Intervention de Henri Guaino

Séance en hémicycle du 3 juin 2014 à 15h00
Suspension des poursuites engagées par le parquet de paris contre m. henri guaino — Discussion d'une proposition de résolution

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHenri Guaino :

S’agissant de la liberté d’expression, qui ne voit la discordance de plus en plus grande entre nos juridictions et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ? Oserais-je même dire la discordance entre les grands idéaux que notre nation a forgés pour l’humanité tout entière et l’application de notre droit ? Vous me rétorquerez – vous l’avez d’ailleurs fait – que c’est par la loi que cela peut se corriger. Vous aurez raison, mais ce n’est pas ce que nous allons faire aujourd’hui.

En attendant, notre devoir n’est-il pas de rappeler que l’intention du législateur n’a jamais été de battre en brèche ces grands idéaux et que dans le débat politique, selon la formule de la Cour européenne des droits de l’homme, « il est permis de recourir à une certaine dose d’exagération, voire de provocation » ? N’est-ce pas précisément ce que nous faisons chaque jour dans cet hémicycle, parfois même de façon excessive ? Imaginez ce que deviendrait le débat parlementaire si toutes les exagérations et les provocations lui étaient interdites !

Notre assemblée se trouve confrontée à un autre problème de principe auquel le législateur ne peut demeurer indifférent et que vous avez esquivé, monsieur le rapporteur : cent sept de mes collègues ont publiquement partagé mes propos dans une lettre ouverte au procureur de Paris. Il n’a engagé de poursuites qu’à mon encontre, ce qui pose la question – qui n’est pas anodine – de l’égalité des députés devant la loi dont ils sont les auteurs. En confiant au parquet l’opportunité des poursuites, en effet, le législateur n’a jamais entendu rompre avec ce principe d’égalité. Qu’en est-il donc ? Est-ce la volonté de faire un exemple ? Si la justice doit être dissuasive pour le délinquant, elle n’est pourtant plus la justice lorsqu’elle se met en tête de faire un exemple. Ce rappel est, me semble-t-il, salutaire alors que, dans quelques instants, nous allons débattre de la réforme pénale.

Liberté d’expression, égalité devant la loi, séparation des pouvoirs : cela fait beaucoup de principes sur lesquels, dans une démocratie, le Parlement a peut-être son mot à dire. Certes, l’Assemblée n’a pas à juger les faits et n’a pas à les qualifier pénalement. Elle ne peut pas non plus les ignorer. Elle ne peut pas ne pas faire une différence entre l’opinion – fût-elle outrancière aux yeux de certains – et la menace. Elle ne peut pas ne pas faire une différence entre le jugement de valeur et l’accusation diffamatoire. Chacun, en conscience, se forgera son opinion à la lecture de l’exposé des motifs où mes propos sont reproduits.

Reste tout de même une dernière question : la liberté d’expression est-elle bâillonnée lorsqu’il s’agit de l’institution judiciaire ? Les principes les plus essentiels à la démocratie, mes chers collègues, nous l’interdisent. Il est certes légitime de fixer des limites à cette liberté. En matière judiciaire, la limite ne peut être que l’entrave au fonctionnement d’une justice indépendante. Or, qu’un député critique – même violemment – le fonctionnement de l’institution judiciaire n’empêche nullement celle-ci d’accomplir sa tâche. À cet égard, un juge de la Cour européenne des droits de l’homme a eu la formule suivante : « Je ne vois pas comment un simple manque de considération pour un tribunal pourrait empêcher l’autorité du pouvoir judiciaire d’imposer l’obéissance à ses arrêts ou autres actes judiciaires ».

Si j’avais appelé à entraver l’action du juge, j’aurais failli à mon devoir de député et placé mes propos en dehors de l’exercice de la fonction parlementaire ; ce n’est pas le cas. Si j’avais contesté violemment, dans le prétoire, une décision de justice, ou menacé le juge dans son cabinet au cours d’une procédure dont j’aurais été partie prenante, j’aurais agi en tant que personne privée et non dans l’exercice de mes fonctions ; ce n’est pas le cas. La justice a suivi son cours. Pardonnez-moi, mais la suite de l’histoire m’a donné raison, non sur la forme mais sur le fond, puisque la mise en examen à la clôture de l’instruction a débouché, sans qu’aucun acte d’instruction ni aucun fait nouveau ne soient intervenus, sur une ordonnance de non-lieu prouvant par elle-même que les indices réels et sérieux justifiant une mise en examen n’existaient pas.

Toutefois, la suite de l’histoire aurait-elle été différente, monsieur le rapporteur, que le problème aurait été le même. L’opinion et l’entrave sont deux choses différentes. Pour toute personne, la mise en examen est un acte grave. Combien de vies brisées, combien d’honneurs perdus alors même que le tribunal a fini par prononcer la relaxe ?

La mise en examen d’un ancien Président de la République pour un motif assez infamant ne peut pas être sans conséquence sur nos institutions et sur l’image de notre pays. Elle ne peut donc pas être tenue à l’écart du débat politique. On objectera que le secret de l’instruction ne permet pas d’argumenter. Finissons-en donc avec l’hypocrisie : toute l’instruction était dans la presse ! Comment dès lors tenir à l’écart du débat public ce qui y est déjà ? Comment reconnaître comme le fait la Cour européenne des droits de l’homme que « les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier » et refuser à un parlementaire le droit de faire part de son indignation devant le comportement d’une institution publique ou d’un agent public ? Comment admettre que les condamnations pour injures au Président de la République soient annulées – car ce délit, vous l’avez rappelé, a été supprimé – par la Cour européenne des droits de l’homme parce qu’elles émanent d’un militant politique et, dans le même temps, considérer qu’un député n’est pas dans l’exercice de ses fonctions lorsqu’il s’exprime ès qualités à la télévision ou à la radio sur une question éminemment politique ?

Vous m’avez fait, monsieur le président de la commission des lois, parvenir un courrier dans lequel vous m’expliquiez que j’avais parlé non pas en tant que parlementaire mais en tant qu’ami du Président Sarkozy. Un membre de la commission m’a demandé si je n’avais pas agi en tant qu’ancien conseiller spécial du Président de la République plutôt qu’en tant que député.

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