Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 3 juin 2014 à 15h00
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Présentation

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Qu’est-ce que la contrainte pénale ? C’est une peine autonome, présentant tous les attributs de la peine, avec sa dimension rétributive. C’est, je le répète, une sanction : les obligations et les interdictions feront l’objet de suivi et de contrôles. Elle est prononcée publiquement. Elle conserve sa nature afflictive ; la stigmatisation sociale de l’acte commis demeure. Elle est immédiatement exécutoire. Elle a une durée fixée entre six mois à cinq ans ; or, les magistrats eux-mêmes considèrent que, pour un suivi individuel, cinq ans, c’est long. Elle est exécutée en milieu ouvert, parce que la réponse carcérale n’est pas la seule possible : en témoignent les alternatives à la peine et les aménagements de peine qui existent déjà dans le code de procédure pénale.

Cependant, la contrainte pénale, pour sa part, sera assortie d’un programme de responsabilisation individualisé, adapté et ajusté pour accompagner les efforts de « désistance », c’est-à-dire de sortie de la délinquance. En vertu d’une disposition de la loi, ce programme sera obligatoirement évalué.

Un tel suivi assurera l’effectivité de la peine. Certes, en vertu de la loi pénitentiaire de 2009, les courtes peines – jusqu’à deux ans – d’incarcération font l’objet d’un temps d’examen préalable à un éventuel aménagement, mais les juges d’application des peines ne prononcent un aménagement de la peine que dans 20 % des cas : cette situation n’est satisfaisante pour personne, ni pour la société, ni pour le condamné, ni pour la victime, ni pour la justice. Il est machiavélique de faire croire aux gens, aux victimes et au voisinage qu’on les débarrasse d’un délinquant sans se soucier le moins du monde de ce qui advient après que ce dernier a exécuté sa peine.

Le texte élargit les prérogatives des forces de sécurité – police et gendarmerie – en matière de retenue et de perquisition sous l’autorité du juge, de façon à assurer un réel contrôle du respect des obligations et des interdictions.

Si la contrainte pénale se révèle un échec, l’emprisonnement demeure possible.

La contrainte pénale étant plus contraignante que le sursis avec mise à l’épreuve, je proposerai, au nom du Gouvernement, un amendement qui incitera à privilégier le sursis avec mise à l’épreuve dans les situations caractérisées par des obligations objectives, repérables, mesurables, régulières et simples à vérifier, telles que, par exemple, l’indemnisation d’une victime ou le paiement d’une pension alimentaire. Cela ajoutera à la lisibilité de ces deux mesures et répondra aux interrogations qui se sont posées à ce sujet.

S’agissant de la libération sous contrainte, comme je le disais, les statistiques rigoureuses qui ont été établies en France, en Europe et au Canada montrent que le risque de récidive est deux fois plus élevé en cas de sortie sèche qu’à la suite d’une libération conditionnelle. Un certain nombre de pays européens en ont tiré des enseignements, en décidant d’instituer une libération conditionnelle automatique. Le Gouvernement a quant à lui choisi de maintenir le principe d’individualisation, y compris au regard de l’exécution de la peine. C’est pourquoi nous n’avons pas retenu la libération conditionnelle automatique, mais un examen obligatoire, après l’exécution des deux tiers de la peine. Cet examen vise à préparer la sortie qui, de toute façon, aura lieu – j’y insiste –, afin qu’elle soit accompagnée et progressive.

Bien entendu, la commission d’application des peines pourra décider d’une libération sous contrainte – sous forme de placement extérieur, de semi-liberté, de port d’un bracelet électronique ou de libération conditionnelle – ou du maintien en détention.

S’agissant des victimes, comme je vous l’ai dit, nous avons réécrit l’article 707 du code de procédure pénale pour consacrer et renforcer leurs droits.

Votre commission a ajouté deux dispositions ayant trait aux victimes, sur lesquelles nous avons longuement travaillé depuis le premier semestre 2013 et la mission confiée à Nathalie Nieson. La première disposition offre la possibilité à un condamné d’accomplir des versements volontaires au fonds de garantie des victimes s’il n’y a pas de demande des victimes. La seconde disposition institue une contribution qui sera prélevée sur les amendes et les décisions pécuniaires prononcées par les juridictions.

L’efficacité de ces dispositions est évidemment subordonnée à un certain nombre de conditions. C’est pourquoi nous les avons pensées dans le cadre de ce que nous appelons un « écosystème » : nous avons également travaillé sur les politiques publiques, l’articulation et la coordination de l’action de l’État avec les initiatives des collectivités, l’accompagnement des associations et la création des instruments nécessaires.

Les premiers moyens que nous accordons sont en faveur des victimes. Là aussi, tant de procès indécents nous sont faits qu’il me paraît utile de rappeler un certain nombre de choses.

Tout d’abord, au cours de la seule année 2013, nous avons créé et consolidé cent bureaux d’aide aux victimes, alors que, sous l’ancien quinquennat, le précédent gouvernement avait mis trois années à en créer cinquante. Nous avons décidé d’ouvrir un bureau d’aide aux victimes dans chacun de nos 161 tribunaux de grande instance. Les associations spécialisées ont reçu plus de 300 000 victimes.

Nous avons augmenté le budget de l’aide aux victimes, qui n’avait cessé de décroître au cours des trois dernières années du précédent quinquennat : il était passé de onze à dix millions d’euros en trois ans de baisse successive. Dès notre première année budgétaire, nous l’avons augmenté de 25,8 %, le faisant passer à 12,8 millions d’euros puis, l’année suivante, dans le budget pour 2014, nous avons procédé à une nouvelle augmentation de 7 %, le portant à 13,7 millions d’euros.

Nous avons rétabli les relations avec le Conseil national de l’aide aux victimes, qui n’avait pas été réuni depuis 2010 : nous le réunissons deux fois par an et le consultons régulièrement.

Nous avons organisé la première journée d’aide aux victimes, à la chancellerie, le 4 novembre dernier ; nous tiendrons à nouveau cette journée, cette année, en novembre.

Nous généralisons sur l’ensemble du territoire, dès cette année, le téléphone de très grand danger en faveur des femmes victimes de violences.

Nous avons décidé d’expérimenter, par anticipation, des dispositions contenues dans une directive européenne relative aux victimes, que nous devons transposer au plus tard fin 2015, et qui contient des dispositions en matière de droits, de protection et de soutien des victimes. Nous avons ainsi lancé, dès janvier 2014, une expérimentation dans huit tribunaux de grande instance, pour un suivi individualisé des victimes. Enfin, cette directive contient des dispositions relatives à la justice restaurative – j’y reviendrai.

Nous accomplissons un effort considérable s’agissant des conseillers d’orientation et de probation. Nous allons renforcer ce dispositif à hauteur de 1 000 emplois en trois ans – les 400 emplois de 2014 ayant déjà été créés –, ce qui représente une augmentation de 25 %, absolument sans précédent pour un corps de la fonction publique.

Nous ne travaillons pas seulement sur les effectifs mais également, depuis octobre 2013, sur les profils de recrutement, les méthodes d’encadrement, la formation initiale et continue et sur les outils d’analyse et d’évaluation.

Depuis 2013, nous avons commencé à renforcer les effectifs de magistrats d’application et d’exécution des peines, ainsi que ceux des greffiers.

Depuis dix-huit mois, nous avons engagé une politique interministérielle, qui nous permet d’articuler et de coordonner l’action des différents services de l’État en matière de santé, de lutte contre l’illettrisme, de logement et d’emploi.

Comme je le disais, nous coordonnons l’action de l’État avec celle des collectivités, sous forme de conventions et de programmes d’expérimentation.

Nous avons souhaité disposer de statistiques précises et indiscutables. Nous nous sommes inspirés des travaux de la mission conduite par Jean-Yves Le Bouillonnec et Didier Quentin pour modifier et réformer l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales – l’ONDRP. Le ministère de l’intérieur a créé en janvier 2014 son service statistique ministériel ; celui du ministère de la justice existe depuis 1973.

L’ONDRP va désormais réaliser des analyses transversales des phénomènes de délinquance observés sur l’ensemble du territoire.

Par ailleurs, sur la base de l’article 7 de la loi pénitentiaire de 2009, nous avons créé l’Observatoire de la récidive et de la désistance qui échappe à l’emprise du ministère et qui est chargé d’étudier, sur l’ensemble du territoire, les parcours de délinquance et d’identifier les facteurs de désistance, c’est-à-dire de sortie de la délinquance.

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