Intervention de Patrice Carvalho

Séance en hémicycle du 28 mai 2014 à 15h00
Débat sur les politiques européennes en matière de lutte contre le réchauffement climatique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrice Carvalho :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Union européenne est souvent citée en exemple comme un ensemble de pays volontaires en matière de réduction des émissions de CO2. De fait, elle s’est dotée d’un plan d’action dit « paquet énergie-climat » visant à mettre en place une politique commune de l’énergie et de lutte contre le changement climatique. Le premier paquet a été lancé en janvier 2008, avec pour but de permettre à l’Union européenne d’atteindre, d’ici 2020, l’objectif ambitieux des « trois fois 20 » : une réduction de 20 % des d’émissions de gaz à effet de serre, une amélioration de 20 % de l’efficacité énergétique et une part de 20 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie de l’Union européenne.

Le 22 janvier dernier, la Commission européenne a présenté une nouvelle série d’objectifs pour 2030 : la réduction des émissions de gaz à effet de serre est fixée à 40 % et la part des énergies renouvelables à 27 %, tandis que l’objectif de l’amélioration de l’efficacité énergétique demeure à 20 %. Tout cela semble marqué du sceau du volontarisme et de la prise en compte d’une situation d’urgence. Mais tout est dans la mise en oeuvre ; et là, nous nous apercevons rapidement que les intentions vertueuses sont contredites par les exigences d’un mode de développement qui n’en a que faire. La rentabilité du capital se soucie comme d’une guigne de la préservation de la planète.

Prenons quelques exemples. Lorsque des multinationales ferment ici des usines pour aller s’implanter dans des pays du sud, ou à l’est de l’Europe, elles le font parce que la main-d’oeuvre est bon marché, mais également parce que les normes environnementales sont moins strictes, quand elles ne sont pas inexistantes ! Elles disposent donc d’un second moyen d’accroître leurs marges et la rémunération de leurs actionnaires.

Dans les pays émergents, le charbon est la principale source d’énergie. Son utilisation ne diminue pas : au contraire, elle s’accroît. Le charbon représente 30 % de la consommation mondiale d’énergie primaire, juste derrière le pétrole – 33 % –, devant le gaz naturel – 24 % – et les énergies renouvelables – 2 %. Mais sa part dans les émissions de CO2 est de 44 %, selon l’Agence internationale de l’énergie.

Lors du sommet de Varsovie de novembre 2013, l’une des pierres d’achoppement avec les pays en développement résidait dans le non-respect par les pays industrialisés des engagements pris en 2009 en faveur d’une aide de 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 pour aider les pays les plus vulnérables à faire face au changement climatique et aux pertes et dommages subis à cause du réchauffement. Or, les pays concernés s’impatientent, car rien ne vient. Leur exploitation est bien trop rentable pour qu’il y soit mis fin. De nombreux choix politiques en matière énergétiques arrêtés dans l’Union européenne sont contradictoires avec les engagements pris.

Nombre de nos collègues siégeant sur ces bancs nous vantent régulièrement le modèle allemand. Eh bien, parlons-en ! Le « tournant énergétique », comme disent nos voisins d’outre-Rhin, est censé faire passer l’Allemagne sous le règne des énergies renouvelables à l’horizon 2050. En attendant, il vient de la propulser dans le fauteuil du champion d’Europe toutes catégories de la production de gaz à effet de serre, avec quelque 951 millions de tonnes de CO2 rejetées en 2013, soit 11 millions de tonnes de plus que l’année précédente.

Il faut en chercher la raison dans la formule adoptée par le gouvernement Merkel II en 2011, visant à organiser la sortie du nucléaire d’ici à 2022, ce qui a conduit à réactiver les centrales au charbon, grandes productrices de CO2. Et la dérive n’en est qu’à ses débuts, car le déploiement en grand en Allemagne d’un parc éolien soumis, par définition, au caprice du vent, conduit à doubler le dispositif de ces mêmes centrales à charbon. Le tout étant aux mains du privé, le prix moyen du kilowattheure oscille autour de 28 centimes d’euros, contre moins de 14 centimes en France.

Mais nous pouvons aussi balayer devant notre porte. Nous connaissons la tournure prise par le débat sur l’écotaxe poids lourds. Je ne sais pas encore ce que sera la décision du Gouvernement après les préconisations de la mission d’information de notre Assemblée, puis celles du Sénat. Je rappelle néanmoins que la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l’environnement fixait pour objectif de « faire évoluer la part modale du non-routier et du non-aérien de 14 % à 25 % à l’échéance 2022 » et « d’atteindre une croissance de 25 % de la part modale du fret non routier et non aérien d’ici 2012 ».

L’année 2012 est désormais derrière nous. Le fret ferroviaire continue de reculer et le « tout routier » de s’imposer. Les objectifs fixés ne sont donc que des voeux pieux. En matière d’amélioration de la performance énergétique des bâtiments, secteur responsable de 43 % de la consommation d’énergie dans notre pays, l’absence de volontarisme budgétaire – c’est un euphémisme – prive l’État, les collectivités territoriales et les organismes parapublics des moyens indispensables pour accélérer la construction et la rénovation énergétiques des parcs de logements sociaux et contrôler efficacement le niveau de performance énergétique réellement réalisée.

En résumé, l’Union européenne se fixe des objectifs ambitieux et salutaires mais la logique libérale dans laquelle elle est engluée contredit la possibilité de les atteindre. Il n’y aura donc pas de transition énergétique, ni de lutte contre le réchauffement climatique, si nous ne commençons pas à rompre avec le mode de développement qui a conduit aux dérèglements que nous voulons à présent juguler – encore faut-il en avoir la volonté politique ! À l’issue des élections de dimanche et du rapport de forces qui en résulte en Europe, le réchauffement climatique risque de peser bien peu sur les appétits enflammés des actionnaires.

À moins qu’exaspérés, conscients des risques pour la planète et reprenant confiance dans leur nécessaire intervention, les peuples ne s’en mêlent !

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