Et traiter d’inqualifiables les critiques émises par l’opposition n’empêchera pas, madame la garde des sceaux, que vous souffriez de les entendre, malgré vos efforts et ceux du Gouvernement pour que votre loi censée être fondatrice soit examinée en catimini, après les élections bien entendu, et avec précipitation, c’est-à-dire tout à fait à l’inverse de ce qui serait nécessaire pour bien légiférer, surtout dans une matière aussi délicate. Il faut néanmoins vous reconnaître le mérite de la cohérence : le texte s’inscrit en effet dans le droit fil de votre circulaire pénale du 19 septembre 2012 et du rapport Raimbourg, qui ne proposait rien moins qu’un numerus clausus dans les prisons.
Contrairement à vos affirmations, d’ailleurs, la France incarcère assez peu, comme l’a confirmé le classement établi par le Conseil de l’Europe. Une étude du chercheur Pierre-Victor Tournier confirme que seules 21 % des 51 % de peines de prison prononcées dans les jugements chaque année sont suivies d’une incarcération. Et si l’état de surpeuplement des maisons d’arrêt est avéré, c’est en raison de votre renoncement à construire suffisamment de places de prison. Pourtant, aucun État ayant créé une nouvelle peine en milieu ouvert n’a jamais obtenu une réduction de l’incarcération. Le plus grave, madame la garde des sceaux, c’est que votre réforme érige en dogme le refus de punir, comme en atteste la suppression par l’article 11 de toute référence à la sanction du condamné telle qu’elle figurait dans le titre préliminaire de la loi pénitentiaire.
La contrainte pénale s’inscrit pleinement dans cette démarche. Et, comme s’il ne suffisait pas de l’appliquer aux délits passibles de cinq ans de prison au plus, qui peuvent être aussi graves que des atteintes sexuelles et des violences aux personnes, vous avez laissé un amendement socialiste l’étendre à tous les délits, y compris les plus graves, punis de dix ans de prison comme les viols, les violences avec circonstances aggravantes, les atteintes sur mineur, le trafic de drogue, les actes de barbarie et même la préparation d’actes de terrorisme ! Quelle perspicacité… Ce n’est qu’au prix d’un nouveau cafouillage gouvernemental et même, dit-on, d’un sévère recadrage élyséen, que vous renoncerez peut-être à la fuite en avant vers l’impunité la plus large. Son application conduirait en effet à libérer de 20 000 à 25 000 détenus sans même que les services pénitentiaires d’insertion et de probation ne soient en mesure d’en assurer le suivi. Le Conseil d’État a pourtant noté dans son rapport l’insuffisance des études d’impact, vous appelant à renforcer les moyens nécessaires dans les juridictions d’application des peines et les SPIP. Surtout qu’il s’agit de procéder à des libérations anticipées à la chaîne !
L’inversion de la logique de révocation du sursis avec mise à l’épreuve en cas de non-respect des obligations et interdictions est tout à fait symptomatique de la culture de l’excuse, pour ne pas dire de l’impunité, qui inspire l’ensemble de votre texte, madame la garde des sceaux. La limitation à la moitié de la durée de contrainte pénale de toute velléité d’emprisonnement par les juges d’un condamné ne respectant pas ses devoirs ne l’est pas moins. En outre, il ne semble pas être constitutionnel, comme le faisait remarquer Robert Badinter lors de son audition devant le Sénat, qu’un même fait soit jugé deux fois – non bis in idem. En réalité, non seulement vous abrogez les peines plancher, mais vous instituez des peines plafond ! Et là, on ne vous sent plus du tout embarrassée par la limitation de l’autonomie de décision du juge…
Par pur dogmatisme, vous faites disparaître les peines plancher, prononcées certes dans un tiers des cas, mais les plus nécessaires, comme les violences aux personnes et atteintes sexuelles. Elles sont très peu nombreuses, comme M. le rapporteur semble le regretter, car elles ne concernent que les cas de récidive légale. Au lieu de les supprimer, nous vous proposerons au contraire dans nos amendements de les étendre à la réitération.
Votre absolution de la récidive, madame la ministre, s’étend aux crédits de réduction automatique de peine, désormais identiques que le condamné soit ou non récidiviste, comme à la levée de la limitation du nombre de sursis avec mise à l’épreuve pour les récidivistes et les auteurs de violences sexuelles ou encore à la libération des condamnés aux deux tiers de leur peine, ou au bout de dix-huit ans pour les reclus à perpétuité. Mais il est vrai que vous avez affirmé, lors de la conférence dite de consensus, que « la récidive est partie intégrante du parcours de réinsertion » ! Vous confondez me semble-t-il réinsertion et impunité.
La dimension moralement réparatrice pour la victime de la peine de prison est complètement absente du texte, comme si la réparation financière comptait davantage. L’obligation faite au juge de prendre en compte les ressources, les charges et la situation du condamné aboutira en fait à une justice à deux vitesses, corrélée au niveau socio-économique du délinquant. La possibilité d’ajournement du procès pendant un an à des fins de provisionnement laisse penser que la trésorerie de la justice importe plus à vos yeux que son prononcé. Il est également contestable que les dommages et intérêts non réclamés par les victimes servent à financer les associations de contrôle judiciaire au lieu d’être exclusivement consacrées aux associations d’aide aux victimes. Beaucoup plus graves encore, les articles 15 bis et 15 ter introduits par le rapporteur, qui effaceront purement et simplement la répression de tout un contentieux de masse par une dé-correctionnalisation de fait.
Ce texte excessivement dangereux et examiné à la va-vite, madame la ministre, ouvre la boîte de Pandore en conduisant à disperser dans les villes comme dans les campagnes, sans moyen suffisant pour les contrôler ni aucune préparation des acteurs de la justice et au mépris des victimes, des dizaines de milliers de condamnés souvent pour des faits graves, réduisant par ailleurs à néant le travail des policiers et gendarmes, comme l’a fait remarquer le général Soubelet.