Intervention de Marie-Louise Fort

Séance en hémicycle du 3 juin 2014 à 21h30
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Louise Fort :

…de supprimer les peines plancher tout en développant les libérations conditionnelles et les libérations sous contrainte.

Vous prétendez, madame la garde des sceaux, que cette réforme ne concerne que les délits et que les criminels sont exclus de son champ, mais il n’en est rien ! Il suffit de lire le texte pour s’en convaincre. En effet, l’article 16 du projet de loi prévoit de faire bénéficier du système de libération sous contrainte des personnes condamnées jusqu’à cinq ans de prison. Or, il y a des criminels qui sont condamnés à moins de cinq ans de prison. Quant à l’article 17, il prévoit de faire bénéficier du système de libération conditionnelle les personnes condamnées à plus de cinq ans de prison, et même les personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité.

Vous justifiez ce laxisme en vous réfugiant derrière le problème de la surpopulation carcérale, certes inacceptable dans nos sociétés modernes, mais qui touche surtout les maisons d’arrêt. Il est donc impératif de construire en France de nouvelles places de prison. Notre pays compte aujourd’hui 87 places de prison pour 100 000 habitants contre 146 pour 100 000 habitants en moyenne dans les pays du Conseil de l’Europe.

Mais, sur ce sujet comme sur tant d’autres, vous ne vous donnez pas les moyens de vos ambitions. Alors que votre gouvernement prévoit la construction de 6 500 places de prison, le projet annuel de performance de la mission « justice » du projet de loi de finances pour 2014 prévoit seulement 2 582 nouvelles places entre 2014 et 2016.

Autre argument erroné souvent brandi par votre gouvernement : les courtes peines créeraient de la récidive. Cette idée préconçue vient de la comparaison du taux de récidive entre des personnes condamnées à de courtes peines et des personnes condamnées à des peines plus importantes. N’oublions pas, mes chers collègues, que ces personnes n’ont pas le même profil et qu’elles n’ont pas commis un crime de même ampleur. Voilà pourquoi elles ne récidivent pas dans les mêmes proportions.

Par ailleurs, on sous-estime grandement l’échec des alternatives à la détention, qui conduisent ensuite à de courtes peines de prison ferme. Or, comme l’indiquait la nouvelle directrice de l’administration pénitentiaire, Isabelle Gorce, en novembre 2013 : « Les courtes peines posent des problèmes complexes. Beaucoup en maison d’arrêt ont déjà été condamnés à des peines en milieu ouvert, un sursis simple, puis un TIG ou un sursis avec mise à l’épreuve, et c’est donc à la suite d’échecs successifs qu’ils finissent par être condamnés à une petite peine d’emprisonnement ». En l’état actuel des choses, il faut donc réformer les alternatives à la détention au lieu de les développer comme vous le proposez dans ce projet de loi.

Quant à la suppression des peines plancher, c’est une mesure politique et dogmatique. Aucune étude à ce jour ne permet de prouver que les peines plancher sont inefficaces ou qu’elles ont augmenté la récidive. En outre, il suffit de lire l’article 3 du projet de loi pour constater que les magistrats ne retrouveront pas pour autant toute leur liberté pour prononcer des peines.

Enfin, quid des victimes, madame la garde des sceaux ? Dans votre texte, vous vous contentez de rappeler les droits existants sans en créer de nouveaux. Or, l’accueil et la prise en charge des victimes sont une mission à part entière des forces de sécurité qui s’articule avec la lutte contre la délinquance sans se confondre avec celle-ci. Dans le rapport que j’ai réalisé en 2011 sur la prise en charge des victimes, j’ai pu constater que si de très bons dispositifs ont été mis en oeuvre sur le terrain, ils sont souvent le fait d’initiatives locales ou isolées. L’État doit les appuyer, les harmoniser et les généraliser. Pour y parvenir, il faut un effort conjoint du ministère de la justice et du ministère de l’intérieur.

Ce texte fait la part belle au condamné au détriment de la victime, qui bénéficie ainsi d’une moindre protection, voire d’une moindre considération. Les victimes ont pleinement conscience de cet état de fait. Souvent peu informées de leurs droits, elles abandonnent, découragées.

Madame la garde des sceaux, cette réforme est identique à celles que vous avez proposées jusqu’à présent : vous annoncez un big-bang, mais finalement, la montagne accouche d’une souris. C’est fort regrettable.

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