Madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues : avec ce projet de loi, madame la garde des sceaux, vous ajoutez une pierre de plus à la marque de fabrique du Gouvernement auquel vous appartenez. Cette marque, je la résumerai par une formule qui vous choquera peut-être mais qui correspond à la réalité : l’aveuglement idéologique ou l’idéologie aveugle.
Vous avez tellement voulu rayer de la carte tout ce que nous avions fait au cours du quinquennat précédent que vous avez déclaré riches les 9 millions et demi de Français qui bénéficiaient du dispositif des heures supplémentaires défiscalisées et déchargées. Vient de rentrer aujourd’hui au Gouvernement un nouveau collègue, madame la garde des sceaux, qui, il y a quelque temps encore, en tant que porte-parole de votre groupe, affirmait qu’il faudrait peut-être revenir sur cette décision malencontreuse qui a consisté à se mettre à dos 9 millions et demi de Français.
Vous, membres du Gouvernement, vous êtes en train de vous prendre copieusement les pieds dans le tapis de cette réforme territoriale dont vous ne savez pas très bien comment l’orienter, comment la mettre sur les rails. Les protestations fusent de partout et probablement créerez-vous à nouveau, un de ces jours, sous un autre nom, ce conseiller territorial, dont nous avons eu l’idée, que vous avez supprimé par idéologie, mais qu’il faudra bien retrouver d’une manière ou d’une autre.
Enfin, par ce projet de loi, vous avez décidé de faire la peau des peines plancher. Votre candidat devenu président en avait déjà l’intention et c’est ce que nous annoncèrent, de toute manière, ceux qui prirent la parole, il y a sept ans maintenant, lorsque nous étudiions, début juillet 2007, la première loi de cette législature, relative aux peines plancher.
J’ai, sous les yeux, ce que déclarait avec une tranquille assurance, une assurance pateline, notre rapporteur d’aujourd’hui : « Ce texte porte atteinte au principe d’individualisation des peines ». En effet, le texte prévoit que la règle est celle de la peine dite « plancher » et que seule l’exception permet d’y déroger. C’est donc nécessairement, disait notre rapporteur d’aujourd’hui, « une atteinte au principe d’individualisation ».
Quelques jours plus tard, dans son délibéré du 9 août 2007, le Conseil constitutionnel taillait en pièces, avec beaucoup de précision, cette argumentation facile de l’automaticité des peines plancher, de la fin de l’individualisation de la peine et, partant, de la fin de la justice juste pour tous.
Je ne vous lirai pas dans son intégralité ce document du Conseil constitutionnel dont il ressort que la loi relative aux peines plancher ne porte pas atteinte au principe de nécessité des peines, ni à celui de l’individualisation des peines, issu de la Déclaration de 1789 en son article 8. Mais vous avez persisté à faire comme si le Conseil constitutionnel ne s’était pas prononcé. Vous avez persisté à affirmer que l’automaticité était la marque de ce dispositif alors que, après en avoir dressé le bilan au bout de quelques mois avec mon collègue Christophe Caresche, nous avons pu apporter la preuve que les peines plancher n’étaient prononcées que dans un cas sur deux. Nous savons aujourd’hui qu’elles concernent un peu plus d’un cas sur trois. L’automaticité ? Que nenni ! Et le principe d’individualisation est bien au rendez-vous de toutes les décisions de justice.
Votre projet se prétend par ailleurs créateur de droits nouveaux mais, madame la garde des sceaux, vous ne tromperez pas grand monde. Vous prétendez pratiquement créer – puisque vous considérez que rien n’existait avant vous – le principe d’individualisation des peines. Or, je viens de vous le rappeler, il date de 1789 et a souvent été réaffirmé, y compris par le Conseil constitutionnel.
Vous faites mine, également, de créer un dispositif qui, avant vous, n’aurait pas existé : les bureaux d’exécution des peines. Vous les inscrivez dans la loi alors que vous savez qu’ils sont déjà en place de par des dispositions réglementaires, puisqu’ils relèvent du domaine réglementaire. Mais non, vous avez voulu faire comme si vous étiez la source de toute nouveauté, qu’il s’agisse de l’individualisation ou de l’exécution des peines dans de bonnes conditions. Il n’en est rien.
Vous avez porté ce projet avec deux épées dans les reins : celle de l’ancien ministre de l’intérieur devenu Premier ministre et qui, aujourd’hui, a eu l’audace de nous accuser, ici même, de provocation alors que c’est lui qui a mis le feu, c’est lui qui a déclenché la polémique en écrivant directement au Président de la République tout le mal qu’il pensait de la réforme, laquelle n’a pas changé d’un iota mais que vous êtes aujourd’hui, sous sa responsabilité, chargée de mettre en oeuvre...
Enfin, vous avez fait ce qu’il ne fallait pas faire : vous précipiter en infligeant une double peine aux débats parlementaires, temps proclamé et déclaration d’urgence. Oui, madame la garde des sceaux, et j’y reviendrai à l’occasion de la discussion des articles, ce texte n’est pas bon, il va désoler et désespérer un très grand nombre, sans servir la République, la justice et notre pays.