Intervention de Elisabeth Pochon

Séance en hémicycle du 3 juin 2014 à 21h30
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaElisabeth Pochon :

Le temps est venu de redonner un sens à notre politique pénale, car le constat est alarmant. L’héritage des années de populisme pénal a brisé le lien indispensable entre l’institution judiciaire et nos concitoyens. Le quinquennat précédent s’est caractérisé par une exacerbation des tensions entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Le nombre des détenus a augmenté de 35 % en dix ans, et la durée moyenne d’une peine de prison est passée de 8 mois et demi à 11 mois. Cette sévérité a montré les limites du prisme choisi par la majorité précédente dans la lutte contre la délinquance. Chers collègues de l’opposition, c’est là votre erreur fondamentale, sachez la reconnaître.

Nos prisons sont surpeuplées : elles comptent 68 859 détenus pour 57 680 places. Hier encore, je me rendais à la maison d’arrêt de Villepinte, dans mon département, en Seine-Saint-Denis. Mille détenus y sont incarcérés pour seulement 570 places ! Les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire y dénonçaient, là comme partout ailleurs, des conditions de détention inadaptées à la réinsertion des condamnés et qui causent des difficultés considérables aux surveillants dans leur travail quotidien.

Les chiffres de la récidive s’envolent : la part des condamnés en récidive a plus que doublé ces dix dernières années. Les multiples lois d’affichage prises par la précédente majorité n’y ont rien fait. L’exploitation des faits divers et l’instrumentalisation de la souffrance des victimes ont justifié une explosion de normes pénales sans effet tangible sur la réalité de la délinquance. La droite a cru masquer son inefficacité en agitant des peurs, mais les Français ne sont pas dupes : ils voient que rien n’a changé dans leur quotidien malgré l’apparente fermeté des propos.

C’est pourquoi nous avons l’ardente nécessité de leur proposer un texte efficace et mesuré – ce qui ne veut pas dire que nous réduisons nos objectifs, mais que nous les fixons à l’aune des réalités de notre pays. Il s’agit donc d’une réforme pragmatique et préparée. On n’en est pas à la prise de la Bastille ni à la destruction des prisons ! Les projets de construction d’établissements pénitentiaires sont toujours en cours, dans le but justement d’effectuer les sanctions efficacement, dans des conditions respectant la dignité des condamnés.

Le groupe socialiste que je représente ici aujourd’hui salue la méthode retenue pour faire aboutir ce projet de loi, qui est attendu et indispensable. Ce texte ne se concentre pas, comme vous l’avez fait, chers collègues de l’opposition, sur le prononcé des peines, mais s’intéresse aussi à leur exécution. Nous traitons avec un égal souci d’efficacité toutes les phases de la procédure pénale.

Nous apprécions donc cette méthode, ainsi que les différentes étapes de l’élaboration de ce texte. La conférence de consensus, d’abord, avait pour objectif d’identifier les questions incontournables et de cerner les points de controverse à dépasser. Dans le même temps, la commission des lois menait une mission d’information sur la surpopulation carcérale. Ensuite est venu le temps du travail législatif et du débat : le projet que nous examinons aujourd’hui n’a pas été fait dans l’urgence !

Je salue le travail réalisé par M. rapporteur, son sens de l’écoute et sa mesure. C’est un travail précis et méticuleux : nous sommes si loin des caricatures que nous avons entendues dans les premières interventions de l’opposition ! Les parlementaires ont en effet été impliqués et associés à chaque étape de l’élaboration de ce texte. À ce propos, je remercie nos partenaires de la majorité pour la richesse de nos échanges. Nous assumons les débats : c’est notre tradition à gauche, c’est notre identité. Nous sommes aujourd’hui unis sur l’essentiel, autour d’un texte ambitieux et novateur, qui prend acte des échecs des politiques précédentes et privilégie l’efficacité pour dépassionner le débat et réconcilier enfin les Français et la justice. C’est un texte qui veut changer le traitement de la délinquance. Nous avons voulu privilégier une approche transversale, reconnaissant l’indispensable triptyque des acteurs de la chaîne pénale : la police, la justice et l’administration pénitentiaire.

De quoi devrions-nous nous souvenir, après ce débat ? Des trois axes principaux du texte. Le premier, dont nous pouvons être fiers, porte sur l’individualisation de la peine. Le concept n’est pas nouveau, mais la majorité précédente l’avait mis sous le tapis avec les peines plancher – sans jeu de mots… Le présent projet rétablit ce principe. Nous supprimons les automatismes et nous remettons les magistrats au coeur de la décision – nous supprimons l’ensemble des automatismes qui bridaient les juges en leur retirant toute forme d’appréciation de la situation de la personne condamnée.

Nous refusons la justice hâtive. C’est pour cela qu’il y aura une césure au cours du procès pénal : le prononcé de la peine d’une personne reconnue coupable sera reporté afin de permettre au juge de l’application des peines d’étudier plus en profondeur sa personnalité et sa situation, pour prononcer une peine plus adéquate, si besoin plus sévère.

Ce projet de loi permettra un meilleur contrôle, pour plus d’efficacité. Cette réforme est pragmatique, elle prend en compte la réalité. Elle ne vise pas à vider les prisons, pas plus que le Gouvernement ne projette d’en réduire le nombre de places. En contribuant à la lutte contre la surpopulation carcérale, elle permettra de mieux travailler, au cours de l’incarcération, à la réinsertion du condamné après qu’il aura purgé sa peine. Là encore, nous ne pouvons continuer à entretenir des clivages dépassés, dans lesquels les Français ne se retrouvent pas. On voudrait faire croire que seule la droite prend soin des victimes et lutte contre la récidive tandis que la gauche, laxiste, considère la récidive comme normale !

Je ne fais pas partie de ceux qui rejettent a priori la nécessité de la prison lorsque les faits sont graves, mais laisser entendre qu’il suffirait, pour qu’il n’y ait plus de récidivistes, de doubler les peines ou de créer des peines plancher en cas de récidive, comme vous l’avez proposé, est une erreur. Je crois même que c’est une faute. La pire des incohérences, que vous nous reprochez si souvent, est la vôtre : c’est d’enfermer des délinquants pour des courtes peines sans créer les conditions positives de leur retour dans la société.

Nous défendons la création d’une nouvelle peine : la contrainte pénale. Ce n’est pas une peine par défaut, mais bel et bien un instrument de lutte contre la récidive. Elle fait peser des obligations sur le condamné pendant une période pouvant aller jusqu’à cinq ans. Les condamnés concernés feront l’objet d’un contrôle et d’un suivi pendant toute la durée de la peine. Il est inutile de dénaturer cette novation, ou de la caricaturer.

J’entends encore les personnels des services pénitentiaires d’insertion et de probation que je rencontrais hier au centre de semi-liberté de Gagny, dans ma circonscription, qui est l’un des plus grands d’Île-de-France. Ils me disaient que le milieu ouvert est toujours préférable au milieu fermé, et qu’en plus, il est moins onéreux. Voilà qui devrait vous parler ! Pour avancer dans ce sens, le Gouvernement dégage des moyens sérieux, en créant 1 000 postes de conseillers d’insertion et de probation.

Le coeur du texte, c’est la libération sous contrainte. Sur ce point, votre silence est assourdissant. L’individualisation de la peine, c’est aussi voir la vérité en face et reconnaître que les détenus sont amenés à sortir de prison un jour. Cette sortie, c’est le moment crucial : soit l’ancien détenu entame un processus de réinsertion sociale, soit il rechute dans la délinquance. Or la sortie de prison est à l’heure actuelle mal encadrée : 80 % des détenus sortent sans mesure de contrôle ; 63 % de ceux qui sortent sans aménagement de peine font l’objet d’une nouvelle condamnation ; 39 % des détenus qui sortent en libération conditionnelle sont condamnés à nouveau.

La réforme prévoit un nouveau dispositif pour mieux encadrer ces sorties et lutter plus efficacement contre ce phénomène : c’est la libération sous contrainte. Le cas des détenus condamnés à une peine inférieure ou égale à cinq ans sera obligatoirement examiné aux deux tiers de leur peine. On connaît le subterfuge auquel vous recourrez : vous prétendrez que nous libérerons tous les détenus aux deux tiers de la peine. Mais non, il ne s’agit que d’un examen obligatoire, pas d’une obligation de libération des détenus !

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