Intervention de Christophe de Maistre

Réunion du 27 mai 2014 à 17h00
Commission des affaires économiques

Christophe de Maistre, président de Siemens France :

C'est un engagement, et nous avons l'habitude de respecter les nôtres.

Quelles sont les grandes lignes de ce projet, tel qu'il a été présenté à Alstom ?

Par avance, je vous présente mes excuses si je vous parle avec un peu de trop de passion et de flamme : c'est celle d'un président français qui dirige une entreprise qui s'inscrit dans l'histoire industrielle française et qui met tout son savoir-faire au service de la réindustrialisation.

Siemens en France, c'est une entreprise industrielle innovante, héritière de Matra Transport et de Creusot Loire, et présente dans notre pays depuis plus de 160 ans.

Siemens en France, c'est un acteur majeur de la production industrielle et de la recherche, avec sept sites industriels et dix centres de recherche et développement, qui réalisent ensemble un chiffre d'affaires de 2,3 milliards d'euros, dont un tiers à l'exportation.

Siemens en France, c'est un acteur qui développe avec ses grands clients des avancées technologiques mondiales – je pense à la première mondiale que représente l'automatisation de la ligne 14 et de la ligne 1 du métro parisien, sans interruption de service, avec la RATP, ou à la contribution à l'invention, avec l'Institut hospitalo-universitaire de Strasbourg, d'une nouvelle spécialité médicale : la chirurgie mini-invasive guidée par l'image.

Siemens en France, ce sont des partenariats avec près de 9 000 fournisseurs français, auprès desquels nous passons près de 2 milliards d'euros de commandes chaque année et dont certains, comme Mersen, Cequad ou Faiveley, nous accompagnent dans la conquête des marchés à l'export, à l'instar de ce que fait le Groupe avec des PME et PMI du Mittelstand allemand.

Siemens en France, c'est une entreprise intégrée à un leader mondial de l'industrie, fort de 360 000 collaborateurs et d'un chiffre d'affaires de 76 milliards d'euros, un conglomérat fondé en Allemagne il y a près de 170 ans, résolument européen dans ses centres de décision et de production et implanté aujourd'hui dans plus de 170 pays.

Siemens en France, c'est un acteur engagé dans la société, conscient de sa responsabilité sociale, comme l'atteste notre engagement au profit de l'association « Nos Quartiers ont du Talent », notre partenariat aux côtés du SAMU social et notre tradition de formation en alternance pour conforter l'accès à l'emploi des jeunes.

Siemens en France, ce sont surtout 7 000 femmes et hommes qui contribuent chaque jour, avec beaucoup d'engagement, à améliorer le quotidien des Français.

C'est cette entreprise, fondée en Allemagne, fièrement française en France et profondément européenne dans ses convictions et son organisation.

Notre projet industriel prendrait la forme d'une alliance – et j'insiste sur ce mot – entre Alstom et Siemens : une alliance entre deux sociétés qui, au-delà de leur saine concurrence, travaillent quotidiennement ensemble, comme dans le cas pour le métro parisien, dont le matériel roulant est d'Alstom et la signalisation de Siemens ; une alliance créatrice de valeurs tant pour Alstom que pour Siemens, qui conforterait chacun dans l'activité dans laquelle il aurait un leadership naturel ; une alliance protectrice des intérêts conjoints de la France et de l'Allemagne ; une alliance qui établirait deux champions industriels européens, capables de faire face durablement à la concurrence asiatique et nord-américaine.

Concrètement, cette alliance verrait Siemens, leader mondial de l'énergie, acquérir, pour les faire croître, les activités énergie d'Alstom.

Je tiens à souligner que Siemens a exprimé un intérêt public pour toutes les activités énergie d'Alstom, sauf celles que les pouvoirs publics jugeraient essentielles à la souveraineté énergétique de la France. Nous nous engagerions à conserver ces activités, car elles présentent toutes un intérêt.

Cette alliance verrait en contrepartie Siemens apporter à Alstom l'ensemble de ses activités de matériel roulant : ses trains à grande vitesse, ses locomotives, ses métros, ses trains régionaux, ses tramways et ses bus électriques. Il s'agit d'une activité phare, égale en taille à celle d'Alstom, qui cumule les succès à l'export, par exemple en Russie, où nous fournissons tous les trains à grande vitesse, au Royaume-Uni, où nous construirons et assurerons la maintenance du métro londonien Thameslink – dont le contrat de maintenance a du reste été remporté hier par Keolis, une filiale de la SNCF –, en Suisse, où nous fournissons le RER de Zurich, en Corée du Sud, où nous avons réalisé la première ligne de métro léger entièrement automatique à Uijeongbu, ou encore en Arabie Saoudite, où la ville de Riyad a récemment commandé notre métro automatique.

C'est donc un grand Alstom Transports que nous proposerions de construire.

Cette alliance renforcerait nettement la valeur ajoutée créée en France, et cela pour trois raisons.

Premièrement, pour ce qui est du transport, et plus précisément du matériel roulant, le nouvel Alstom transport serait majoritairement détenu par des capitaux français et aurait son siège en France.

Deuxièmement, pour ce qui est de la signalisation, Siemens, principal acteur dans ce domaine, reprendrait les activités d'Alstom et installerait le siège mondial de cet ensemble en France, vraisemblablement à Châtillon, dans les Hauts-de-Seine.

Troisièmement, pour ce qui est de l'énergie, Siemens relocaliserait en France, probablement à Grenoble et Belfort, le siège mondial des activités de transmission, d'hydraulique et de turbines vapeur, autant d'activités dans lesquelles nous sommes déjà un acteur majeur et où nos parts de marchés viendraient consolider les positions fortes d'Alstom

Je tiens à souligner notre conviction absolue que Siemens saurait faire croître les activités énergie d'Alstom pour les raisons suivantes.

D'une part, l'électrification est le métier historique du groupe – celui autour duquel il s'est bâti il y a près de 170 ans, celui autour duquel il a réalisé sa croissance, celui dont l'importance stratégique a encore été réaffirmée le 7 mai par notre PDG, Joe Kaeser, et celui que nous avons encore renforcé avec l'acquisition récente des turbines et des compresseurs de Rolls-Royce.

D'autre part, les activités de Siemens et d'Alstom seraient complémentaires et se renforceraient mutuellement, en permettant au nouvel ensemble d'atteindre une taille critique sur tous les grands marchés mondiaux et sur toute la gamme, grâce à une recherche et développement encore plus importante.

C'est vrai pour la production d'énergie renouvelable, où nous bénéficierions du leadership d'Alstom pour l'hydraulique et l'éolien terrestre, et de celui de Siemens pour l'énergie éolienne maritime.

C'est également vrai pour la transmission – les réseaux –, où notre alliance nous rapprocherait du numéro un mondial ABB, fort aussi bien dans les spécialités de Siemens que sont les interconnexions maritimes et entre pays que dans celles d'Alstom – les interconnexions terrestres et la gestion intelligente des réseaux. Ce grand acteur mondial serait capable de faire face à la consolidation rapide du marché sous la pression de la concurrence asiatique.

C'est vrai enfin pour la production d'énergie fossile, dans laquelle Siemens, numéro deux mondial en matière de turbines à gaz, permettrait de valoriser l'excellence technologique d'Alstom par un réseau de distribution et d'après-vente mondial. Notre alliance permettrait d'ébranler la domination du numéro un mondial en matière de turbines à gaz : General Electric.

En matière de transport ferroviaire, il faut sauver Alstom Transport, magnifique entreprise, pionnière dans bien des domaines et fleuron de l'industrie française. Si Alstom Transport était abandonné à son destin, il serait, en taille, le cinquième constructeur mondial de matériel roulant, le seul parmi ces cinq à ne pas être adossé à un groupe financièrement solide ou à un État, comme ses concurrents chinois.

Aujourd'hui, les autorités publiques, les grands clients d'Alstom – la SNCF, la RATP et RFF –, ses partenaires sociaux et la direction d'Alstom elle-même, comme elle l'a fait voici quelques mois à l'occasion de l'annonce de l'ouverture du capital, s'accordent à dire qu'Alstom doit disposer d'une taille critique, nécessaire pour lever les garanties bancaires requises pour les grands contrats et pour porter leurs risques d'exécution, ainsi que pour investir dans la recherche et développement nécessaire et pour garder son avance technologique.

L'alliance que nous proposerions ainsi assurerait d'emblée cette taille critique, une présence sur tous les marchés mondiaux et une gamme de produits et de services capable de répondre à tous les besoins de nos clients.

Le renforcement d'Alstom par l'apport de l'ensemble de notre matériel roulant et par la conclusion d'un accord stratégique avec Siemens en matière de signalisation pour les contrats clés en main lui permettrait d'atteindre une taille critique qui en ferait l'égal des deux géants chinois CNR et CSR, et le placerait devant son concurrent canadien Bombardier. Surtout, cette alliance serait le gage d'une compétitivité fortement renforcée et d'une unification du marché ferroviaire européen. Nous déplacerions dès lors la concurrence de nos marchés européens pour la porter offensivement en Amérique du Nord et en Asie.

Les contours exacts de cette alliance et de l'articulation entre matériel roulant et signalisation sont encore en discussion, mais nous sommes déterminés à rester engagés à long terme dans l'activité ferroviaire, qui est vecteur de croissance sous le double effet de la démographie et de l'urbanisation.

Siemens est pleinement conscient qu'une telle alliance est d'abord une question de femmes et d'hommes, et que son succès dépend de notre capacité à faire grandir les équipes et les compétences des deux entreprises. C'est pourquoi nous avons placé notre projet d'alliance sous le signe de la concertation et du dialogue social.

C'est par la pertinence de notre projet que nous garantirions à long terme l'emploi et c'est cette méthode qui nous conduirait à garantir l'emploi des salariés d'Alstom qui rejoindraient Siemens, pour une durée de trois ans à compter de la clôture de la transaction.

Ce serait un socle minimal – une garantie, mais pas notre ambition, qui serait de développer l'emploi grâce à notre projet industriel, en allant capter la croissance attendue des marchés du transport et de l'énergie dans les prochaines décennies.

Il ne s'agit pas là seulement de mots, car ces engagements seraient le fruit d'une longue pratique sociale qui est indissociable de notre développement industriel et en est le principal moteur. Nous croyons fortement qu'il existe, par-delà les différences de législations, une identité sociale européenne qui s'incarnerait dans le dialogue social, la protection des personnes, le respect du dialogue institué à l'intérieur de l'entreprise et le sens du long terme.

Le succès de l'intégration par Siemens, en 2004, des 6 000 salariés d'Alstom experts des petites turbines à gaz en est un exemple réussi, tout comme le succès d'Atos, auquel nous avons apporté nos activités d'informatique pour créer un champion, numéro un européen, dans lequel nous détenons une part minoritaire en appui du management conduit par Thierry Breton et qui préfigure d'une certaine manière notre projet dans le transport ferroviaire.

Je voudrais conclure en déclarant solennellement à la représentation nationale, et en m'adressant à travers vous aux femmes et aux hommes d'Alstom, que les femmes et les hommes de Siemens ont le plus grand respect pour leur travail, leur savoir-faire et leur créativité. Nous sommes absolument persuadés que notre union ferait la force de nos deux entreprises et qu'ensemble nous construirions deux champions européens de taille mondiale, capables de faire durablement face à la concurrence, qu'elle vienne d'Amérique du Nord ou d'Asie.

Ce choix européen ne serait pas anodin dans un monde globalisé. Lui seul assurerait la pérennité des lieux de décision, de production, de recherche et donc d'emploi et d'investissement.

Cette possibilité d'une alliance entre ces deux grandes entreprises européennes, riches de leur savoir-faire et de leur longue histoire, ne se présentera pas une deuxième fois. C'est aujourd'hui et maintenant qu'il faut agir, avec sérénité et confiance.

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