Intervention de Véronique Besse

Séance en hémicycle du 3 juin 2014 à 21h30
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVéronique Besse :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la justice et la sécurité sont les droits les plus inaliénables des citoyens. Pourtant, il reste beaucoup à faire pour que cette maxime devienne une réalité vécue par tous sur l’ensemble du territoire national. Assurer la sécurité de la population est la raison d’être et la mission première des gouvernants. Sans sécurité, il n’y a pas de liberté possible. Cependant, pour garantir la sécurité de nos concitoyens, même si l’arsenal législatif est de première importance, il ne suffit pas. Il faut, parallèlement, mettre en place les moyens humains et matériels nécessaires pour prévenir et lutter contre l’insécurité.

Cette lutte contre l’insécurité ne peut être efficiente que si tous les maillons de la chaîne de la sécurité fonctionnent efficacement : la police, la justice et enfin, en aval de la justice, le maillon carcéral ou, plus généralement, celui de l’exécution des peines, qui souffre de deux problèmes : d’une part, la non-immédiateté de la sanction ; d’autre part, l’inexécution ou l’exécution partielle de la peine. Aujourd’hui, la justice n’est plus dissuasive car les peines ne sont pas appliquées, ou appliquées trop tardivement par rapport à l’acte délictueux ou criminel.

Dans un rapport « pour renforcer l’efficacité de l’exécution des peines », Éric Ciotti déclare que « le caractère certain de l’application d’une sanction rapide et proportionnée favorise la prévention du passage à l’acte, de la réitération et celle de la récidive ». Non seulement il a raison, mais la majorité des Français partage cet avis relevant du bon sens. Plus la probabilité d’être arrêté et condamné augmente, plus la délinquance diminue. C’est tout le contraire que vous nous proposez à travers ce texte, et c’est bien mal connaître la nature humaine – ou tout du moins, c’est faire preuve d’un optimisme naïf et loin des réalités. En effet, ce n’est pas tant la lourdeur de la peine qui est dissuasive que la certitude de son application par une sanction effective.

Ainsi, vouloir élargir à tous les délits la contrainte pénale, une peine qui ne prévoit pas d’incarcération, mais de simples obligations, est une faute lourde de conséquences, qui développera un climat d’impunité généralisé parfaitement regrettable. Le Président de la République vous a d’ailleurs demandé de revenir sur cet amendement. La dignité de chaque homme, y compris celle des détenus, est évidemment à considérer, mais il faut rappeler avec insistance le caractère primordial du droit des victimes qui, bien sûr, n’ont jamais choisi de l’être. Elles ont le droit d’être assurées, rassurées, du caractère certain de l’application d’une sanction exemplaire à l’encontre de leurs agresseurs.

Quant au coupable, ou au présumé coupable, si le respect de ses droits est essentiel, ne nous détournons pas du principe qui fonde toute justice et qui veut que l’on rende à chacun selon son dû. Ce principe est d’autant plus important lorsque l’on évoque la récidive. Comment se fait-il qu’un individu dont la dangerosité est manifeste, et qui a déjà été condamné pour des faits graves et similaires, puisse être laissé en liberté et commettre de nouveaux crimes ? Cette interrogation est légitime et, en l’occurrence, je doute fortement que ce projet de loi rassure les victimes, bien au contraire. En effet, chaque nouvelle victime d’un récidiviste est une insulte aux victimes précédentes, mais aussi aux fondements mêmes de notre société, comme de tristes faits divers nous le rappellent malheureusement trop souvent. Voilà pourquoi il est important de ne pas organiser l’impunité des délinquants, comme ce texte menace pourtant de le faire. La peine de prison avec sursis devrait ainsi toujours être assortie d’une autre peine, telle qu’une amende ou un travail d’intérêt général. En effet, la condamnation avec sursis n’est généralement pas considérée comme une punition, car ceux qui la subissent ont le plus souvent le sentiment d’avoir été acquittés.

Je n’oublie pas la prévention, qui doit avoir toute sa place dans le dispositif de lutte contre la récidive, et je crois que la meilleure arme est celle qui consiste à faciliter l’information de tous les acteurs sur le terrain. C’est évidemment un élément indispensable. Cependant, ces mesures ne sauraient être efficaces sans une augmentation sensible des moyens humains et matériels pour faire appliquer notre droit. Même si la conjoncture actuelle est difficile, il est absolument nécessaire pour l’État de remplir ses missions régaliennes : il y va de l’intérêt et de la sécurité de tous. C’est d’abord cela qu’attendent les Français : ils attendent avant tout des gouvernants et du législateur qu’ils remplissent convenablement leurs missions. C’est parce que ces missions ne sont pas ou sont mal remplies que les Français ont perdu confiance en leurs représentants.

Je souhaite également évoquer le problème de l’insuffisance de notre capacité carcérale. Vouloir prévenir la récidive est louable et nécessaire, certes, mais n’y a-t-il pas plus urgent à envisager et à entreprendre lorsque l’on pense à l’état de nos prisons, à la situation de surcharge carcérale, aux conditions de travail des personnels pénitentiaires et aux conditions de vie des prisonniers ? La mise à niveau et l’agrandissement de notre parc immobilier pénitentiaire constituent également une nécessité.

Contrairement à ce que vous voulez faire croire, la France n’est pas dans le « tout carcéral ». Les chiffres sont connus : notre pays compte moins de détenus et de places de prison que la moyenne européenne. Certes, la prison n’est idéale pour personne, mais sans elle, la justice perd toute crédibilité. Et face à l’argument simpliste et lâche qui consiste à dire que construire de nouveaux établissements pénitentiaires coûte trop cher, je veux dire que ce constat mériterait d’être éclairé par l’estimation de ce que coûte l’insécurité elle-même.

Pour conclure, je souhaite réaffirmer que la vraie lutte contre la récidive ne peut s’exonérer d’une réelle application des peines. En prônant le contraire – ce qui est la philosophie de cette réforme, madame le ministre –, vous mentez aux Français. Ce texte inadapté et injuste, s’il devait être adopté, amplifierait le sentiment global d’insécurité en France, et aurait de graves conséquences sur l’avenir et le quotidien de nos concitoyens. Au moment même où l’on arrête un dangereux djihadiste et où tous les efforts doivent être concentrés pour contrer ce fléau, vous envoyez un bien mauvais signal aux Français.

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