Intervention de François de Rugy

Séance en hémicycle du 28 mai 2014 à 15h00
Débat sur les politiques européennes en matière de lutte contre le réchauffement climatique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Rugy :

nous ne saurons sans doute jamais si c’est le sujet ou la veille d’un week-end prolongé qui est à l’origine d’un tel manque d’affluence sur nos bancs… Il faudra tout de même que nous songions, s’agissant du fonctionnement de notre assemblée, à réformer l’organisation de ces débats, car nous traitons de sujets importants avec un trop petit nombre de participants.

Rappelons par ailleurs que le groupe écologiste avait demandé, à la fin de l’année 2012, un rapport du comité d’évaluation et de contrôle sur l’application en France de ce qu’on appelle le paquet énergie-climat, qui rassemble les grandes décisions européennes sur la politique de l’énergie et du climat.

Avec mon collègue Jean-Jacques Guillet, député du groupe UMP – la tradition du comité d’évaluation et de contrôle exigeant que le travail soit mené à la fois par l’opposition et la majorité –, nous venons de rendre un rapport le 15 mai dernier, la cour des Comptes ayant elle-même rendu le rapport que nous lui avions demandé au début de cette année. Nous avons donc à notre disposition deux documents importants pour évaluer la politique menée en matière d’énergie et de climat. Monsieur le secrétaire d’État, je souscris à vos propos : il ne faut pas dissocier les deux. Nous avons en effet à relever le double défi de l’énergie et du climat.

C’est un hasard du calendrier, mais le séisme électoral que nous avons vécu dimanche dernier vient rappeler la nécessité de parler d’Europe. Parler d’Europe, c’est parler de ce à quoi l’Europe peut être utile. Nous, écologistes, nous croyons que la lutte contre le dérèglement climatique est le sujet par excellence sur lequel l’Europe peut et doit peser, contrairement à un État seul, qui n’aurait que peu de poids. La France seule ne pourrait guère peser sur une politique au niveau planétaire.

Notre discussion s’inscrit par ailleurs dans un agenda particulier : d’une part, l’Europe doit réviser le paquet énergie-climat alors que, d’autre part, nous nous apprêtons à débattre de la loi sur la transition énergétique, annoncée par le Gouvernement dans les semaines qui viennent.

Le rapport d’information, que Jean Jaques Guillet et moi-même avons présenté, porte sur l’ensemble des textes communautaires adoptés en 2008 – un règlement, trois directives et une décision –, qui constituent la politique européenne de lutte contre le réchauffement climatique.

Notre rapport résulte d’un grand nombre d’auditions et de tables rondes portant sur les principales thématiques du « paquet énergie climat » afin de recueillir la position des différents acteurs. Il a débouché sur dix recommandations pour réussir la transition énergétique, comme l’indique son titre, que l’on peut regrouper en trois blocs : le premier traite de l’articulation des stratégies nationales et européennes en matière de lutte contre le réchauffement climatique, le second porte sur la pédagogie et l’information des citoyens et le troisième sur la structuration des filières et l’accompagnement des entreprises dans la transition écologique de l’économie. Les conclusions émises par la Cour des comptes le 16 janvier dernier ont attiré notre attention sur plusieurs problèmes relatifs à la stratégie définie à l’échelon européen.

En premier lieu, et c’est un point important sur lequel je ne doute pas que nous reviendrons, la Cour considère que la formulation d’objectifs en termes d’émissions nationales de gaz à effet de serre n’est pas pertinente, car elle n’intègre pas les émissions liées à la consommation intérieure et aux importations. Dès lors, les délocalisations de production dans des pays aux normes environnementales moins exigeantes échappent à notre comptabilité. La notion d’empreinte carbone susceptible de s’y substituer prend en compte, elle, les émissions liées aux importations et semble comme telle plus judicieuse. Ce changement de critère nous semble nécessaire afin de ne pas inciter aux délocalisations.

Le deuxième constat relatif à la politique européenne formulé par la Cour des comptes a mis en évidence la nécessité de coordonner notre politique énergétique à l’échelon communautaire afin de tirer le meilleur profit de la diversité actuelle du « mix énergétique », c’est-à-dire du mélange entre les différentes sources d’énergie comme les sources d’énergie primaire ou la production d’électricité. Une gouvernance européenne offrira une vision d’ensemble grâce à laquelle il sera possible de répartir les investissements entre les réseaux et entre les capacités de production selon les besoins et les spécificités de chaque pays, par exemple en répartissant au mieux les énergies renouvelables selon leur potentiel qui n’est évidemment pas le même d’un pays l’autre. L’interconnexion des réseaux que vous avez évoquée, monsieur le secrétaire d’État, permettra aussi de mieux gérer les phénomènes de pointe de production et de consommation qui font appel à des centrales thermiques classiques et demeurent comme tels très fortement émetteurs de CO2, y compris dans notre pays.

Nos travaux ont également démontré que les politiques publiques nationales sont trop souvent dispersées et changeantes, en matière de production d’énergie renouvelable comme en matière d’efficacité énergétique. Enfin, nous avons souligné la nécessité de ne pas oublier les secteurs des transports et de l’agriculture, qui sont responsables respectivement de 26 % et 21 % des émissions de gaz à effet de serre. Ces proportions sont supérieures à ce qu’elles sont dans les autres pays de l’Union européenne, trop souvent négligés dans les politiques que nous menons.

Outre la nécessité de mieux coordonner notre politique énergétique à l’échelon européen, la lutte contre le réchauffement climatique suppose une sorte de révolution comportementale, comme l’ont fait très nettement apparaître les auditions que nous avons menées. Une telle évolution des comportements a pour préalable une information plus ample des citoyens consommateurs, ce qui m’amène à aborder des points plus concrets.

Le diagnostic de performance énergétique constitue un progrès indéniable, mais il faut le rendre plus transparent et, à terme, opposable, ce qui nécessite qu’il soit plus fiable. Je pense également aux compteurs dits « Linky », qui sont en réalité des compteurs intelligents ou communicants. Malheureusement, les modèles récents promus par EDF ne permettent pas aux ménages de maîtriser leur consommation faute d’être complètement informés à son sujet. Il importe donc que des informations relatives à sa consommation aussi transparentes que possible soient fournies à chaque consommateur, sans le surcroît de prix envisagé s’il faut installer un boîtier supplémentaire. Un compteur intelligent et communicant doit l’être d’abord pour les consommateurs. Je pense enfin à l’étiquetage des produits domestiques, qui doit être aussi un enjeu européen : l’étiquetage actuel n’est manifestement pas satisfaisant.

La lutte contre le dérèglement climatique est trop souvent perçue comme une contrainte alors qu’il s’agit pour nous d’une opportunité. Selon une étude du centre international de recherche sur l’environnement et le développement datant de la fin de l’année dernière, l’effet net de la transition énergétique sur l’emploi, selon les variantes du scénario négaWatt, est compris entre 220 000 et 300 000 emplois d’ici 2020 et entre 570 000 et 820 000 emplois d’ici 2030. Pour atteindre ces objectifs, il est indispensable de réunir l’ensemble des conditions politiques, administratives, réglementaires et fiscales nécessaires à la structuration du tissu économique et au développement des filières de l’économie verte.

Il faut d’abord garantir aux entreprises une stabilité accrue des règles fiscales et réglementaires. Qu’il s’agisse des conditions d’éligibilité au crédit d’impôt développement durable, des tarifs d’achats pour les énergies renouvelables, en particulier dans le secteur de l’énergie solaire, des conditions d’obtention par les particuliers d’éco-prêts à taux zéro ou encore des taux de TVA, les dernières années ont été marquées par trop de changements. Les particuliers comme les professionnels ont besoin de visibilité pour s’engager et investir et beaucoup d’investissements privés ont été bloqués ou abandonnés au cours des dernières années en raison de cette instabilité.

Il faut également simplifier les procédures administratives nécessaires au développement des activités ou à l’obtention des aides publiques. On parle beaucoup, dans le gouvernement dont vous êtes membre, monsieur le secrétaire d’État, de choc de simplification ; nous, les écologistes, le disons depuis longtemps : s’il est bien un secteur où on peut favoriser la simplification et par là-même la relance économique, c’est bien celui de l’éolien où les couches successives de réglementation se sont empilées pour que rien ou si peu ne se fasse ! Il faut également, et je sais que Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie y est très favorable, orienter davantage l’activité de la banque publique d’investissement et drainer l’épargne des ménages vers des investissements nécessaires à la transition énergétique.

Les financements, en particulier ceux des entreprises, doivent tenir compte du fait que les investissements dans la sobriété énergétique et les économies d’énergie sont rentables sur le temps long, alors que les entreprises cherchent le plus souvent un retour sur investissement rapide. Il faut s’appuyer davantage sur les collectivités locales ; on ne peut qu’espérer que la réforme territoriale constituera l’occasion de l’affirmer, afin de mettre en relation les acteurs, consolider les filières et mobiliser les citoyens dans tous les territoires. Il faut enfin associer le secteur bancaire afin de garantir un accompagnement financier optimal, ce qui est sans doute encore plus vrai pour les particuliers. On peut également imaginer un ajustement des appels d’offres publics visant à mieux y intégrer les petites et moyennes entreprises.

En conclusion, le rapport du comité d’évaluation et de contrôle prouve une fois de plus l’enchevêtrement, certes normal, entre enjeux nationaux et européens en matière énergétique. Il rappelle que le réchauffement climatique ne se conforme évidemment pas aux logiques ni aux frontières nationales et mérite à ce titre d’être combattu à tous les niveaux. Il rappelle également que les mesures mises en oeuvre au niveau européen doivent être prolongées, complétées et amplifiées. C’est à ce prix que nous parviendrons à maîtriser notre avenir face au double défi de l’énergie et du climat !

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