Intervention de Wolfgang Tiefensee

Réunion du 28 mai 2014 à 9h30
Commission des affaires économiques

Wolfgang Tiefensee, ancien ministre, membre du Bundestag, responsable du SPD au sein de la commission de l'économie et de l'énergie :

Mesdames et messieurs, à mon tour, je vous remercie chaleureusement de nous avoir invités.

Je suis tout à fait d'accord avec mon collègue : pour préparer l'avenir, nous devons rompre avec les perspectives strictement nationales et raisonner en termes européens. De ce point de vue, la coopération entre la France et l'Allemagne est un très bon début. Je me réjouis que nous disposions avec l'Office franco-allemand pour les énergies renouvelables d'une sorte de back-office. Mais il faut intensifier nos échanges, consacrer davantage de ressources à notre coopération et aller plus vite. Car, au-delà de son intérêt intrinsèque, la phase de discussion en cours vise à fixer des orientations pour l'avenir. Par exemple, des mécanismes de capacité que nous élaborerions chacun dans notre coin risqueraient de se révéler incompatibles dès l'an prochain et il nous faudrait de gros efforts pour y remédier.

En ce qui concerne la transition énergétique, nous nous concentrons aujourd'hui beaucoup trop sur l'électricité. Nous, Allemands, n'atteindrons nos deux principaux objectifs – la sortie du nucléaire et la réduction des émissions de CO2 – que si nous envisageons toutes les formes d'énergie, y compris l'énergie thermique et l'énergie mécanique. Ces dernières contribuent beaucoup plus à la consommation d'énergie : c'est sur elles que nous pouvons agir pour la réduire.

Depuis le second semestre 2013, nous avons travaillé sur l'amélioration de l'efficacité énergétique ; elle fera l'objet d'un programme que Sigmar Gabriel va présenter à l'automne. Au-delà du secteur du bâtiment, il s'agit de discuter d'abord de la transposition des orientations énergétiques et environnementales de l'Union européenne, ensuite du marché de l'électricité et de la manière dont nous nous représentons l'évolution de la production et de la consommation. Nous aurions dû nous en occuper avant la réforme de la loi EEG qui, vous le savez, a été précipitée par la perspective d'une procédure ouverte par Bruxelles à propos de notre mécanisme de compensation.

Nous devons donc réfléchir sans plus tarder à la réorganisation du marché de l'électricité, lequel doit impérativement être européen. Devrait-il toutefois englober l'ensemble de l'Union européenne ? Faut-il une Europe à deux vitesses, avec un noyau composé de quelques États qui font progresser les dossiers tandis que les autres suivent ? À mon sens, en tout cas, la coopération ne doit pas être uniquement franco-allemande ; nous devrions inclure très en amont la Pologne, dont la politique énergétique est totalement différente, à nos efforts, ou tout au moins à nos réflexions, afin de garantir une compatibilité des régimes.

J'en viens à la loi EEG, qui a permis de développer avec succès les énergies renouvelables en Allemagne. Adoptée en 2000 – c'est le moment de la véritable transition énergétique –, elle s'apparente à un instrument de gestion du marché. Mon collègue a rappelé le niveau élevé de dépenses qu'elle implique – 25 milliards d'euros par an au titre du tarif d'achat, par exemple. Mais l'on ne peut introduire de nouvelles technologies qu'à condition de recourir à de puissants mécanismes incitatifs. C'est ce que nous avons fait en 2010, en accordant des garanties sur vingt ans. Sans ces mécanismes, nous n'aurions rien pu planifier, nous n'aurions pas investi dans le développement de nouveaux produits, nous n'aurions pas fait de recherches sur le solaire, le photovoltaïque, l'éolien ; bref, nous n'aurions jamais pu atteindre notre objectif de 25 %.

En revanche, nous n'avons pas réussi à faire de notre loi un instrument de pénétration du marché, c'est-à-dire à transformer les énergies renouvelables, qui occupaient une place à part dans le paysage, en marché tout à fait libre. Nous aurions dû réformer la loi comme nous le faisons aujourd'hui : nous avons perdu plusieurs années et cela nous coûte extrêmement cher. Mais un homme politique n'a pas à se lamenter à propos de ce qu'il aurait dû faire : il reste à se retrousser les manches et à revoir la loi.

Quels sont les principaux problèmes ? D'abord, l'absence de synchronisation entre la production d'énergie renouvelable et sa consommation : nous mettons le produit à disposition, mais il n'est pas consommé. Plusieurs fois par an, le prix de l'électricité devient ainsi « négatif », c'est-à-dire que nous donnons à la France de l'argent pour nous acheter de l'électricité ; de l'autre côté, nos voisins polonais se plaignent de ce que nous injectons de l'électricité en Pologne, sans compter le problème des centrales à charbon. Nous ne pouvons évidemment maîtriser les conditions météorologiques en France et en Pologne. Voilà pourquoi une régulation est indispensable, d'autant que notre capacité de stockage n'est pas suffisante non plus.

Ensuite, le développement des réseaux ne coïncide pas avec la production. Dans le Schleswig-Holstein, on produit de l'énergie éolienne mais il n'y a personne pour la consommer, car les consommateurs sont surtout dans le Sud et les deux régions ne sont pas reliées. Nous aurions besoin de construire 2 500 ou 3 000 kilomètres de lignes ; nous ne devons pas en avoir plus de 500 aujourd'hui.

Voilà pourquoi nous révisons la loi. L'idée est de freiner le développement des capacités de production d'énergie renouvelable en instaurant des plafonds. En matière d'éolien offshore, par exemple, la capacité des nouvelles installations ne doit pas dépasser 6,5 gigawatts en 2020 ; au-delà de ce plafond, les aides seront dégressives. Pour l'éolien terrestre, la limite est de 2,5 gigawatts par an. Nous nous efforcerons d'y parvenir en rénovant les installations existantes, construites il y a dix ou douze ans. Il n'est pas question de construire de nouvelles installations partout, mais nous avons besoin d'éolien terrestre dans le Sud du pays.

Pour l'énergie photovoltaïque, le plafond est également de 2,5 gigawatts par an. Contrairement à ce que l'on peut souvent lire dans la presse, nous n'avons pas la moindre intention d'étrangler la filière solaire : il faut continuer de développer le photovoltaïque, mais pas dans les proportions que nous avons connues en 2010 et 2011, avec la construction de méga-installations.

Nous voulons également introduire une forme de solidarité des autoproducteurs. Celui qui produit de l'électricité et qui en consomme une partie devra donc contribuer au financement des énergies renouvelables, tout au moins au-delà d'un seuil – dérisoire – de 10 kilowatts. Mon collègue Pfeiffer et moi-même nous interrogeons toutefois sur l'automaticité de la contribution proposée par le gouvernement : peut-être vaudrait-il mieux en passer par le tarif de réseau au moyen d'une taxe, un peu comme pour l'eau, car lorsque le soleil ou le vent font défaut, les autoproducteurs peuvent être amenés à consommer une énergie qu'ils n'ont pas produite.

J'en viens à la réforme du mécanisme de compensation que la loi EEG accorde aux industries électro-intensives. Il s'agit d'assurer leur survie. En Allemagne, l'industrie ne représente pas moins de 23 ou 24 % du PIB, contre 12 % environ en France. En outre, la compensation est rendue nécessaire par le niveau élevé des taxes liées aux énergies renouvelables. Nous en avons parlé avec Bruxelles et, après d'intenses débats, nous nous sommes mis d'accord sur le dispositif suivant : si la part du coût de l'électricité dans leur valeur ajoutée brute atteint un certain seuil – fixé auparavant à 14 %, désormais à 16 ou 17 % selon les cas –, certaines de ces entreprises peuvent être partiellement exonérées du prélèvement prévu par la loi EEG. Le prélèvement reste entièrement payé pour le premier kilowattheure, puis à raison de 0,1 centime pour les kilowattheures supplémentaires. Les entreprises apportent donc bien une contribution, qui représente environ 12 milliards d'euros, à rapporter au coût total de 24 milliards.

Nous souhaitons également promouvoir à partir de 2017 un modèle d'appel d'offres. À cet égard, l'expérience de la France nous intéresse beaucoup. Il s'agit de réserver les aides aux entreprises ayant remporté un appel d'offres, qu'il soit régional, lié à une technologie, allemand ou européen. Nous avons l'intention d'en discuter encore et d'expérimenter le dispositif sur le terrain, en tirant les leçons de l'expérience peu concluante du Royaume-Uni, du Danemark et de l'Italie.

Développer davantage les énergies renouvelables, réduire les émissions de CO2, abandonner progressivement les centrales à charbon : la tâche est gigantesque. Dès lors, nous avons tout intérêt à travailler conjointement afin d'organiser le marché européen de l'électricité, de l'énergie thermique et de la mobilité.

Je me réjouis donc du dialogue que nous engageons avec vous. Peut-être pourrions-nous nous voir deux fois par an pour faire le point.

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