Intervention de Éric Ciotti

Séance en hémicycle du 3 juin 2014 à 15h00
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Ciotti :

Je dénonce donc cette idée pour le moins paradoxale, pour le moins inédite, d’un texte qui affiche l’objectif de lutter contre la récidive, qui prétend lutter contre la récidive et qui, dans le même temps, prévoit la suppression des sanctions minimales pour les récidivistes, alors que, depuis le premier code pénal, qui date de 1791, le « repris de justice » – c’était le terme utilisé dans ce premier code pénal issu de la Révolution française – encourt une peine généralement du double de celle prévue pour la première infraction. Cette volonté idéologique de traiter sur un pied d’égalité, contrairement à tous les principes républicains, la délinquance des multirécidivistes avec celle des primodélinquants transparaît pourtant dangereusement dans votre projet de loi.

Ce projet de loi prévoit également l’examen automatique de tous les dossiers des détenus pour les libérer au bout des deux tiers de leur peine. L’article 16 prévoit l’examen par le juge d’application des peines, aux deux tiers de la peine, de la situation de chaque personne détenue, même condamnée en situation de récidive légale, dans la perspective de l’éventuel octroi d’une mesure d’aménagement de peine, donc de libération conditionnelle.

La commission des lois a par ailleurs fait le choix, dans un article 7 bis, d’aligner le régime applicable aux récidivistes sur le régime de droit commun des crédits de réduction de peine – là encore, même logique particulièrement contestable. Avec les crédits de réduction de peine automatique, cet examen aura donc lieu en réalité à la moitié de la peine. Au total, on estime que ce système de libération quasi-automatique des détenus permettra de libérer de façon anticipée entre 2 600 et 6 600 délinquants dans les trois ans qui viennent.

Or, aucun consensus scientifique crédible n’existe sur le lien entre libération conditionnelle et réduction de la récidive, contrairement à vos affirmations qui se basent exclusivement sur l’étude d’Annie Kensey et d’Abdelmalik Benaouda. Comme l’indiquent clairement les deux chercheurs de cette étude, les bénéficiaires d’une libération conditionnelle sont choisis sur leurs meilleurs potentiels de réinsertion, ce qui peut suffire à expliquer le différentiel de récidive. L’étude se base sur les meilleurs profils pour affirmer, ainsi que vous le faites dans vos conclusions, que la liberté conditionnelle serait favorable à la prévention de la récidive.

Enfin, la mesure phare du projet de loi – sans doute la plus dangereuse – est la création de cette fameuse peine de probation pompeusement baptisée "contrainte pénale", qui n’a de contrainte que le nom.

Or, la France, je le répète, s’inscrit déjà parmi les pays qui ont le plus développé le suivi des condamnés en milieu ouvert. Depuis la création, en 1958, du sursis avec mise à l’épreuve – le SME évoqué tout à l’heure par notre rapporteur –, le suivi en milieu ouvert des personnes condamnées, dont je ne conteste pas le principe, n’a cessé de se développer, au point que la population des personnes placées sous main de justice en milieu ouvert a dépassé la population incarcérée depuis le milieu des années 1970. Il y avait, au 1er janvier 2013, 51 251 condamnés écroués hébergés – sur un total de 67 075 personnes détenues –, pour 175 200 condamnés exécutant une peine en milieu ouvert – c’est-à-dire qu’il y a aujourd’hui trois fois plus de personnes condamnées placées sous main de justice en milieu ouvert qu’en milieu fermé : voilà la réalité, que vous vous obstinez à occulter ou à présenter de façon tronquée dans ce débat !

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