Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, à l’heure où les Français souffrent, à l’heure où les Français doutent, à l’heure où les Français attendent des réponses, quelle folie de présenter ce projet maintenant, après un vote sanction sans précédent des citoyens, un cri d’alarme, dans un contexte d’explosion des incivilités et des délits dans nos villes et nos campagnes – 1 021 cambriolages par jour en 2013, atteintes aux personnes en hausse de 5,6 % en 2013, soit 26 000 faits en plus l’année dernière – et quelques jours après un acte odieux perpétré par un terroriste solitaire. Les Français ont besoin d’être rassurés et demandent de la fermeté.
Au lieu de cela, vous nous proposez une réforme bâclée, dangereuse et qui n’aura comme seule conséquence que de vider les prisons sans prendre en compte les préjudices subis par les victimes. Inspiré des conclusions d’une conférence à laquelle tous les syndicats de policiers n’ont pas été associés, le texte était prêt à être présenté au Parlement fin 2013. Mais, dès sa présentation en conseil des ministres le 9 octobre 2013, le texte a fait l’objet de critiques tant du côté des associations de victimes que des forces de l’ordre et de la justice dont certaines demandent même son retrait dès aujourd’hui.
Son examen a été décalé deux fois, après les élections municipales, puis après les élections européennes, traduisant un malaise du Gouvernement. Il s’agit moins de surpopulation carcérale que de sous-équipement carcéral. À titre de comparaison, le Royaume-Uni dispose de 96 000 places, soit 40 000 places de plus que la France pour une population similaire. Partant de cette donnée, l’ancienne majorité avait opté pour l’accroissement de la capacité carcérale par la loi du 27 mars 2012 et une meilleure application des peines face à la récidive par la loi du 10 août 2007 instituant des peines plancher.
À l’inverse, madame la garde des sceaux, prisonnière d’une approche purement dogmatique marquée par un certain angélisme sur la récidive, vous souhaitez mettre fin à un prétendu « tout carcéral » alors que, seules, 17 % des condamnations pénales débouchent sur de la prison ferme. Au motif avoué de lutter contre la récidive en individualisant les peines, en créant une contrainte pénale pour les peines de moins de cinq ans et en garantissant la réinsertion des personnes condamnées, il y a le motif moins avouable de faire de l’emprisonnement une exception.
J’en viens à l’objectif d’individualiser les peines. Le texte définit les modalités de la peine, en plaçant sur le même plan l’objectif de « sanctionner le condamné » et celui de « favoriser son insertion ou sa réinsertion ». L’intention n’est donc plus de sanctionner, mais de réinsérer le délinquant. Où sont les préjudices subis par les victimes dans cet énoncé ? On prévoit des suivis psychologiques pour les condamnés. Qu’en est-il des victimes, seront-elles livrées à elles-mêmes ? Si seulement le texte contenait autant d’avancées pour les victimes ! Mais il n’en est rien !
Non seulement vous abrogez les peines planchers, mais vous supprimez le caractère automatique de la révocation des sursis en cas de récidive, alors que le droit actuel dispose que toute nouvelle condamnation à une peine d’emprisonnement révoque le sursis antérieurement accordé quelle que soit la peine. En mettant fin à la révocation automatique des sursis, vous faites artificiellement chuter les statistiques sur la récidive puisqu’elles sont basées, entre autres données, sur le nombre de révocation des sursis.
Enfin, vous créez une nouvelle peine, la contrainte pénale, qui, loin d’être un complément aux peines carcérales, va constituer une alternative en mode allégé. Il y a de quoi développer le sentiment d’impunité et surtout alourdir davantage la machine judiciaire puisque, désormais, le délinquant devra repasser devant le juge d’application des peines en cas de manquement à ses obligations alors que, jusqu’à présent, la peine de prison était prévue dès la décision de justice.
Pour conclure, madame la garde des sceaux, j’aimerais vous citer un fait divers. Le 31 janvier 2013, une assistante maternelle était tuée à Malans, en Haute-Saône, par son voisin, atteinte à la tête et au thorax. Ledit voisin avait fait l’objet depuis plusieurs années de signalement auprès des autorités préfectorales et du procureur de la République pour des actes de vandalisme caractérisés et des menaces réitérées à rencontre de son voisinage. Le maire et les élus du conseil municipal avaient saisi le procureur et le préfet. Ils disaient leur peur que l’irréparable soit commis. Dix plaintes avaient été déposées contre lui par des habitants de Malans, sans résultat de nature préventive.
Le 21 janvier dernier, je vous alertais sur le vide juridique qui entoure la possession d’armes à feu par des individus potentiellement dangereux et vous rappelais la proposition de loi que j’avais déposée sur ce sujet avec trente-cinq de mes collègues le 21 novembre dernier. Je constate que les dispositions de l’article 15 reprennent l’esprit de cette proposition, mais, par voie d’amendement, je souhaiterais qu’elles soient étendues à des individus dont la dangerosité du comportement a été reconnue avant un dramatique passage à l’acte, afin que nous tirions les leçons de ce dramatique événement survenu en Haute-Saône.
Cet après-midi, Dominique Raimbourg, notre rapporteur, a résumé ainsi l’esprit du texte : nous faisons le pari qu’un contrôle serré peut remplacer l’enfermement. Eh bien, mes chers collègues, ce pari, les Français ne sont pas prêts à le tenir !