Intervention de Didier Migaud

Réunion du 28 mai 2014 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Je suis heureux d'être auditionné par votre commission sur les travaux que la Cour produit chaque année pour le Parlement en application de la loi organique relative aux lois de finances – LOLF –, à l'occasion de la discussion sur le projet de loi de règlement : l'acte de certification des comptes de l'État et le rapport sur le budget de l'État en 2013. Ces deux documents portent sur une partie seulement des administrations publiques – l'État et ses opérateurs –, ainsi que sur le dernier exercice clos, c'est-à-dire celui de 2013. Cette année, vous disposerez dès le milieu du mois de juin du rapport annuel de la Cour sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui comprendra des informations actualisées et prospectives sur les finances publiques dans leur ensemble. Dans l'immédiat, vous trouverez dans les rapports qui vous sont présentés ce matin une matière riche qui vous permettra d'analyser les comptes et le budget de l'État. Ces rapports ont été préparés par la formation interchambres que préside Raoul Briet, présent à mes côtés. Les travaux sur lesquels s'appuient ces documents ont été réalisés par des équipes animées respectivement par Dominique Pannier, conseiller maître, Lionel Vareille, conseiller référendaire, et Laurent Zérah, expert, pour l'acte de certification, et par Catherine Périn, conseiller maître, Fabrice Malcor et Louis-Paul Pelé, rapporteurs, pour le rapport sur le budget de l'État en 2013. Les contre-rapporteurs étaient respectivement Jean-Pierre Laboureix et Christian Charpy.

J'aborderai successivement et de façon aussi concise que possible le contenu de ces deux documents, qui synthétisent chacun un travail dense, avant de répondre à vos questions.

Depuis huit ans déjà, la Cour transmet au Parlement son opinion sur les comptes de l'État, tels qu'ils sont arrêtés par le ministre des Finances pour être intégrés au projet de loi de règlement qui vous sera soumis dans quelques jours. La certification a pour objet d'apporter une assurance raisonnable sur la régularité, la fidélité et la sincérité des états financiers formant le compte général de l'État. Instituée depuis 2006 en application de la LOLF, la comptabilité de l'État s'inspire autant que possible des principes de la comptabilité privée tout en s'adaptant aux spécificités de l'action publique. Elle livre de riches informations que n'apporte pas la comptabilité budgétaire, créée il y a plus de deux siècles pour suivre le respect de l'autorisation parlementaire. La certification est l'instrument donnant aux parlementaires, aux citoyens et aux investisseurs en titres de dette la garantie que les comptes publics sont transparents et procurent une image fidèle du patrimoine national. Cette comptabilité de nature patrimoniale permet d'apprécier, au-delà des flux de l'année, les actifs détenus, les passifs recensés et les engagements hors bilan, et ainsi d'évaluer de manière complète la situation financière de l'État, son patrimoine, ses créances et ses dettes. La transparence qu'induit une telle comptabilité permet aussi d'identifier tant les dépenses futures résultant de décisions passées que les risques avérés ou potentiels pour les exercices suivants.

Au titre de l'exercice 2013, la Cour certifie que les comptes de l'État donnent une image fidèle de sa situation financière et de son patrimoine, sous cinq réserves substantielles.

Avant d'exposer celles-ci, je veux souligner que, cette année, deux réserves non substantielles ont pu être levées, des progrès ayant été enregistrés dans deux domaines.

Le premier est celui du recensement et de l'évaluation du parc immobilier de l'État, préalable indispensable à la bonne gestion de ce patrimoine. La valeur des immeubles dits « banalisés » – les bureaux, les locaux industriels ou commerciaux ou encore les logements de fonction – est, au 31 décembre 2013, de 48 milliards d'euros. Les inventaires et estimations réalisés ont conduit les services de l'État à mener un nombre croissant d'opérations afin d'optimiser la gestion de ce parc. Les ventes de biens immobiliers ont rapporté à l'État 588 millions d'euros de produits en 2013, dont 391 millions ont été encaissés. S'il fallait se convaincre que la certification n'est pas qu'un acte de pure technique comptable, mais qu'elle permet d'identifier chaque année des enjeux liés à la gestion de l'État, voilà un exemple qui me semble parlant. Et c'est parce que la direction générale des finances publiques a consenti pendant plusieurs années des efforts importants que nous avons levé cette réserve. La Cour veillera à ce que ces progrès soient préservés grâce à une actualisation régulière du recensement et de la valorisation des biens immobiliers de l'État, notamment de ceux situés à l'étranger.

Le second domaine dans lequel la Cour a constaté des progrès est celui du recensement et de l'évaluation des passifs non financiers de l'État, qui comprennent notamment les engagements pris par l'État à l'égard des ménages, des entreprises, des organismes de sécurité sociale et des collectivités territoriales, au travers de plus de 1 300 dispositifs d'aide. Cette évaluation a permis de comptabiliser 20 milliards d'euros de provisions supplémentaires.

Je souhaiterais également vous présenter l'information dite « sectorielle », qu'a certifiée la Cour pour la première fois cette année : il s'agit d'une répartition des informations comptables – actifs, passifs, charges, produits, engagements hors bilan – sur sept secteurs d'activité de l'État regroupant plusieurs missions budgétaires. Cela permet de constater que pour les trois quarts les charges de personnel de l'État sont portées par deux secteurs : celui des finances, pour 60 milliards d'euros, incluant les pensions de retraite des fonctionnaires, et celui de l'éducation et de la culture, pour 42 milliards d'euros. On remarque également que 83 % des actifs corporels de l'État relèvent du secteur « Développement durable », avec les concessions autoroutières, les barrages hydroélectriques et les routes. Ces informations comptables apportent un éclairage nouveau sur le poids respectif des activités de l'État et fournissent un complément utile à l'approche budgétaire.

Les travaux d'amélioration de la qualité des comptes de l'État doivent désormais se concentrer sur les cinq réserves qui demeurent, encore qualifiées par la Cour de « substantielles », étant rappelé qu'au début de la certification des comptes, elles étaient treize.

La première concerne Chorus, le système d'information financière de l'État, qui reste insuffisamment adapté à la tenue de sa comptabilité générale et aux vérifications du certificateur.

La deuxième porte sur les dispositifs ministériels de contrôle et d'audit internes, qui restent trop peu effectifs et efficaces, alors même que le développement de ces fonctions répond aux besoins de chaque gestionnaire, dans la mesure où elles leur permettent d'analyser efficacement les principaux risques qui pèsent sur leur action. La Cour a comparé pour la première fois cette année la performance de onze ministères en matière d'utilisation des outils et méthodes du contrôle et de l'audit internes.

Troisième réserve substantielle : la comptabilisation des produits régaliens, c'est-à-dire du produit des impôts et des créances et dettes qui s'y rattachent, reste affectée par des incertitudes et des limitations significatives. Les systèmes d'information fiscale n'ont pas été conçus pour retracer de manière automatisée les créances et les engagements fiscaux de l'État vis-à-vis des redevables. Pourtant, une automatisation plus poussée renforcerait la fiabilité des prévisions de recettes fiscales car elle permettrait de suivre en temps réel l'évolution des créances et des dettes fiscales sans qu'il faille attendre les lourdes opérations d'inventaire à la clôture. Le pilotage des finances publiques en serait facilité. Lorsque je vous présenterai dans quelques instants le rapport sur l'exécution budgétaire, j'aurai l'occasion d'insister sur l'importance de mieux prévoir, suivre et anticiper le produit des recettes de l'État – ce à quoi peut contribuer la certification dans la mesure où elle nous apporte plus rapidement une connaissance affinée de ces recettes.

Des incertitudes importantes continuent à peser sur le recensement et l'évaluation des stocks et immobilisations du ministère de la Défense ainsi que des passifs qui s'y attachent, et c'est l'objet de la quatrième réserve substantielle de la Cour. À titre d'illustration, les provisions pour démantèlement des réacteurs de sous-marins nucléaires – démantèlement déjà en cours en ce qui concerne les réacteurs de première génération – sont calculées selon des modalités peu satisfaisantes, puisqu'elles n'intègrent pas la totalité du processus, allant jusqu'au traitement complet des matériels, comme le font celles des opérateurs de la filière nucléaire civile, tels qu'EDF. La France n'est d'ailleurs pas le seul État à avoir des difficultés à recenser les passifs associés aux équipements militaires : le certificateur américain a ainsi, pour la quatorzième année consécutive, refusé de certifier les comptes du département de la Défense. Quant à nos homologues britanniques, ils ont formulé une réserve d'ampleur sur les comptes de leur ministère de la Défense. En France, si ce recensement représente un travail de longue haleine, il doit cependant être impérativement poursuivi par le ministère concerné.

La dernière réserve substantielle de la Cour a trait à l'évaluation des immobilisations financières de l'État, qui comprend notamment les 1 854 participations financières de l'État, d'une valeur nette de 255 milliards d'euros. Cette évaluation reste affectée par plusieurs incertitudes significatives. Des progrès ont cependant pu être observés, grâce à un recours de plus en plus systématique à la certification des comptes des diverses entités contrôlées par l'État – 92 des 100 premières sont désormais concernées.

Pour la première fois en octobre 2013, la Cour des comptes a établi, en vertu d'une disposition législative introduite en 2011, un rapport annuel sur la qualité comptable des administrations publiques soumises à l'obligation de faire certifier leurs comptes par un commissaire aux comptes : elle y relève que le champ des administrations soumises à cette obligation manque quelque peu de cohérence, mais y apprécie positivement la qualité comptable de ces administrations publiques prises dans leur globalité, tout en exprimant des nuances. Je vous invite à vous intéresser à ce rapport dans lequel la Cour formule des recommandations afin d'améliorer la qualité comptable de cet ensemble d'organismes publics, tout en précisant que le prochain rapport vous sera livré à l'automne.

Pour en revenir à l'État, il appartient à l'administration de consolider dans la durée les progrès accomplis en 2013, d'exploiter davantage les possibilités qu'offre désormais le système d'information financière et de poursuivre la rationalisation de ce dernier afin de mieux répondre aux besoins des utilisateurs de la comptabilité. L'exploitation de l'information livrée par les comptes de même que l'effort fourni sous l'aiguillon du certificateur pour les rendre plus fiables me paraissent utiles à la gestion quotidienne. L'Assemblée nationale et le Sénat ayant eux-mêmes choisi de faire certifier leurs comptes par la Cour pour la première année en 2013, celle-ci s'est acquittée de cette mission et les a certifiés sans réserve.

En conclusion, la Cour reconnaît que l'effort engagé depuis 2012 a été poursuivi, après un certain essoufflement en 2011. En levant deux réserves, elle met en valeur, en tant que certificateur, les résultats positifs d'une implication accrue de l'administration en la matière. Je suis convaincu que la qualité des comptes constitue un facteur puissant de modernisation de l'action publique : elle conduit en effet l'État et les entités qu'il contrôle à mieux évaluer et à mieux suivre leur patrimoine et leurs risques. Dans le contexte actuel, le jugement des observateurs sur la soutenabilité des finances publiques françaises est aussi influencé par la qualité des comptes qui leur sont présentés.

J'en viens à présent au rapport sur le budget de l'État en 2013, dans lequel la Cour des comptes analyse l'exécution budgétaire, tant au vu de l'exécution de l'année précédente que des prévisions figurant dans les lois de finances de l'année. Ce document a pour objet d'éclairer le débat sur le projet de loi de règlement et d'aider à préparer la discussion du prochain projet de loi de finances. La Cour a d'ailleurs fourni cette année un effort de clarification et de précision puisque ce rapport contient notamment un chapitre plus détaillé sur la gestion de la dette.

Les 63 notes d'analyse de l'exécution budgétaire qui ont nourri ce rapport recèlent, sur chaque programme budgétaire ainsi qu'en matière de recettes fiscales et non fiscales, une mine d'informations et de constats qui vous sont particulièrement destinés. Ces notes contiennent au total 198 recommandations qui viennent s'ajouter aux 11 recommandations figurant dans le rapport lui-même. La Cour mobilise ses rapporteurs et ses chambres de façon intensive en début d'année pour produire ces quelque 2 000 pages de travaux sur l'action de l'État, afin que le Parlement dispose d'une information indépendante et détaillée sur l'exécution des dépenses et des recettes ainsi que sur la performance publique.

Le rapport sur le budget de l'État en 2013 peut se résumer à quatre constats. Tout d'abord, le déficit budgétaire s'est réduit, mais moins que prévu. Il se maintient à un niveau encore très élevé et la dette continue de croître, de sorte que la situation de l'État demeure dangereuse. Deuxièmement, le produit des recettes fiscales a fortement augmenté par rapport à l'année 2012, mais est en net retrait sur les prévisions, qui ont manqué de prudence. L'existence d'écarts importants entre recettes prévues et recettes constatées, qui a fragilisé l'exécution budgétaire, soulève la question de la qualité et de la sincérité des prévisions. Troisième constat, les dépenses de l'État ont été maîtrisées en 2013, davantage que lors des exercices précédents : elles ont en effet légèrement reculé par rapport à 2012. De bonnes surprises y ont contribué, notamment la moindre charge de la dette. Cette maîtrise des dépenses résulte d'ailleurs davantage des effets de la régulation budgétaire – notamment des annulations de crédits – que de l'adoption de réformes structurelles ciblant les politiques publiques les moins efficaces. Enfin, dernier constat, des progrès sont possibles pour remédier à certaines irrégularités et mettre fin à des sous-budgétisations récurrentes.

J'en reviens au premier constat : le déficit budgétaire s'est réduit entre 2012 et 2013 de 12,3 milliards d'euros, soit davantage que l'année précédente où la réduction n'avait été que de 3,6 milliards d'euros. Cela étant, ce constat positif mérite d'être doublement tempéré.

D'une part, le déficit, qui s'élève à 74,9 milliards d'euros, soit à 3,6 % du PIB, demeure à un niveau encore bien supérieur aux déficits constatés avant la crise : il représente le quart des dépenses de l'État et le tiers de ses recettes nettes et est supérieur au produit de l'impôt sur le revenu, qui est de 67 milliards d'euros. Quant à l'encours de la dette de l'État, il a augmenté pour atteindre 1 457 milliards d'euros en 2013 et représente les trois quarts de la dette publique, qui approche les 2 000 milliards d'euros. La dette de l'État a ainsi été multipliée par 2,5 depuis 1999. Si nous n'avons pas subi toutes les conséquences de cette hausse, c'est que sur la même période, la charge d'intérêts n'a progressé que de 30 %, en raison de la baisse des taux d'intérêt. Cet effet « anesthésiant » s'est même amplifié puisque, malgré la hausse de la dette, la charge d'intérêts a diminué de 1,4 milliard d'euros par rapport à 2012. Mais compte tenu du montant atteint par la dette et de l'inévitable remontée, à terme, des taux d'intérêt, l'État s'expose toujours davantage au risque d'une augmentation vive de sa charge d'intérêts. Il faut donc tirer parti de ce répit provisoire pour stabiliser au plus vite, puis réduire le montant de la dette avant que la remontée des taux ne produise ses effets.

D'autre part, l'amélioration du solde, de 12,3 milliards d'euros, est en net retrait par rapport à la loi de finances initiale, qui prévoyait une réduction deux fois plus importante. Si les prévisions de dépenses ont bien été respectées, le produit des recettes s'est en effet révélé fortement inférieur aux prévisions.

C'est justement là le deuxième constat de la Cour : si le produit des recettes fiscales a fortement augmenté par rapport à l'année 2012, il demeure bien en-deçà des prévisions. Il n'a crû, en effet, que de 15,6 milliards d'euros au lieu des 30 milliards attendus. Ce résultat est d'autant plus médiocre que ces 15,6 milliards comprennent près de 6 milliards de recettes supplémentaires exceptionnelles et imprévues.

Si les mesures nouvelles votées ont généré un produit de 20,2 milliards d'euros, chiffre presque conforme aux attentes, l'évolution spontanée des recettes, c'est-à-dire à législation constante, a été très décevante : elle a même été négative de 4,6 milliards d'euros, alors que 7 milliards d'euros étaient escomptés. Un quart seulement de cette différence est lié à la révision à la baisse de la prévision de croissance, intervenue en avril à l'occasion du programme de stabilité sans être intégrée à une loi de finances rectificative. Les trois quarts restants – soit 8,2 milliards d'euros de moindres recettes – tiennent à la révision à la baisse de l'hypothèse d'élasticité des recettes fiscales, c'est-à-dire de la manière dont le produit des recettes réagit à l'augmentation du produit intérieur brut. Cette élasticité avait été fixée à 1 en loi de finances initiale, niveau jugé optimiste par la Cour dès janvier 2013. En effet, pour de nombreux impôts, le produit attendu n'était pas réaliste : par exemple, comment anticiper une progression de l'impôt sur les sociétés de 5,9 % alors que les résultats des entreprises non financières pour 2012 apparaissaient en recul ? Et bien que les révisions en cours d'année de cette hypothèse imprudente aient été nombreuses, elles ont été insuffisantes : l'élasticité s'est finalement établie à - 1,3, soit à un niveau exceptionnellement faible et en grande partie inexpliqué. Vous avez d'ailleurs tenu une séance de travail avec les directions du Trésor et du budget sur cette question, après la remise par la Cour des comptes d'un référé sur le sujet.

Bien que le collectif budgétaire de fin d'année ait fortement dégradé le produit des recettes attendues, un écart de 3,5 milliards d'euros a encore été constaté entre ces prévisions et l'exécution – ce qui soulève la question de la qualité, de la prudence et de la sincérité des prévisions de recettes fiscales. Ainsi la constatation en décembre d'une moins-value de 1,8 milliard d'euros sur le produit de l'impôt sur le revenu ne peut que surprendre dans la mesure où ce produit est en principe connu dès septembre. Une telle situation met en évidence à quel point il est difficile de conduire et de piloter un redressement des comptes publics à l'aide d'augmentations de recettes, qui font peser un aléa permanent sur l'évolution du solde budgétaire.

La Cour a déjà souligné dans son référé daté du 16 décembre 2013 et rendu public le 25 février 2014 – celui sur lequel vous avez auditionné la semaine dernière certains responsables du ministère des Finances – à quel point la qualité des prévisions de recettes de l'État était insuffisante, et le présent rapport confirme cette analyse. C'est pourquoi nous y formulons des recommandations afin d'améliorer la transparence des méthodes de calcul des prévisions de recettes et nous y demandons que les écarts constatés par rapport à ces prévisions soient analysés a posteriori.

Si le montant des dépenses fiscales semble stabilisé à 70,7 milliards d'euros, conformément au plafond fixé par la loi de programmation des finances publiques pour 2012-2017, il ne s'agit là que d'estimations provisoires. En effet, des mesures d'économies avaient été votées pour 3,6 milliards d'euros, mais l'évolution spontanée du coût des niches fiscales ayant été plus dynamique que prévu, l'économie nette réalisée ne serait que de 500 millions d'euros. Quant à l'obligation d'évaluer les dépenses fiscales imposée par la loi de programmation, elle n'a été que partiellement respectée alors qu'il s'agit là d'un enjeu d'importance, tant pour les finances publiques que pour l'efficacité de l'action publique.

Troisième constat de la Cour : les dépenses de l'État ont été maîtrisées en 2013 : inférieures de près de 4 milliards d'euros aux crédits ouverts, les dépenses nettes du budget général ont légèrement diminué, de 900 millions d'euros, par rapport à l'exécution 2012 – un recul qui ne s'était pas observé depuis les débuts de la crise économique en 2008 et qu'a facilité la diminution déjà évoquée de la charge de la dette de 1,4 milliard d'euros. De même, la contribution au compte d'affectation spéciale Pensions a pu être réduite de 1 milliard d'euros en raison de la moindre inflation et de départs à la retraite moins importants que prévu. Quant à la contribution au Fonds national d'aide au logement, elle n'a été réduite de 600 millions d'euros que parce que des recettes fiscales lui ont été affectées. Il s'agit donc là d'une économie purement faciale. Les différentes normes de dépenses du budget de l'État ont toutefois été tenues.

Cette année encore, la régulation budgétaire infra-annuelle a joué un rôle déterminant dans la tenue des dépenses : le total des annulations brutes s'élève à 6,2 milliards d'euros, montant comparable à celui de 2012. Or, un recours aussi massif et croissant à des annulations touchant tous les services et tous les dispositifs indépendamment de leur efficacité et de leur efficience – ce qu'on appelle le « rabot » – pose question. La Cour a en effet constaté que de plus en plus de services de l'État n'étaient pas en mesure de remplir les missions que la loi leur impose, dans des domaines parfois aussi essentiels que la sécurité sanitaire des aliments ou l'entretien des établissements pénitentiaires. Elle appelle donc les décideurs à faire reposer la réduction de la dépense sur des choix explicites en termes de priorités et de ciblage.

La discussion du projet de loi de règlement constitue une occasion privilégiée pour le Parlement d'exercer sa mission de contrôle de l'action du Gouvernement. Les auteurs de la LOLF avaient en effet pour ambition de revaloriser ce débat et d'en faire un moment d'examen par le Parlement de la performance de l'action publique et de comparaison entre les moyens déployés et les résultats obtenus, de manière à en tirer les conséquences au moment du vote des crédits à l'automne. Pourtant, comme la Cour l'a constaté dans son rapport de 2011 sur le bilan de la loi organique, cette évolution ne s'est pas produite. La LOLF visait également à responsabiliser les gestionnaires publics, mais la réalité me paraît très éloignée de l'esprit du texte. Je profite d'ailleurs de cette audition pour vous rappeler que, si vous disposez de la riche matière que vous livre la Cour, nombre d'évaluations des politiques publiques sont elles aussi sur la table. Il me paraît important que vous vous en saisissiez car je suis persuadé que le Parlement peut aider notre pays à rompre avec l'indifférence qui accompagne malheureusement le constat de la faible performance de certaines politiques publiques.

Parallèlement à l'établissement de ces constats, la Cour a analysé les efforts de maîtrise des dépenses, selon leur nature.

Les dépenses de personnel représentent 41,2 % du budget général. La masse salariale hors pensions enregistre un léger recul à périmètre constant, stabilisation qui s'explique par plusieurs facteurs, parmi lesquels le gel du point d'indice ou les moindres revalorisations des grilles indiciaires comme des enveloppes de primes. Si les réductions d'effectifs au cours de l'année 2012 ont continué à produire leurs effets en 2013, pour 351 millions d'euros, ce ne sera plus le cas en revanche à partir de 2014, compte tenu de la stabilisation globale des effectifs. D'autres leviers d'action devront donc être mobilisés pour poursuivre la stabilisation de la masse salariale au cours des prochaines années.

Les dépenses de fonctionnement, qui représentent 16,5 % des dépenses, ont augmenté de 1,1 milliard d'euros, alors qu'elles avaient diminué en 2012 et au cours des années précédentes. De fait, les économies réalisées grâce à la poursuite des chantiers de modernisation n'ont pas été suffisantes pour contrebalancer la hausse de 1 milliard d'euros des dépenses de fonctionnement de la mission Défense, sur laquelle ont notamment pesé les opérations extérieures.

Les dépenses d'intervention, qui représentent 22,6 % des dépenses, sont en léger recul, du fait de plusieurs changements de périmètre, après avoir été réduites de 2,5 % en 2012. Celles des trois principaux dispositifs – l'allocation aux adultes handicapés, les aides personnalisées au logement et les contrats aidés – continuant de s'accroître sensiblement, la Cour propose sur ces postes de nombreuses pistes d'économies, qui visent le plus souvent à un meilleur ciblage de l'action de l'État, s'agissant notamment du logement, de la formation professionnelle, des aides à la presse, des subventions aux fédérations sportives et des aides aux entreprises et aux débitants de tabac.

Enfin, les dépenses d'investissement, qui ne représentent que 3,4 % du budget général, ont constitué comme à l'accoutumée une variable d'ajustement, avec des crédits réduits de 1,4 milliard d'euros en cours de gestion.

Je voudrais insister sur les dépenses de l'État en faveur de ses opérateurs. Ceux-ci disposent en effet de ressources propres, d'environ 10 milliards d'euros de fiscalité affectée, dont une partie seulement fait l'objet d'un plafonnement, mais aussi de 40 milliards d'euros de subventions issues du budget de l'État. Longtemps laissés à l'écart des efforts de maîtrise de la dépense imposés aux services de l'État, ces opérateurs y sont désormais associés. Cependant, les instruments de pilotage et de suivi demeurent très insuffisants, la Cour n'ayant guère constaté de progrès à cet égard – alors même qu'elle signale ce problème depuis longtemps – à de rares exceptions près comme le suivi des universités retracé dans l'analyse de l'exécution du programme Recherche et enseignement supérieur. Analysées sur plusieurs années, les dépenses de fonctionnement des opérateurs ont progressé et leurs effectifs n'ont globalement pas diminué. Il convient donc que l'État renforce ses exigences à leur égard et que soit assuré un meilleur suivi de l'effectivité des efforts qui leur sont demandés.

J'en viens à mon dernier constat : des progrès sont possibles pour remédier à certaines irrégularités et mettre fin aux sous-budgétisations récurrentes. Ainsi certains comptes de concours financiers ne retracent pas de véritables avances et des dépenses relevant du budget général sont encore imputées sur des comptes d'affectation spéciale, ou encore sur des comptes de commerce ne correspondant pas à la définition fixée par la LOLF. La Cour relève une nouvelle fois des sous-budgétisations sur certains postes, tels que l'hébergement d'urgence, l'aide médicale de l'État et la contribution au FNAL – sous-budgétisations qui, même si elles sont moins nombreuses et de moindre ampleur que les années précédentes, n'en constituent pas moins des remises en cause ponctuelles de la sincérité de la programmation budgétaire. D'autres exemples montrent que des progrès pour mieux budgétiser certaines dépenses sont possibles : la Cour l'a notamment constaté cette année pour les bourses étudiantes.

La Cour a identifié des points de vigilance pour l'année en cours, s'agissant notamment de la mission Défense, étant donné nos opérations extérieures, et de la mission Écologie, compte tenu de l'incertitude pesant sur l'entrée en vigueur de la taxe poids lourds. Les dépenses de pensions et les prélèvements sur recettes au profit de l'Union européenne pourraient aussi être plus élevés que prévu. La Cour reviendra sur ces points de façon plus détaillée dans son rapport de juin, dans lequel elle s'efforcera d'apprécier les risques pesant sur la réalisation des objectifs de finances publiques pour 2014.

Je conclurai cette présentation en évoquant le compte rendu du suivi des recommandations contenues dans les précédents rapports sur le budget de l'État, qui fait l'objet d'un développement détaillé à la fin du rapport et qui atteste d'un progrès : en effet, 59 % des recommandations formulées dans le rapport sur le budget 2011 ont été mise en oeuvre lors du suivi 2013, partiellement ou en totalité, alors que cette proportion n'était que de 41 % lors du suivi 2012. La moitié des recommandations formulées l'an dernier ont d'ailleurs déjà été appliquées. Au-delà de ce suivi quantitatif, les échanges que nous entretenons avec les administrations débouchent eux aussi souvent sur des progrès : ainsi celle de nos recommandations de cette année qui tend à l'enrichissement de l'information figurant dans l'exposé des motifs de l'article liminaire présentant les soldes effectifs et structurels devrait être suivie dès cette année.

En juin, la Cour vous livrera deux autres rapports, l'un sur la certification des comptes du régime général de la sécurité sociale, avant la publication en septembre du rapport sur l'exécution des lois de financement de la sécurité sociale, l'autre sur la situation et les perspectives des finances publiques. Si nous avons avancé la remise de ce second document par rapport à l'an dernier, c'est afin que vous puissiez en disposer au moment où vous examinerez les projets de loi de finances rectificative et de loi de financement de la sécurité sociale rectificative que le Gouvernement a prévu de déposer les 11 et 18 juin prochain.

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