Intervention de Christophe de Maistre

Réunion du 27 mai 2014 à 17h00
Commission des affaires économiques

Christophe de Maistre, président de Siemens France :

En effet.

Nous prenons le temps de présenter notre projet au management d'Alstom et à l'ensemble des parties prenantes – nous avons ainsi rencontré aujourd'hui les syndicats –, afin que tous puissent avoir une opinion claire. Le Siemens d'il y a dix ans n'est pas celui d'aujourd'hui et de nombreux changements sont intervenus. Nous sommes certes aussi des concurrents d'Alstom, comme General Electric et de nombreux autres acteurs, notamment des entreprises chinoises qui progressent très vite. Pour ce qui est de savoir ce que pense M. Kron, je n'ai pas d'opinion et vous engage à lui poser directement la question.

Nous sommes très orientés sur la méthode. Le processus est très formalisé et soumis à des règles européennes que nous devons respecter sous peine d'être attaqués par des concurrents tiers. Je comprends votre impatience d'avoir des informations, mais je me suis engagé sur une date : donnez-nous un minimum de temps pour que nous puissions progresser.

La philosophie générale de notre offre est de créer deux acteurs de premier plan, ce qui représente un projet très ambitieux de partenariat industriel. Il faut plus de deux ou trois semaines pour créer deux champions à vocation mondiale. Nous sommes arrivés tard dans le processus et avons commencé notre due diligence le 7 mai, alors que les discussions étaient déjà engagées avec notre compétiteur. Dans une compétition, que le meilleur gagne.

Pour ce qui est des centres de décision, j'ai répondu sur la partie transport ; quant à la partie signalisation, nous avons bien pris en compte les remarques qui ont été formulées. Alstom Transport est trop petit : si nous voulons conserver des entreprises européennes face à la concurrence des deux entreprises chinoises, des Japonais, du coréen Rotem, en plein essor, et de Bombardier, il faut créer un champion. Les documents produits par Alstom témoignent du reste de la nécessité de trouver un partenariat financier. En effet, un groupe qui pèse 5,5 milliards d'euros n'a pas les moyens d'assumer, par exemple, un contrat de 1,3 milliard d'euros pour Riyad – sans parler du projet de Doha que nous sommes en train de négocier pour 4 milliards d'euros. Il y a donc un problème de taille critique et la grande force de notre offre est de proposer une solution complète, qui nous différencie pleinement.

Nous n'avons malheureusement pas d'usines à Belfort, mais je vous engage à visiter les établissements voisins d'Illkirch, Haguenau, Saint-Louis et Wittelsheim, qui vous diront comment Siemens traite ses sous-traitants. Notre entreprise est en tout point exemplaire et n'a pas à se laisser impressionner par une manifestation d'intérêt. Nous avons 9 000 fournisseurs français, que nous emmenons dans toutes nos missions d'exportation et qui nous ont déclaré lors du forum que nous avons organisé avec M. Montebourg, le 20 janvier – bien avant tous ces événements – que Siemens était « made in France ». C'est la réalité : nous achetons en France pour 2 milliards d'euros. Si l'on compare nos activités industrielles en France avec celles de nos compétiteurs, abstraction faite de leurs activités financières, on verra bien qui est le véritable champion. Membres du Pacte PME, nous sommes mesurés chaque année. Nous sommes une entreprise engagée, qui sait s'occuper du Mittelstand et des entreprises à l'exportation. La comparaison ne nous inquiète donc pas.

Quant au décret, il s'agit d'une très bonne chose, car il donne le temps de discuter. Il existe aux États-Unis une disposition très intéressante en ce sens, qui soumet à autorisation toute acquisition, par exemple dans le domaine du pétrole. Sommes-nous défendus ? Est-il possible d'avoir une deuxième offre ? Je remercie le conseil d'administration, qui est seul juge, et l'actionnaire, qui décidera – naturellement avec les autorités publiques, concernées au premier chef dès lors qu'il s'agit d'un fournisseur d'infrastructures. Citoyen et contribuable français, et fier de l'être, j'observe que l'un des plans d'avenir dans lesquels investit le peuple français est le « TGV du futur ». Il est bon de disposer d'un droit de regard et cela me paraît être d'une saine compétition que de se donner quatre semaines pour disposer d'au moins deux offres.

Les discussions relatives à Alstom durent depuis dix ans. Revenu depuis trois ans et trois mois de Chine, où j'ai passé dix ans, je constate que le sujet est récurrent. Il l'est parce qu'il est pertinent si l'on veut créer des champions européens – ce qui est important pour gagner les marchés en pleine croissance du transport et de l'énergie. En Chine, où l'on compte plus de 300 villes de plus d'un million d'habitants, la globalisation et l'urbanisation sont des réalités tangibles auxquelles il faut être capable de répondre – et la technologie dont nous disposons en Europe est importante à cet égard.

Siemens étant un groupe sérieux, il nous faut disposer d'un peu de temps pour mener à bien les due diligences requises. L'un des problèmes que rencontrait Alstom voilà dix ans était lié à l'achat des turbines ABB, qui étaient alors défaillantes : une due diligence bien menée à cette époque nous aurait peut-être évité la situation actuelle.

En termes d'intégration sociale, Siemens a racheté en 2004 l'ensemble des activités de turbines industrielles d'Alstom, sur quatre sites de fabrication – dont aucun en France, malheureusement. Les 6 000 employés d'Alstom – pour 4 000 de Siemens – ont été intégrés dans le groupe et tout se passe très bien. L'activité est aujourd'hui florissante, le business est profitable et les sites ont grossi. Nous nous sommes donné du temps – comme l'avait fait Airbus – pour créer des centres de compétences. Nous sommes en effet une entreprise d'ingénieurs, qui fait de l'engineering de produits complexes. Il nous faut donc procéder à une fertilisation croisée de nos informations et de nos technologies, afin de créer réellement de la valeur. Si nous voulons nous différencier par rapport aux pays émergents et aux États-Unis, il faut savoir être inventifs et créer des produits nouveaux : c'est cela l'innovation, le moteur de la guerre. Nous disposons depuis cette année en France de trois nouveaux centres de recherche et développement – malheureusement pas encore en Franche-Comté, mais je ne désespère pas que ce soit un jour le cas.

Pour ce qui est du calendrier, je vous ai indiqué une date : n'écoutez pas les rumeurs et soyez patients.

Dans le domaine des trains à grande vitesse, à propos duquel on entend souvent évoquer une concurrence entre les deux entreprises, je rappelle qu'il existe deux systèmes. Le TGV actuel, que vend Alstom, comporte deux niveaux et est muni de deux moteurs qui assurent la traction, l'un à l'avant et l'autre à l'arrière. Le système ICE de Siemens, quant à lui, comporte un seul niveau et une motorisation répartie sous chaque wagon. Dans la plupart des cas, comme cela a été le cas en France, on a d'abord vendu un TGV à un seul niveau puis, lorsqu'il a été nécessaire d'accroître la capacité, on a ajouté un deuxième niveau. Ces deux produits, qui ne reposent pas sur la même technologie, ne sont pas concurrents.

Siemens est aujourd'hui le seul fournisseur qui vend en Chine, en Turquie et en Russie, pays qui auront besoin demain de trains à deux niveaux. Il n'est pas anodin que Siemens, fier de ses produits qui existent depuis plus de 100 ans, affirme aujourd'hui sa volonté de créer une structure européenne. Il ne s'agit pas là d'une démarche purement financière se limitant à absorber et digérer pour le bien de l'actionnaire, mais d'une démarche d'industriels.

Tout nous intéresse chez Alstom. C'est une entreprise que je connais bien et je ne crois guère aux différences culturelles que certains ont pu avancer. Ainsi, notre responsable des transports est un ancien d'Alstom, comme bon nombre de personnes qui travaillent chez nous en France. Nous avons tous une culture d'ingénieurs et j'ai moi-même travaillé une année dans une ancienne filiale d'Alstom, Alstom Power Conversion, devenue Converteam, puis GE Converteam : je suis la preuve vivante que ce monde n'est pas si divers qu'on le dit. Nous sommes dans un monde d'ingénieurs, qui s'intéresse à la technologie, et l'alliance avec Alstom est pour nous un enjeu majeur de développement pour l'avenir.

Pour ce qui concerne la partie signalisation, les négociations sont en cours et nous avons bien compris le message. La due diligence nous dira si cette partie est vraiment plus profitable. Siemens a récemment acquis une partie du groupe anglais Invensys, numéro trois ou quatre mondial, dont le groupe français Schneider Electric a acquis la partie industrielle : la consolidation est en marche pour créer des géants qui soient capables de faire face à une forte compétition. On ne maîtrise le devenir d'une entreprise industrielle que lorsque l'on a sur son continent des centres de production et de recherche et développement. Aujourd'hui, raisonner à l'échelle nationale est une folie – je le dis en Européen convaincu. Si l'on veut créer et faire prospérer l'industrie, il faut être capable de prendre des décisions fortes. C'est la perspective dans laquelle se place Siemens en s'engageant à formuler une proposition avant le 16 juin, c'est-à-dire avant le délai imparti du 23 juin.

Sur le plan social, les deux offres ne sont pas comparables. À mesure que nous exposons notre projet aux représentants syndicaux, nous sentons chez eux une meilleure compréhension et un retournement assez fort. De fait, tant qu'on ne discute pas avec nous, il est difficile de savoir comment nous procédons. Il n'est pas question de demander aux représentants syndicaux de se prononcer, mais nous avons eu l'idée, à ma connaissance sans équivalent, de nous engager sur trois ans après le « closing », c'est-à-dire après l'obtention des autorisations données, notamment par la Commission européenne, sur la base des parts de marché, soit une durée totale d'environ quatre ans.

Il s'agit donc de définir des centres de compétences en fonction de ce qui existe, afin de pouvoir donner du temps au temps. Loin de créer des synergies négatives, notre ambition est de créer des champions mondiaux qui conquerront des marchés. Une fois cette ambition posée, il faut maintenant l'assumer pour construire un projet offensif.

Les perspectives sont importantes, notamment en Afrique du Nord et, plus généralement, en Afrique. Notre centre de Grenoble a beaucoup souffert pendant deux ou trois ans, comme Alstom, de l'exploitation des gaz de schiste américain et du charbon australien, et la quasi-absence d'investissements en Europe depuis la crise de 2008 a fait peser une forte pression sur l'ensemble des constructeurs. Peut-être Siemens s'en est-il mieux sorti, parce que plus présent sur certains marchés émergents et avec des technologies mieux adaptées aux besoins, comme dans le domaine des centrales à gaz ou dans celui des énergies renouvelables, où notre entreprise se place en tête. Notre présence dans l'éolien offshore complète d'autant mieux les activités d'Alstom dans l'éolien terrestre que nous sommes spécialisés dans les vents forts, du type de ceux de l'Europe du Nord, et Alstom dans les vents faibles, plutôt caractéristiques de l'Europe du Sud. Il importe donc de créer un champion dans ce domaine.

Un autre point de différenciation est que nous proposons d'installer des centres de décision à Grenoble et Belfort : il ne s'agit pas de donner artificiellement de l'importance à une petite unité consacrée à des activités dont nous nous serions séparés voilà dix-huit mois parce qu'elles n'étaient pas stratégiques à cette époque et le seraient redevenues depuis lors, mais bien d'apporter dans la corbeille l'ensemble de nos activités et de notre savoir-faire pour fortifier les centres de décision, dans une volonté de construction et de développement.

Cette analyse est confortée dans le détail. Ainsi, pour ce qui concerne la partie transmission HVDC, c'est-à-dire le courant continu à haute tension, le centre de compétences responsable du premier projet de ligne entre la France et l'Espagne – la ligne INELFE (Interconnexion électrique France-Espagne) – sera établi à Grenoble, où je me réjouis de voir l'activité repartir fortement. Nous avons là une chance de développer quelque chose de fondamentalement nouveau, en profitant de l'émergence de besoins très importants en Afrique, et sommes très bien positionnés pour prendre des marchés.

La transition énergétique est un défi important pour l'Europe et pour le monde. Si le champion affiché dans le domaine de l'éolien terrestre est encore européen, ce n'est peut-être pas pour longtemps, car on compte aujourd'hui six acteurs chinois. Avoir vu, comme j'ai pu le faire en Chine, la capacité de nos amis chinois dans les domaines des transports et de la fabrication d'éoliennes rend très modeste – la capacité de production chinoise en matière de trains à grande vitesse équivaut ainsi au double de la demande mondiale. Nous nous trouvons donc face à des concurrents qui pèsent : si nous voulons exister, il nous faut éviter que les compétences que nous possédons en Europe soient absorbées par ce monde de géants et nous mettre en ordre de bataille, avec un marché solide en Europe et une empreinte industrielle forte, afin de pouvoir exporter notre savoir-faire unique.

Pour ce qui est du nucléaire, Siemens n'est pas le gouvernement allemand. Nous nous sommes associés avec Areva, puis sommes sortis du nucléaire – mais pas tout à fait, il est vrai, de notre propre volonté. Je souligne toutefois, puisque le sujet est à la mode, que Siemens partage une cantine avec Areva à Nuremberg – comme il le fait du reste avec Schneider à Grenoble. Pour nous, la technologie prime. Dans le domaine du nucléaire, qui est une priorité nationale, notre proposition a consisté dès le début à mettre à la disposition de l'État français, qui décidera souverainement. Je doute qu'il en aille de même pour notre compétiteur. Il existe en effet deux fabricants dans le monde : Alstom et GE-Hitachi. Faudra-t-il à l'avenir demander l'autorisation du gouvernement américain pour vendre une centrale nucléaire ?

Nous voulons, quant à nous, créer deux champions industriels européens, présentant une forte valeur ajoutée. Nous sommes une entreprise sociale – la meilleure démonstration en est que, depuis toujours, la moitié du conseil d'administration de Siemens se compose de représentants des employés, qui auront leur mot à dire sur le processus et auront conscience de nos engagements. Ce sont des élus européens qui ne se contentent pas de vagues promesses. Nous avons l'habitude, chez Siemens, de tenir nos promesses auprès de nos clients : il faut en profiter.

À propos de clients, il n'est pas inutile de revenir sur la position courageuse et claire prise par les acteurs du ferroviaire en France. Il y a là encore une complémentarité : en Amérique latine, Alstom possède une implantation de fabrication que Siemens n'a pas ; aux États-Unis, nous avons chacun deux unités relevant de domaines très différents. Il faut donc prendre le temps de construire un accord qui n'engage pas seulement de l'argent, mais aussi le futur de nombreuses personnes. Il faut pour ce faire examiner les spécificités des différents sites, pour voir ce que nous pouvons bâtir ensemble. Il s'agit là d'un projet essentiel dans la construction européenne – c'est la conviction que m'en donne mon expérience à l'étranger. Siemens a entrepris de se consolider, par exemple en acquérant les turbines Rolls-Royce, et de créer quelque chose de fort et d'équilibré en France et en Europe – on pense bien sûr au succès d'Airbus, qui concurrence très bien les géants américains. Nous avons la chance de pouvoir mettre en commun des projets existants et leurs budgets de recherche et développement, et de pouvoir élever les activités du niveau national et au niveau européen pour créer les champions dont nous avons besoin.

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