Intervention de Paul Salen

Séance en hémicycle du 3 juin 2014 à 21h30
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Salen :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il est vrai que notre Gouvernement nous a habitués depuis plus de deux ans à une explosion de bons sentiments, fort éloignés de la vérité du quotidien vécu par les Français. Le déni de la réalité est devenu presque une marque de fabrique, que ce soit en matière économique ou matière de réformes institutionnelles.

Voilà maintenant que le Gouvernement s’attaque à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines.

Pourtant, que cela vous plaise ou pas, depuis mai 2012, les chiffres sont clairs. Selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, les évolutions, entre mars 2013 et février 2014, sont extrêmement inquiétantes. Sur cette période, la délinquance a progressé de 3,8 %, ce qui, très concrètement, veut dire 114 482 victimes supplémentaires, 371 203 cambriolages, soit plus de 1 000 cambriolages par jour, une hausse de 6,2 % des atteintes à l’intégrité physique et de 4 % des vols violents sans arme.

Tout à l’heure, Alain Tourret a défendu ardemment les femmes condamnées mais pas un mot sur les femmes victimes, sur les traumatismes causés à toutes les victimes et à leurs familles. Il a expliqué que défendre les femmes en prison, c’était le combat de sa vie. Pour les membres de mon groupe, le combat de notre vie, c’est de protéger les citoyens.

Voilà, madame la garde des sceaux, la réalité vécue par les Français, ce quotidien qui semble tant vous effrayer que vous préférez le cacher plutôt que de l’affronter et de chercher des solutions concrètes et efficaces. Si vous étiez réellement dans un tel état d’esprit, je peux vous assurer qu’au-delà des divergences politiques qui sont les nôtres, vous trouveriez dans les parlementaires de ma famille politique des femmes et des hommes disposés à construire une politique sérieuse et tournée vers la protection des Français. Malheureusement, vous avez fait le choix de la démagogie, du refus de la vérité, de l’idéologie.

Certes, la France se trouve en situation de surpopulation carcérale. Nul ne peut le nier puisque, avec 67 000 détenus dans nos prisons, nous enregistrons un taux d’occupation supérieur à 115 %. Mais quelle solution proposez-vous ? Sortir du tout carcéral ! C’est un extraordinaire raccourci lorsqu’on songe que seulement 17 % des condamnations pénales prononcées en France débouchent sur de la prison ferme. Le taux d’incarcération dans notre pays est nettement inférieur à celui de l’Espagne, du Royaume-Uni ou de l’Italie.

Loin de répondre aux attentes des Français, qui réclament plus de sécurité, le Gouvernement a démonté systématiquement toutes les réformes courageuses conduites entre 2007 et 2012. Alors que la loi du 27 mars 2012 mettait en place un plan de construction de places de prison destiné à améliorer les conditions de détention et à faire face aux besoins, le Gouvernement préfère ne plus incarcérer personne !

Ainsi, ce projet de loi, loin d’améliorer l’efficacité de la justice afin de la rendre mieux à même de répondre aux attentes des Français, ne fait que diminuer leur niveau de sécurité. Nous sommes tous d’accord pour reconnaître que la prison doit offrir une nouvelle chance aux condamnés afin d’éviter la récidive, mais votre texte, madame la garde des sceaux, la transforme en centre de rééducation.

Pour qu’elle soit réellement dissuasive, et éventuellement instrument de réinsertion, la prison doit rester centrée sur ses missions premières : punir et protéger. Encore faut-il se donner les moyens pour qu’elle puisse le faire. En affirmant que la mission de la prison est tout autant de sanctionner que de favoriser la réinsertion des condamnés, nous brouillons le message. Souvenez-vous, madame la garde des sceaux : Raymond Aron analyse très finement la différence entre le diplomate et le militaire et conclut que les difficultés naissent du mélange de ces deux fonctions pourtant distinctes. À l’image de ce qu’écrivait Raymond Aron, je crois que le mélange de ces deux missions, punir et réinsérer, contribue à rendre floue la fonction essentielle de la prison.

D’ailleurs, en supprimant les peines plancher, vous affaiblissez le dispositif pénal, puisque celles-ci permettaient de sanctionner la récidive. En agissant de la sorte, vous délivrez un message purement idéologique, destiné à satisfaire une infime minorité de Français, au détriment de la sécurité de l’ensemble des autres, comme en attestent de nombreuses enquêtes d’opinion.

Que penser de votre mesure phare, la peine en milieu ouvert, dite « contrainte pénale », une peine s’appliquant aux délits passibles de cinq, voire dix ans de prison : escroquerie, vol aggravé, homicide involontaire, évasion d’un détenu… ? Ces délits sont-ils pour vous des peccadilles ?

Cette contrainte pénale répond à un mécanisme complexe et manquant de rigueur. De plus, chacun des intervenants successifs dans les différentes phases de la mise en place de cette nouvelle peine a la possibilité de revenir sur ce que son prédécesseur a prévu. Qui pourra bénéficier d’une contrainte pénale plutôt que d’un sursis avec mise à l’épreuve ou d’une peine de prison ferme ? Rien ne le dit, si ce n’est que ce sera en fonction de la personnalité de l’auteur et des circonstances de l’infraction, autant dire de l’âge du capitaine !

Ensuite, il y a incertitude sur la durée de la peine de contrainte pénale – de six mois à cinq ans – puisque cette durée ne dépend pas de la gravité de l’infraction mais de l’appréciation subjective du tribunal quant à la personnalité de l’auteur de l’infraction. Mais il y a aussi incertitude sur le contenu de la peine, les obligations et interdictions dépendant entièrement du contexte : personnalité de l’auteur, infraction, victime…

Je pense qu’une telle organisation n’est pas digne d’un grand pays démocratique comme la France. Les Français attendent mieux et plus, et vous ne leur apportez que de l’idéologie.

Madame la garde des sceaux, comme souvent, cette réforme que voulez faire passer dans l’urgence a été mal ficelée. J’espère que vous saurez accepter les amendements que les parlementaires soumettront à cette assemblée pour clarifier, préciser et améliorer cette réforme, dont les conséquences pour la justice de notre pays et la sécurité de nos concitoyens se doivent d’être conséquentes et significatives.

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