français pour maîtriser le coût de l'énergie et les rendre davantage citoyens dans les choix énergétiques, grâce par exemple aux compteurs intelligents ? Comment allons-nous pousser en avant nos filières industrielles, leur donner la possibilité de créer des activités et des emplois, sachant que le seul levier de la croissance aujourd'hui est la croissance verte ?

Je relève d'ailleurs que sur les 34 plans industriels prévus, 10 relèvent de la transition énergétique. Il faut donner de la visibilité à ces filières industrielles et les moyens d'investir et de créer des emplois en leur garantissant une commande publique, en leur donnant des règles juridiques et fiscales stables, en simplifiant les procédures, en réduisant les délais de recours et en sécurisant ainsi la décision juridique. Il n'y a aucune raison qu'en Allemagne, qui protège aussi bien son environnement que nous, les délais de recours soient quatre fois moins longs qu'en France.

S'agissant de la fermeture de Fessenheim, je comprends parfaitement vos inquiétudes, mais il y a des solutions, sachant que d'autres centrales arriveront à la fin de leur vie dans les années qui viennent.

On sait aujourd'hui qu'avec les normes nouvelles de sécurité, cette centrale ne serait pas construite – comme beaucoup d'autres du reste. Nous la fermons en premier car c'est la plus ancienne – je rappelle par exemple que son fond est d'1,5 mètre au lieu de 8. Le commissaire général à l'énergie atomique ne conteste d'ailleurs pas ce choix.

Je vous propose que nous en discutions dans le cadre d'un groupe de travail spécifique avec les représentants des salariés de la centrale et que nous mettions toutes les questions sur la table.

C'est d'ailleurs peut-être une chance pour Fessenheim d'être la première à fermer. Il y a aujourd'hui dans le monde 400 centrales à démanteler, ce qui constitue un marché considérable, que la France pourrait conquérir. Nous avons donc besoin d'un site expérimental menant toutes les opérations du démantèlement, du début à la fin. Fessenheim pourrait ainsi devenir un pôle d'excellence du démantèlement des centrales et permettre à EDF de se positionner sur le marché mondial. Il faut voir dans quelle mesure on pourrait par ce biais maintenir sur le site les emplois actuels.

Plus les transitions sont rapides, plus elles rapportent et moins elles coûtent. La fermeture de la centrale peut ne rien coûter si on se positionne sur un projet industriel d'avenir ; elle pourrait même rapporter.

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