Intervention de Joachim Pfeiffer

Réunion du 28 mai 2014 à 9h30
Commission des affaires économiques

Joachim Pfeiffer, membre du Bundestag, porte-parole de la CDU pour la politique économique :

Après la libéralisation des marchés de l'énergie engagée en Europe à partir de 1998, l'Allemagne a choisi, contrairement à la France, d'ouvrir entièrement son marché de l'électricité, y compris pour les particuliers. Le réseau constituant un monopole naturel, nous avons essayé de porter notre action sur l'accès au réseau, mais ce fut un échec : faute d'accord entre les exploitants de réseaux, ceux qui étaient en situation de monopole et pratiquaient des prix excessifs ont réussi à s'imposer.

L'Union européenne ayant adopté par la suite une directive visant à accélérer le processus, nous avons demandé à l'Agence fédérale des réseaux – Bundesnetzagentur –d'assurer la régulation des marchés du gaz et de l'électricité, ainsi que celle de différents réseaux d'infrastructures tels que le réseau ferroviaire. Ce dispositif a plutôt bien réussi ces dernières années. De 2006 à 2012, ce secteur a connu une stabilité, voire une baisse des prix, contrairement aux secteurs soumis à la loi EEG. En d'autres termes, la régulation a permis de freiner la hausse des prix.

Cela dit, le plan de développement des réseaux entraînera une nouvelle hausse. Le dispositif est comparable à celui du TURPE (tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité).

La question du développement des réseaux est examinée lors d'un point annuel. Il a été prévu de construire de nouvelles infrastructures pour transporter l'électricité sans surcoût sur de longues distances, notamment du nord vers le sud. Ce projet doit s'inscrire dans le développement indispensable d'infrastructures européennes tant en matière d'électricité que de gaz. C'est la seule façon d'exploiter au mieux le marché intérieur et le potentiel de production d'énergies renouvelables là où elles coûtent le moins cher : il est bien entendu préférable de construire des éoliennes là où il y a le plus de vent, et d'installer des centrales solaires là où il y a le plus de soleil. Avec un réseau d'infrastructures organisé au niveau européen, cela devrait marcher.

La Bundesnetzagentur est un organisme indépendant qui comporte différentes chambres et est dirigé par un président et deux vice-présidents, un peu à l'instar d'un tribunal. Administrativement rattachée au ministère de l'économie, elle n'a cependant pas à rendre de comptes au pouvoir politique. Celui-ci ne peut l'influencer directement, ce qui me semble une très bonne chose. C'est à dessein que nous avons mis en place un dispositif qui évite toute ingérence politique.

L'Agence est également dotée d'un conseil consultatif composé de membres du Bundestag et du Bundesrat. Je suis actuellement le président de cette instance de discussion et de concertation.

J'en viens à la question du gaz. Aujourd'hui, l'Allemagne achète presque 40 % de cette ressource à la Russie. Mais les Russes ont besoin de l'argent que nous leur donnons en échange. Il y a donc interdépendance : la Russie ne pourrait équilibrer son budget, verser des prestations sociales, etc., sans l'argent qu'elle tire de l'exploitation du gaz. Même au plus fort de la Guerre froide, elle n'a jamais interrompu ses livraisons de gaz à l'Allemagne ou à l'Europe de l'Ouest.

Il n'en reste pas moins préférable de diversifier l'approvisionnement en mettant l'accent sur les énergies renouvelables mais aussi, parfois, sur d'autres sources d'énergie – dont des énergies fossiles importées.

En matière de gaz naturel liquéfié, les capacités allemandes sont, sauf erreur de ma part, sous-utilisées d'un tiers du fait des difficultés de transport. Je crois néanmoins souhaitable de développer des terminaux de GNL en Allemagne. Pour l'heure, nous passons par Rotterdam. Le projet de construction d'un terminal à Wilhelmshafen a été abandonné faute de rentabilité.

Je me dois d'aborder maintenant une question plus controversée. Depuis notre décision d'arrêter nos centrales, de nombreuses organisations non gouvernementales ressentent le besoin d'enfourcher de nouveaux chevaux de bataille. Les gaz de schiste sont un sujet tout trouvé, qui donne lieu à des débats intenses, plus émotionnels que rationnels. L'exploration et la fracturation soulèvent de grandes réserves, même si la fracturation se pratique depuis soixante ans en Allemagne pour produire du gaz et n'a pas posé de problème particulier jusqu'à présent, notamment sur le plan de l'environnement.

Bien que cette technique soit très mal perçue par l'opinion, je crois qu'il faut saisir les possibilités offertes par le gaz de schiste – reste à savoir dans quelles conditions et à quel coût pour l'Allemagne et pour l'Europe. Les Polonais s'y sont mis : nous verrons ce qu'ils font.

La politique américaine de développement du gaz de schiste a bouleversé la carte énergétique mondiale, notamment en matière de prix. Le coût de leur gaz de schiste étant faible, les États-Unis ont pu arrêter leurs importations – si l'on excepte les contrats encore en cours avec le Canada – alors qu'ils étaient encore, il y a sept ou huit ans, le premier importateur mondial de gaz. Ils sont en train de transformer les installations pour que le pays puisse, non plus importer, mais exporter du GNL.

Les conséquences pour l'Europe seront un accroissement de la liquidité dans ce secteur, même si l'on ne devrait pas descendre au niveau de prix atteint aux États-Unis.

Sur le plan de la compétitivité, en revanche, l'exploitation des gaz de schiste aura une importance considérable. Qu'on le veuille ou nous, la révolution des gaz de schiste a eu lieu aux États-Unis, et elle a permis à ce pays de réduire ses émissions de CO2 de 20 à 25 %, du fait de l'abandon d'autres combustibles. À court et à moyen terme, les gaz de schiste représentent à mes yeux un complément optimal aux énergies renouvelables.

Pour l'heure, cependant, l'Allemagne ne peut à la fois abandonner le nucléaire et renoncer au charbon. Nous sommes parvenus à 25 % de production à partir de sources renouvelables. Pour le reste, il faut recourir à d'autres sources, notamment le charbon. N'oublions pas que l'Europe doit rester compétitive. Si nous excluons a priori les gaz de schiste, je ne sais si nous pourrons maintenir le cap.

L'Allemagne est en effet exportatrice d'électricité, monsieur Straumann, mais ce n'est pas forcément rentable : le KWh est vendu 7 centimes alors que le prix normal est de 18 centimes. C'est un point qu'il faudra corriger.

Pour les industries électro-intensives, le mécanisme de compensation allemand, validé sur le plan européen, distingue plusieurs catégories en fonction non seulement de la consommation d'électricité mais aussi de la part du coût de l'électricité dans la valeur ajoutée de l'entreprise. Il faut cependant savoir que la plupart des entreprises ne bénéficient pas d'allègements ou d'aides. Le plafond prévu entre 0,5 et 4 % concerne surtout les industries de l'acier, de l'aluminium, du zinc, du cuivre, etc. Il s'agit d'assurer leur compétitivité par rapport aux entreprises des autres pays. Nous sommes heureux d'avoir réussi à régler ce dossier avec Bruxelles après de longs débats. Cela donne aux industries électro-intensives une visibilité pour les prochaines années.

L'Allemagne, madame Marcel, avait fixé un objectif de production annuelle de 6 milliards de mètres cubes de biométhane injectés dans les réseaux d'ici à 2020. Mais nous avons constaté que cette production coûtait très cher. Nous avons donc rectifié le tir en modifiant la loi EEG, si bien qu'il n'y aura probablement pas de développement des capacités dans les années à venir. Cela dit, le biométhane peut être utilisé à d'autres fins, comme la production de chaleur ou d'électricité.

S'agissant des moteurs à combustion classique, les ingénieurs estiment de 20 à 30 % les gains possibles d'efficacité, ce qui est tout de même considérable. Il existe également des évolutions technologiques comme les pneus « verts », qui ont les mêmes caractéristiques que les autres pneus mais consomment 20 à 30 % de carburant en moins. Il y a là, pour nos entreprises, des possibilités de développement au plan mondial.

L'autoconsommation d'électricité est possible en Allemagne, madame Le Loch. Le système étant particulièrement attractif – l'énergie non injectée dans le réseau n'est pas, jusqu'à présent, soumise à la taxe pour le financement des énergies renouvelables –, c'est une pratique très répandue. On peut arriver à 13 où 14 centimes d'économie par KWh. L'autoconsommation concerne aussi, à hauteur de 50 TWh, le secteur industriel. Cette évolution est en rapport avec l'essor de la cogénération. Dans ce domaine, nous nous efforçons de trouver des solutions pour préserver les installations existantes et pour développer les capacités là où cela est nécessaire. Une meilleure régulation devrait permettre de favoriser la cogénération.

Pour ce qui est des coûts, la production et la distribution « classiques » d'électricité représentent environ 7 centimes. Tout le reste, ce sont des impôts et taxes : taxe d'utilisation des réseaux publics d'électricité, TVA, taxe pour l'éolien en mer, etc., dont certaines ne sont pas d'une utilité évidente !

Il ne faut pas toujours raisonner en termes de production de pointe. Nous avons par exemple élaboré une technique de lissage des pointes. Alors que l'on s'était toujours placé sur le plan de l'offre, l'effacement – qui est une adaptation de la demande à la production – est un concept intéressant. Plus grande sera flexibilité, plus efficace sera le marché et plus intense la concurrence.

Mais, je le répète, une approche européenne synchronisée est absolument indispensable. Il faut développer des infrastructures au niveau européen et harmoniser les dispositifs d'aide, notamment en faveur des énergies renouvelables. De grandes potentialités existent en Europe centrale. Cela devrait nous aider à réaliser le marché intérieur au moins dans cette partie de l'Union européenne. Il n'y a pas eu, jusqu'à présent, d'harmonisation des politiques. Nous devons impérativement intensifier nos échanges sur ces questions.

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