La contrainte pénale est la vraie nouveauté de ce projet de loi. Je vous renvoie à l'exposé des motifs de l'amendement pour comprendre de quelle façon cette peine indéterminée contrevient aux principes généraux du droit et au principe d'égalité des justiciables. Dans l'immédiat, je souhaite me faire l'écho du point de vue des organisations syndicales.
L'Union syndicale des magistrats, syndicat majoritaire dans la profession, émet de sérieux doutes sur l'efficacité de la contrainte pénale, qui va complexifier encore les procédures : « Imaginons qu'une personne en probation enfreigne les règles. Il se peut alors qu'elle soit incarcérée. À ce moment-là, le serpent se mord la queue et le gain en terme de surpopulation carcérale devient caduc. » Le président du syndicat lui-même, considéré comme modéré, dit ceci : « Aujourd'hui, la déception est grande. La chancellerie est enfermée dans son dogmatisme. Le système de probation, pour fonctionner, a besoin de moyens que l'on n'a pas. Dans les pays où ça marche, il y a un conseiller de probation pour 20 condamnés. Aujourd'hui en France, on en est à 1 pour 120 et, même en recrutant, en passant à 1 pour 60, cela ne sera pas assez. […] Si les magistrats en charge de la probation sont débordés, à la moindre récidive un peu spectaculaire, nous passerons encore une fois pour de dangereux laxistes. »
Le syndicat FO magistrats fait valoir de son côté que le sursis avec mise à l'épreuve (SME) ayant échoué, la contrainte pénale, qui est une sorte de super-SME, est elle-même vouée à l'échec : « L'étude d'impact reconnaît elle-même, dans des termes qui dissimulent mal l'embarras de ses rédacteurs, que “le sursis avec mise à l'épreuve est devenu une peine prononcée pour des motifs très divers, parfois peu lisibles, souvent par défaut ou pour éviter une incarcération” ».
De son côté, votre collègue André Vallini, avant d'entrer au Gouvernement, avait, en tant qu'expert des questions de justice, émis les plus expresses réserves sur cette réforme, en suggérant « qu'elle puisse être expérimentée, dans le ressort d'une ou deux cours d'appel, pendant deux ou trois ans ».
Permettez-moi également de citer le Collectif de parents et d'associations de familles de victimes, qui n'avait pas été invité à la conférence de consensus : « Les drames qui ont touché nos familles sont justement le résultat de dispositions laxistes et anti-prison dont ont bénéficié des criminels récidivistes. Maintenant, nous souhaitons avant tout que d'autres innocents ne connaissent pas le sort de nos chers disparus. Or les mesures démagogiques en préparation vont étendre des dispositifs qui mettent en péril d'autres femmes, filles, enfants, notamment en laissant en toute liberté un maximum de délinquants. Manifestement, nos vécus ne sont absolument pas pris en compte, nos tragédies sont méprisées. […] Cette soi-disant réforme ne garantira pas "“plus de sécurité”. En protégeant encore un peu plus les criminels, elle n'amènera que “du sang et des larmes” ».
Un jour, madame la garde des Sceaux, vous avez parlé de « ces faits divers inévitables », une expression particulièrement malvenue qui traduit très bien votre gêne à l'égard de leurs victimes. Je voudrais en évoquer trois.
Souvenez-vous de Chloé, cette adolescente retrouvée par miracle encore en vie dans le coffre d'un véhicule en Allemagne. Le kidnappeur, un certain Kamel Bousselat, s'était vu appliquer un sursis avec mise à l'épreuve pour plusieurs agressions sexuelles, mais ne répondait même plus aux convocations de l'agent de probation. Son nom ne figurait d'ailleurs pas au fichier des auteurs d'infractions sexuelles.
Autre fait divers, l'assassinat d'Agnès, treize ans, commis en novembre 2011 au Chambon-sur-Lignon par un lycéen âgé de dix-sept ans déjà sous le coup d'un contrôle judiciaire pour un viol commis en 2010.
Enfin, je citerai la découverte, en janvier 2011, du corps démembré de la jeune Laetitia, dix-huit ans, massacrée par Tony Meilhon, qui, au moment des faits, faisait l'objet d'un sursis avec mise à l'épreuve. On découvrira que ce dernier, faute de moyens, n'était même plus suivi par le service pénitentiaire d'insertion et de probation.
Voilà ce dont il s'agit : des « faits divers inévitables » impliquant des criminels multirécidivistes soumis à la surveillance, la mise à l'épreuve, la probation. Voilà le résultat de cette politique.