Intervention de Georges Fenech

Séance en hémicycle du 3 juin 2014 à 15h00
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorges Fenech :

Guy Geoffroy, rapporteur du texte qui les institua, saura les défendre avec conviction au cours de la discussion générale.

Vous avez la conviction, madame la garde des sceaux, que l’on incarcère trop en France, que la prison est criminogène et qu’il faut chercher d’autres solutions.

Personne ici n’est contre les peines alternatives mais personne ne peut pour autant prétendre qu’en France on incarcère trop. S’il y a trop de détenus, c’est simplement parce qu’il manque des places en prison. Au 1er septembre 2013, 67 000 personnes étaient incarcérées pour 58 000 places, soit un taux d’occupation supérieur à 115 % !

Je voudrais ici battre en brèche plusieurs contre-vérités que vous véhiculez inlassablement.

Tout d’abord, le taux de détention en France n’est pas plus élevé qu’ailleurs – 98 personnes détenues pour 100 000 habitants en 2013, quand la moyenne de l’Union européenne est de 137. Manuel Valls lui-même n’a-t-il pas déclaré : « Ce projet de loi part d’un premier postulat que je ne peux intégralement partager : la surpopulation carcérale, s’expliquerait exclusivement par le recours « par défaut » à l’emprisonnement, et par l’effet des peines plancher ». Voyez qu’il s’inscrit en faux, lui aussi, contre votre analyse.

Pour répondre au déficit du parc immobilier pénitentiaire, vous nous annoncez la construction de 6 500 places de prison. Or, je constate que le projet annuel de performance de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2014 prévoit en réalité 2 258 places nettes entre 2014 et 2016.

Nous sommes loin des 6 500 places annoncées et en tout cas très loin des 20 000 places manquantes !

Citons encore, pour prouver que nous n’incarcérons pas plus qu’ailleurs, les données statistiques du criminologue que nous connaissons bien, Pierre-Victor Tournier, souvent classé à gauche et qui n’a jamais caché son opposition aux lois de Nicolas Sarkozy. Il constate que seulement 51 % des peines prononcées pour l’année 2012 comprennent de la prison. Et dans ces 51 %, seuls 21 % comportent de l’emprisonnement ferme. Ajoutons à cela qu’environ 100 000 peines de prison ferme sont en attente d’exécution et on sait qu’environ 20 000 ne seront jamais exécutées.

Il aurait fallu poursuivre le programme de construction de 24 000 places supplémentaires. Cela n’a pas été votre choix. Vous avez préféré changer de paradigme. Ce n’est plus le parc pénitentiaire qu’il faut adapter aux décisions de justice, mais plutôt la politique pénale à l’immobilier. C’est un peu comme si on voulait artificiellement réduire le nombre de malades face au sous-équipement hospitalier. Observons d’ailleurs qu’entre 1990 et 2011, les trois plans de construction portant sur 20 000 nouvelles places de prison ont tous été mis en oeuvre à l’initiative de la droite.

Les conséquences de ce renoncement sont immédiates. Ainsi, les personnes condamnées ne sont plus toujours incarcérées faute de places en maison d’arrêt comme cela s’est passé à Chartres où les juges n’ont fait que suivre à la lettre votre circulaire du 19 septembre 2012 qui incite à tenir compte de la surpopulation carcérale avant de mettre à exécution les condamnations. C’est la logique inavouée du numerus clausus et de la gestion hôtelière des prisons, même si vous vous en défendez. Ajoutons qu’en enterrant le programme de construction pénitentiaire, les conditions de détention continueront à se dégrader et les chances de réinsertion à s’amoindrir.

J’en arrive à la deuxième mesure phare de votre projet de loi : la création de la contrainte pénale issue de la conférence dite de consensus.

Un mot d’abord sur ce consensus de façade. Vous avez énuméré les nombreuses personnalités nationales et internationales qui ont participé à cette conférence de consensus dont je persiste à dire que les membres du jury ont tous été triés sur le volet, que sa présidente, Nicole Maestracci, est bien connue pour ses sympathies à gauche et qu’elle a d’ailleurs été bien remerciée par une formidable promotion comme membre du Conseil constitutionnel.

Mais revenons au dispositif de la contrainte pénale pour en démontrer son incohérence et les violations des principes généraux du droit qu’il contient.

Le mécanisme retenu par le projet de loi établit trois phases distinctes. Au cours de la première, la juridiction pénale déclare la culpabilité et prononce la contrainte pénale. Elle peut en outre ajourner le jugement jusqu’à quatre mois pour faire procéder à des « investigations sur la personnalité », ce qui retardera d’autant plus la mise à exécution effective de la sanction et alourdira considérablement la tenue des audiences, déjà au bord de l’asphyxie – tous les praticiens vous le diront.

Vient ensuite la phase post-sentencielle, qui est la gestion par le juge d’application des peines du dispositif du suivi probatoire du condamné selon des modalités pratiques proches de celles de la mise à l’épreuve déjà existante – notons que ce juge prend, dans ce dispositif, une place majeure au détriment du tribunal.

Enfin une nouvelle phase juridictionnelle de sanction de la précédente, qui intervient dans le cas où le condamné ne respecterait pas les obligations mises à sa charge. Le président du tribunal pourrait alors fixer une peine d’emprisonnement.

Non seulement ce mécanisme est d’une extrême complexité, d’une extrême lourdeur, mais il pose aussi un certain nombre de questions en matière de légalité criminelle. En effet, ce projet de loi porte atteinte, à de nombreuses reprises, aux principes généraux du droit, et je ne suis pas le seul à le dénoncer.

Votre mentor Robert Badinter, que vous avez cité à plusieurs reprises, a lui-même, en sa qualité d’ancien président du Conseil constitutionnel, pointé le risque d’inconstitutionnalité.

Le projet de loi viole en effet le principe non bis in idem, en vertu duquelon ne peut être jugé deux fois pour les mêmes faits. Or, que l’on considère que la contrainte pénale institue deux peines principales alternatives ou une peine principale assortie d’une peine subsidiaire potestative, elle instaure en tout état de cause deux peines distinctes pour une seule infraction.

Une question se pose alors : la loi peut-elle prévoir deux peines dont le régime de l’une seulement serait fixé initialement – la partie de la peine correspondant à la fonction réparatrice – et qui serait également déterminée dans son quantum, la fixation de l’autre – la peine à finalité punitive – étant différée et subordonnée à l’appréciation par le juge du respect de la première ?

Il fait ainsi peu de doute que le président du tribunal appelé à se prononcer pour la révocation demandée devra procéder à un nouveau jugement au moins partiel, sinon de la culpabilité, du moins de la peine, qui avait été initialement limitée à sa fonction réparatrice. On aboutit ainsi à faire juger deux fois les mêmes faits, pour leur appliquer des peines de nature différente, dont la seconde plus élevée dans l’échelle des peines de surcroît, est destinée à se substituer à la première.

Mais ce n’est pas tout. Le projet de loi institue également une forme d’indétermination de la peine. Tout d’abord, selon le principe de la légalité des délits et des peines, c’est la loi qui fixe la peine encourue pour chaque infraction et ce même principe impose à la loi d’être suffisamment précise pour que le citoyen connaisse la peine encourue avant de commettre l’infraction.

Or la contrainte pénale ne permet de savoir ni quelle sera la durée de la peine, laquelle peut être comprise entre six mois et cinq ans, ni en quoi consiste son contenu effectif. En effet, la durée de la peine n’est plus fixée en considération de la gravité de l’infraction, mais de l’appréciation subjective par le juge de la personnalité de son auteur et de la durée prévisible des mesures à mettre en place pour assurer son amendement et sa réinsertion. Le nouvel ajournement prévu pour permettre au tribunal de procéder à des investigations de personnalité confirme bien l’indétermination intrinsèque de cette peine dont la durée ne dépend plus de l’infraction commise.

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