Je vous remercie de toutes vos questions et remarques, que je prends comme autant de signes de l'intérêt porté aux travaux du Conseil et de vos suggestions, dont nous essayerons de tenir le plus grand compte.
S'agissant du fonctionnement et du rôle du CSP, j'ai bien entendu les remarques qui ont été formulées, notamment par M. Hetzel, fin connaisseur du sujet. Il me semble nécessaire, au sein du système éducatif, de prendre en compte en tant que telle la question des contenus d'enseignement, et de mener une réflexion sur ces questions qui ont longtemps paru aller de soi. Le débat sur ces sujets a émergé dans l'opinion publique et dans la vie politique à partir des années 80. Les vagues de massification successives de l'enseignement secondaire, qui touchent aujourd'hui l'enseignement supérieur, ont conduit à s'interroger sur l'adéquation entre les enseignements et des publics très nouveaux. La définition des contenus d'enseignement apparaît déjà comme une préoccupation dans la loi de 1989, comme dans le rapport de MM. Pierre Bourdieu et François Gros de la même année, qui traite précisément de cette question.
Il est important que celle-ci soit abordée par une instance ayant clairement pour mission d'y travailler, en toute transparence. Différentes solutions peuvent être envisagées : vous en avez débattu au moment de la loi de 2013. Celle qui a été retenue est la création du Conseil supérieur des programmes. Nous renouons ainsi avec l'esprit du Conseil national des programmes qui avait fonctionné entre la fin des années quatre-vingt et 2005. L'existence de cette instance est, à mes yeux, une excellente chose, même si la responsabilité qui lui incombe peut paraître écrasante. D'autres pays ont fait des choix différents, comme celui d'une agence. Vous verrez à l'usage. Au Conseil supérieur des programmes de faire ses preuves ! Mais j'espère que nous saurons répondre le mieux possible aux attentes.
Nous agirons dans la diversité de nos membres, qui est en soi une excellente chose. Le dialogue s'est noué dès le début entre des personnes d'origines et de parcours différents ; c'est une grande richesse. Nous ne prétendons bien sûr pas, à dix-huit membres, couvrir tous les champs d'expertise. Notre rôle est de conduire et d'animer une réflexion qui sollicite des compétences extérieures chaque fois que cela apparaît nécessaire. Nous mettons alors en place des groupes d'experts qui nous apportent leurs lumières. Le Conseil est en fait un groupe qui anime un chantier collectif, et qui va réunir au fil du temps de plus en plus de compétences autour de lui.
Chacun de ses dix-huit membres vient avec sa culture, son expérience, son envie de bien faire et sa bonne foi ; chacun a son parcours et son expérience ; mais nul ne se fait le porte-parole de quelque groupe ou de quelque organisation que ce soit. Je récuse donc absolument la tentation de certains, dont la presse a pu se faire l'écho, de compter les représentants supposés de tel syndicat ou de telle organisation. Ce n'est pas ainsi que cela fonctionne. Chacun des membres du Conseil essaye d'apporter sa pierre à la réflexion collective, avec une grande liberté de pensée et de parole.
Nous le faisons en toute indépendance. Je n'ai jamais reçu de consignes des ministres de l'éducation nationale, en dehors des lettres de commande, qui sont publiques. Nous avons bien sûr un certain nombre d'interlocuteurs, dont les avis peuvent être utiles, mais qui ne sont pas pour nous des groupes de pression. Nous avons des échanges avec l'inspection générale de l'éducation nationale, dont les compétences nous sont précieuses ; mais nous les exploitons en toute liberté. Nous savons qu'il existe de nombreux groupes d'intérêts, qui représentent des disciplines, et de nombreuses organisations syndicales – c'est bien normal – qui expriment leur point de vue. Nous les rencontrons et nous les entendons, mais il s'agit d'une consultation, d'un débat collectif, et non de quelque forme de dépendance que ce soit.
En revanche, nous sommes très conscients de nos responsabilités, et du fait que nous devons être vigilants s'agissant de la capacité de l'opinion et du monde public à accepter les orientations que nous proposons. Il ne servirait à rien de jouer les provocateurs ; notre rôle est plutôt de faire émerger des points de consensus pour l'action collective. Il ne nous appartient pas d'apprécier si nous serons à la hauteur de la tâche mais nous n'avons pas le moindre doute sur l'intérêt de celle-ci.
Plusieurs orateurs ont souligné à juste titre l'enjeu que représente l'évaluation dans la question du socle commun. De fait, c'est sur ce point que la version 2006 du socle posait problème, quelle que soit la qualité du travail effectué par nos prédécesseurs. Le débat sur l'évaluation va se prolonger dans les mois qui viennent, mais le rapport que nous remettrons dans quelques jours retient d'ores et déjà quelques principes.
Ainsi, nous ne pouvons pas continuer à séparer le brevet des collèges et l'évaluation du socle : la même procédure d'évaluation doit valider le socle et les programmes, parce que c'est en fait la même chose.
De plus, cette procédure doit être simple et compréhensible par tout le monde – non seulement par les élèves, mais aussi par les parents. Dans le passé, et quelle que soit la bonne volonté des uns et des autres, les procédures retenues étaient devenues très difficiles à gérer, très compliquées pour les chefs d'établissement comme pour les enseignants, ce qui n'a pas permis de faire du bon travail. Nous prônerons donc un certain nombre de principes permettant de définir une procédure plus simple et plus transparente.
Par ailleurs, il faut non seulement prévoir une évaluation à chaque étape importante du parcours de progression des élèves, c'est-à-dire à chaque fin de cycle – puisque le décret du juillet 2013 fait du cycle la référence –, mais il faut aussi, et de façon complémentaire, une validation à la fin de la scolarité obligatoire, laquelle devra évidemment s'appuyer, au moins pour partie, sur le travail d'évaluation effectué au long du parcours. Les procédures que nous allons proposer seront donc marquées par une importante simplification – au moins pour ce qui concerne le livret personnel de compétences – et conduiront à une révision en profondeur du brevet des collèges, dont on peut facilement montrer aujourd'hui qu'il n'est pas satisfaisant.
Nous proposons d'organiser ce travail d'évaluation des connaissances et des compétences des élèves autour des cinq domaines qui composent le socle commun.
Le premier concerne les différents langages indispensables pour structurer sa pensée et pour communiquer : la langue française, qu'il faut bien sûr maîtriser, mais aussi au moins deux langues étrangères ou régionales – dont l'anglais, désormais difficilement contournable –, certains langages scientifiques comme les mathématiques et le numérique, et tous les outils de communication – les médias, Internet – permettant les échanges dans nos sociétés.
Le deuxième – qui n'a pas disparu, je peux vous rassurer sur ce point – concerne les façons d'apprendre. L'expression « apprendre à apprendre » est un peu stéréotypée et connotée, mais l'idée est bien là : maîtriser un certain nombre de méthodes et d'outils permettant d'avancer dans les apprentissages, non seulement lors de l'acquisition du socle, mais aussi dans la suite du parcours de formation et tout au long de la vie.
Le troisième domaine, essentiel, est relatif à la formation de la personne et du citoyen. L'école doit en effet assumer à la fois ses missions d'éducation et d'instruction, la difficulté étant de parvenir à articuler les deux.
Le quatrième domaine, relatif à l'observation et à la compréhension du monde, regroupe avec une forte volonté de cohérence les enjeux liés aux sciences et aux techniques.
Enfin, le cinquième domaine concerne les différentes représentations du monde, c'est-à-dire la manière dont, à travers les langages littéraires, la culture, l'histoire, la géographie, les hommes tentent de comprendre le monde dans lequel ils vivent.
Si nos propositions sont suivies, chacun de ces domaines sera divisé en quatre types de connaissances et de compétence sur lesquels portera l'essentiel de l'évaluation.
L'évaluation pose également la question du fonctionnement du système éducatif. Dans ce sens-là, il s'agit d'évaluer non plus les élèves et leur progrès, mais le système en tant que tel. Bien évidemment, nous travaillons sur ce point en lien étroit non seulement avec le Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO), avec la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), avec l'inspection générale de l'éducation nationale, mais aussi avec les universités. En effet, les universitaires devraient être amenés à s'intéresser de plus en plus aux travaux de recherche sur ce sujet, et les ESPE ne peuvent que favoriser le mouvement. Nous ambitionnons de réfléchir de concert avec tous ceux qui oeuvrent dans le champ de l'évaluation du système éducatif et d'en tirer les conséquences sur l'élaboration des programmes ou sur les évolutions nécessaires de nos projets.
L'actualité montre d'ailleurs l'intérêt de ce genre de va-et-vient. Catherine Moisan, directrice de la DEPP, vient ainsi de présenter une nouvelle enquête portant sur les performances à l'entrée du CE2, qui dépasse la question de savoir si le niveau monte ou baisse – un petit jeu dont les médias sont friands –, et dont les résultats sont très intéressants, bien que préoccupants : elle montre que si les élèves ont bien fait, à l'entrée au CP, des progrès assez nets dans le maniement de pratiques opératoires liées à la maîtrise du code, qu'il soit linguistique – lecture ou écriture – ou numérique, deux ans plus tard, à l'entrée en CE2, un progrès équivalent n'est pas observé, notamment parce que les élèves n'arrivent pas à réinvestir dans des activités complexes – lecture ou résolution de problèmes – les acquis obtenus en fin d'école maternelle.
Cette enquête montre que l'on ne peut pas mettre l'accent de façon systématique, voire mécanique, sur l'acquisition des codes, comme le suggèrent par exemple les personnes qui suivent attentivement les travaux de neurolinguistique. Mais bien entendu, on ne peut pas non plus insister uniquement sur les activités complexes : faute d'une maîtrise suffisante du code, en effet, on ne peut pas durablement résoudre des problèmes et comprendre des textes écrits.
En fait, une telle enquête permet de redécouvrir ce qui constitue une banalité en matière de réflexion pédagogique : il faut associer les deux démarches. On a besoin non seulement d'une acquisition et d'une consolidation systématique de la maîtrise des codes, mais aussi d'un travail avec les élèves sur la façon de mettre ces outils en oeuvre dans le cadre d'activités complexes de lecture, d'expression, de problématisation. Les deux sont importants, et nous allons en tenir compte dans l'élaboration des programmes.
Le mouvement de va-et-vient entre les évaluations et la réflexion sur les programmes est donc essentiel à nos yeux. Nous souhaitons y associer la recherche universitaire, dont le travail doit être mieux connu et mieux utilisé.
Beaucoup d'entre vous ont abordé la question du numérique, un sujet difficile qui comprend plusieurs facettes. La loi prévoit explicitement que soit prise la mesure, dans la définition des enseignements, de la place désormais occupée par le numérique dans la société. Cela entraîne au moins trois conséquences.
Tout d'abord, nous devons intégrer lors de la conception même des enseignements, et dans la totalité des disciplines, le fait que celles-ci seront enseignées avec des outils numériques. Ce n'est en effet pas neutre dans la mesure où de nouvelles pratiques d'enseignement deviennent possibles. Par exemple, on n'enseigne pas l'orthographe de la même manière selon que l'on dispose ou non d'un correcteur orthographique.
Ensuite, il convient de réfléchir aux usages du numérique, qui posent des problèmes tenant à la protection de la vie personnelle, au respect de celle des autres, à la déontologie, etc.
Enfin, le numérique a des conséquences sur l'apprentissage du codage – même si tout le monde n'a pas la même définition de cette notion. Bien entendu, il faut que les élèves bénéficient très tôt d'une initiation suffisante pour ne pas être, face au numérique, dans le registre de la pensée magique : ils doivent comprendre que des techniques se trouvent derrière. Mais cela ne signifie pas que l'on va faire de tous les élèves, dès la maternelle, des programmeurs maîtrisant tous les langages informatiques. La question est de savoir comment établir une progression pertinente en ce domaine, compte tenu de la formation des professeurs et de leur capacité à assurer cet enseignement. L'enseignement de l'informatique et des sciences du numérique dans les classes de lycée offre un exemple de réponse possible. S'agissant de la relation entre l'enseignement de l'informatique et celui des mathématiques, une possibilité est que le second élargisse son champ de façon à répondre aux besoins du premier. C'est également vrai pour la technologie.
J'en viens à la question de la culture, une notion également polysémique. Deux approches sont possibles. Dans l'expression : « socle commun de connaissances, de compétences et de culture », ce dernier mot doit selon nous être entendu dans son extension maximale – il ne recouvre pas seulement les pratiques culturelles. Le socle commun ne doit pas être pensé uniquement en termes opératoires, utilitaristes, mais se donner une ambition culturelle, c'est-à-dire contribuer à une meilleure compréhension du monde, ainsi qu'à la construction de références, de représentations, de principes partagés dont notre société semble avoir le plus grand besoin. C'est un enjeu majeur pour l'école.
Par ailleurs, la culture, dans le sens plus circonscrit du mot, relève notamment des enseignements artistiques et du parcours d'éducation artistique et culturelle. Cette dimension doit également être prise en compte.
Cela m'amène au curriculum, à la place des « éducations à » et aux disciplines, questions dont on pourrait parler très longuement. Il est vrai que pour éviter les polémiques, nous n'avons pas employé, dans la charte des programmes, le mot « curriculum », utilisé dans la littérature pédagogique internationale ; nous avons simplement fait référence à la « pratique curriculaire » – un choix un peu jésuite, j'en conviens ! Nous pensons en effet qu'il est sans grand intérêt de se battre pour l'utilisation d'un terme pouvant prêter à polémique. En outre, la loi prévoit un Conseil supérieur des programmes et non des curricula.
Cela étant, et c'est un secret de polichinelle, l'esprit de notre travail est celui du curriculum, avec l'idée qu'en matière de définition des contenus d'enseignement, il faut partir d'un projet global pour en déduire les parties, et non pas l'inverse, comme on le fait traditionnellement. De même, il faut articuler et mettre en cohérence le contenu de l'enseignement, l'évaluation, les pratiques pédagogiques et la formation des maîtres.
Cette volonté de cohérence n'est pas pour autant une machine de guerre dirigée contre les disciplines, contrairement à ce qui ressort de certaines polémiques fâcheuses. Les disciplines sont un outil indispensable pour structurer et penser les enseignements, mais elles ne doivent pas être figées. Elles doivent pouvoir évoluer pour répondre à des besoins nouveaux, et doivent accepter de dialoguer entre elles. Autrement dit, les disciplines sont une excellente chose si elles sont ouvertes et évolutives, mais fort mauvaise si elles sont figées et sclérosées.
De ce point de vue, la question des « éducations à », que beaucoup d'entre vous ont soulevée, est très intéressante. Depuis vingt ans, dans le système éducatif, on a laissé les disciplines se figer dans leur définition la plus traditionnelle. En conséquence, celles-ci ne répondaient pas à un certain nombre de besoins sociaux, pour lesquels on a inventé les « éducations à », qui reprennent les préoccupations actuelles de la société : le développement durable, la parité et les relations entre les sexes, etc.
Il nous semble que nous devons repenser l'ensemble et arrêter de séparer les disciplines d'une part, les « éducations à » de l'autre, d'autant que ces dernières courent le risque d'être marginalisées dans la pratique des enseignants. Il faut au contraire revivifier les disciplines afin qu'elles s'emparent des préoccupations au coeur des « éducations à ». Ainsi, on ne peut enseigner les sciences de la vie et de la terre sans traiter certains sujets comme la sexualité ou les genres, ni enseigner l'économie sans évoquer le développement durable. De même, on ne peut pas donner un cours de français ni s'intéresser à l'argumentation et au débat oral sans se poser en même temps la question de savoir en quoi cette argumentation est plus satisfaisante que l'affrontement comme moyen de régler ses relations avec les autres.
Par ailleurs, nous croyons nécessaire de laisser des marges de manoeuvre et d'initiative aux enseignants. Il faut arrêter de prétendre tout réglementer à la virgule près depuis les services du ministère. Le rôle de ce dernier est de définir clairement un certain nombre de priorités et de mobiliser les acteurs ; pour le reste, il faut faire confiance à la compétence collective, développer l'autonomie des établissements, celle des équipes pédagogiques, permettre aux acteurs de s'adapter à des contextes extrêmement variés et de faire preuve de créativité. C'est ainsi que le système se régénère, qu'il expérimente, qu'il invente de nouvelles réponses.
Plusieurs questions concernaient les ESPE, qui constituent un enjeu essentiel. Un programme ne vaut en effet que par la manière dont les enseignants peuvent se l'approprier et le mettre en oeuvre, ce qui se joue très largement au cours de leur formation. J'ai rencontré le représentant de la Conférence des directeurs d'ESPE, de même que je rencontre mes collègues de l'enseignement supérieur. J'ai évoqué la nécessité de rapprocher « bac moins 3 » et « bac plus 3 » : l'enseignement scolaire et l'enseignement supérieur doivent tisser des liens afin de reconstruire des cultures professionnelles communes. La situation actuelle – qui n'est pas seulement déterminée par le mode de formation des maîtres – peut conduire un étudiant à développer, au cours de ses cinq années de formation universitaire, une certaine représentation de sa discipline et une certaine compétence puis, une fois nommé dans un collège des Mureaux, à découvrir que ce qu'il a appris n'a rien à voir avec les besoins de ses élèves. Améliorer cette situation suppose de travailler très étroitement avec nos collègues de l'enseignement supérieur sur l'ensemble du parcours de formation des futurs enseignants, non seulement dans les ESPE, mais dès la licence.
Plusieurs questions délicates ont été posées sur l'opposition entre éducation et instruction, l'éducation morale et civique, la parité, la laïcité, la « théorie des genres », etc.
Le débat sur les rôles respectifs de l'école, de la famille et de la société en matière d'éducation remonte au moins à la Révolution française. On a tendance à opposer deux mondes, l'école étant chargée de l'instruction tandis que l'éducation relèverait exclusivement de la famille, avec le risque de s'enfermer dans des logiques communautaires. Il nous semble que dans la tradition républicaine, l'école s'occupe également d'éducation, parce que l'instruction comprend une dimension éducative. Elle doit cependant le faire dans le respect des pratiques familiales. Il y a donc un équilibre à trouver, mais l'école ne peut se défausser de ses responsabilités en matière d'éducation.
Son action, dans ce domaine, doit toutefois prendre appui sur les valeurs inhérentes au projet de l'école républicaine, rappelées dans la charte des programmes et qui figureront également dans le socle commun. Nous pensons ainsi que l'école est à sa place quand elle cherche à fonder des pratiques éducatives sur l'idée que la pensée rationnelle et argumentée vaut mieux que la rumeur, que l'échange avec l'autre vaut mieux que la violence, etc. Ce sont des valeurs sur lesquelles, je l'espère, nous sommes encore capables de nous mettre d'accord, et que l'école peut porter avec son approche propre sans pour autant choquer les familles.
Parmi elles figurent la parité, le respect des autres et notamment d'un sexe par l'autre, des notions qui feront évidemment partie du socle commun. L'école peut donc être amenée à rappeler, dans le cadre de certains enseignements, que le fait d'être un homme ou une femme et de se comporter en tant que tel ne correspond pas mécaniquement, dans le cas de l'espèce humaine, avec la distinction biologique entre mâle ou femelle. De nombreuses cultures, de nombreuses civilisations, de nombreuses périodes de l'histoire le montrent.
Faut-il pour autant voir derrière cette affirmation une « théorie des genres » ? Pour ma part, je ne sais pas ce que c'est : en tant qu'universitaire, je n'ai jamais rencontré une telle théorie. Il existe des études de genre, c'est-à-dire des travaux s'intéressant aux manifestations culturelles de la masculinité et de la féminité. Que certains en aient tiré des conséquences pouvant paraître excessives aux yeux de certaines familles, c'est un fait, et je ne crois pas nécessaire de les suivre sur ce terrain. Il n'est donc pas dans le rôle de l'école d'enseigner une théorie des genres qui de toute façon n'existe pas, mais il est en revanche important, pour la formation de tout individu et de tout citoyen, de montrer la relation complexe entre nature et culture dans l'espèce humaine. Cela peut se faire dans le respect des principes de raison et de tolérance, sans choquer la conscience de qui que ce soit ni déstabiliser les enfants.
À cet égard, il me paraît nécessaire de rester prudents sur les questions liées aux stéréotypes, car ces derniers ont un aspect positif et un aspect négatif. Un stéréotype est dangereux quand il tend à enfermer quelqu'un dans un rôle, mais il est positif quand il permet de se construire. Et de toute façon, on ne peut échapper complètement aux stéréotypes. De telles questions exigent donc de faire preuve d'une plus grande nuance que les polémiques ne le permettent, même si l'école ne doit pas les esquiver. Tout en étant respectueuse des convictions de chacun, l'école peut développer une morale permettant la parité et le respect des uns et des autres sans pour autant que son enseignement ne soit caricaturé en une supposée théorie des genres.
Un orateur a souligné la nécessité de pratiquer, sur tous ces sujets, de nouvelles formes de concertation. J'y souscris tout à fait, car nous vivons dans une époque qui ne respecte plus aucune légitimité a priori. Dès lors, on ne peut pas imposer des programmes d'enseignement en se prévalant par exemple de sa seule qualité de professeur au Collège de France. Ce n'est pas comme ça que les choses se passent. Il faut construire de nouvelles légitimités par l'échange, le dialogue, les consultations, ce qui nous concerne tous. Il est donc très important que la représentation nationale soit associée à la réflexion sur les contenus de l'enseignement, laquelle doit se développer encore plus largement. Notre charte des programmes suggère par exemple la création d'observatoires régionaux des programmes, qui seraient des instances utiles de débat et de pilotage pédagogique – j'en ai parlé la semaine dernière avec le recteur de Rennes. Nous devons imaginer des procédures nouvelles de consultation. Là encore, les outils du numérique pourront nous aider à faire surgir du débat de nouvelles légitimités.
La maternelle est une question sur laquelle nous remettrons un projet au ministre avant l'été. Je n'ai pas le temps d'évoquer le programme en détail, mais son fil conducteur est la recherche d'un point d'équilibre entre deux positions trop souvent présentées comme antinomiques, l'une faisant d'abord, voire exclusivement, de la maternelle un espace d'épanouissement spontané des enfants, ce qui conduit à mettre l'accent sur le jeu, les échanges, etc. ; l'autre la considérant avant tout comme un lieu d'apprentissage, certains allant même un peu trop loin au point de vouloir transformer cette école, et notamment la grande section, en une sorte de propédeutique au cours préparatoire et à l'école élémentaire. Toute la question est de trouver le bon dosage, le bon équilibre entre les deux approches, ainsi que la bonne progression, car les enfants passent trois, voire quatre ans en maternelle. Nous pensons que l'école peut être à la fois le lieu du vivre-ensemble et le lieu de l'apprendre-ensemble.
Je vous rassure, monsieur Hetzel : sur toutes ces questions, nous tiendrons rigoureusement le calendrier qui nous a été assigné. Nous remettrons notre projet au ministre avant l'été, et le débat s'engagera à la rentrée. Nous sommes dans les temps, en dépit de l'ampleur de la tâche, et même si nous avons la volonté de ne pas passer en force et de prendre le temps nécessaire pour construire le consensus.
J'ai certainement oublié de répondre à certaines de vos questions, mais je vous promets de ne pas les oublier dans nos réflexions.