Intervention de général Gratien Maire

Réunion du 28 mai 2014 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

général Gratien Maire, major général des armées :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, vous avez souhaité m'entendre dans le cadre du cycle d'auditions sur le projet Balard, qui conduira au regroupement de l'ensemble des grands décideurs de l'administration centrale du ministère de la Défense sur un site unique.

Tout d'abord, permettez-moi de vous dire que je suis très honoré d'avoir la possibilité de m'exprimer devant vous pour la première fois depuis ma prise de fonctions comme major général des armées. À cette occasion, je tiens à saluer le dynamisme de votre commission et son engagement pour le maintien, la qualité et l'efficacité de notre outil de défense. Soyez assurés, de mon côté, de ma disponibilité ainsi que de celle de mon état-major pour vous fournir tous les éclairages nécessaires à vos travaux, dont je tiens à souligner la richesse et la valeur pour les armées.

Je suis particulièrement heureux d'être parmi vous pour échanger sur ce sujet auquel j'accorde évidemment la plus haute importance. Je suis en effet chargé, au titre de mes fonctions, de conduire la réforme des armées, c'est-à-dire de contribuer à sa conception et d'en coordonner la mise en oeuvre.

Au sein de la réforme des armées, la réforme de leur commandement constitue un volet essentiel, dont le projet Balard est à la fois un vecteur et un catalyseur. Il s'agit d'un projet ministériel, piloté par le Secrétariat général pour l'administration, au profit de l'ensemble des armées, directions et services interarmées. Le SGA vous donnera sans doute la perspective du responsable de projet. Mon point de vue sera, plus modestement, celui du colocataire, mais d'un colocataire atypique, chargé, dès le départ du projet, d'exprimer son besoin dans le cadre d'un bail de longue durée renouvelable aussi longtemps que nécessaire, et de s'assurer de sa bonne prise en compte.

Ce besoin, qui est celui des armées, découle directement des grandes responsabilités du chef d'état-major des armées, en sa qualité de conseiller militaire de l'autorité politique et de commandant des opérations militaires chargé de la programmation militaire. Dans ce cadre, je voudrais développer quatre convictions, s'agissant du projet Balard, que vous avez déjà abordé à plusieurs reprises lors de vos auditions. Votre visite in situ vous a d'ailleurs certainement permis de visualiser ce qu'il en est aujourd'hui et ce qu'il en sera très bientôt demain.

À mes yeux, et en premier lieu, Balard constitue pour les armées une triple opportunité, en termes de fonctionnement, d'efficacité, de cadre de travail et de vie. C'est un site à vocation opérationnelle. C'est également un projet mobilisateur pour les armées, directions et services. C'est enfin un projet dont certains paramètres doivent encore être consolidés pour qu'il remplisse tous ses objectifs en temps et en heure.

Première opportunité : ce projet nous permettra d'améliorer la gouvernance et la cohésion au sein du ministère de la Défense. Dans un contexte d'interdépendance de plus en plus marquée, la colocalisation et la possibilité de travailler en plateaux renforceront les synergies entre tous les acteurs de l'administration centrale du ministère, et donc son efficacité. La dimension de plus en plus transverse de la majorité des grands dossiers implique en effet une coordination étroite, que viendra faciliter cette co-implantation. Meilleure compréhension mutuelle, gain de temps : les avantages de la formule sont évidents, a fortiori lorsque la contrainte budgétaire persistante impose des arbitrages difficiles, et donc plus de réactivité, plus de cohérence transverse et donc plus de solidarité.

Deuxième opportunité : la création d'un site nouveau, quasiment ex nihilo, permet de concevoir des conditions de travail mieux adaptées aux besoins, et d'améliorer les conditions de vie du personnel. Pour l'état-major des armées, c'est une véritable révolution qui se prépare. Boulevard Saint-Germain, quelques adaptations mises à part, les murs n'ont pas été déplacés depuis les grands travaux des années 1840. À Balard, l'agencement des bâtiments et des bureaux est pensé, conçu en fonction de la mission ; il décline les besoins d'une administration moderne, informatisée et interconnectée. L'installation sur un site arboré, avec des jardins, un mess hors sol, des installations sportives et des facilités sociales – par exemple, des crèches – constitue un autre changement auquel le personnel sera évidemment particulièrement sensible. L'attractivité de la région parisienne en sera renforcée.

Troisième opportunité : Balard a été pensé, dès l'origine du projet en 2007, pour optimiser les coûts de fonctionnement. C'est cette année-là qu'a été lancée la révision générale des politiques publiques, dont l'objectif est de réduire la masse salariale de l'administration d'État et, en corollaire, ses budgets de fonctionnement. Pour la Défense, le Livre blanc de 2008 et la loi de programmation militaire 2009-2014 s'inscrivent dans cet esprit. Ils mettent en avant un modèle d'armée resserrée, mais mieux équipée, mieux entraînée et bénéficiant de meilleures conditions de vie et de travail. Les gains réalisés sur le fonctionnement ont vocation à être réinvestis dans l'équipement des forces et dans la revalorisation de la condition du personnel.

Le ministre de la Défense, M. Jean-Yves Le Drian, a pleinement adhéré à ce projet, affirmant, lors de la cérémonie du drapeau sur le site de Balard le 17 janvier dernier : « Unifier et rassembler nos forces, c'est tout l'enjeu du projet Balard. » Par sa conception, Balard offre un cadre particulièrement idoine à la mise en oeuvre de la réforme en cours, et de la gouvernance du ministère de la Défense. Le regroupement de toute l'administration centrale à Balard conduira à la fermeture de huit sites de la région parisienne, et plus largement au regroupement de structures aujourd'hui réparties sur douze sites différents. Les gisements d'économie s'imposent d'eux-mêmes.

En octobre 2008, la Délégation au regroupement des états-majors et services centraux de la défense (la DRESD) est créée. Le projet Balard est lancé. Il est présenté comme un pivot de la réforme du ministère. Balard est ainsi conçu pour l'efficacité et l'économie, ce qui me conduit au deuxième point que je souhaite aborder devant vous aujourd'hui.

Pour les armées, cette efficacité reposera d'abord sur une disposition physique des services plus rationnelle, une disposition qui favorisera pour chacun les interactions avec ses partenaires les plus fréquents. Je l'ai dit, Balard regroupera l'ensemble de l'administration centrale du ministère de la Défense. Les armées, la DGA (Direction générale de l'armement) et les services du SGA ne seront pas seulement localisés sur ce site, ils y seront regroupés par fonction et par métier, renforçant ainsi les synergies fonctionnelles. Pour les armées cependant, l'un des principaux atouts de la formule réside dans la co-implantation des services concourant au commandement des opérations.

Le site accueillera environ 9 500 personnes sur deux parcelles, Est et Ouest, dont 3 700 environ au titre du commandement des armées, qui regroupe donc : états-majors d'armée, directions et services subordonnés au chef d'état-major des armées.

Les infrastructures, neuves et réhabilitées, sont réparties sur ces deux parcelles. 2 700 personnes du commandement des armées, communément appelé le CDA, seront logées dans les infrastructures de la parcelle Ouest, et 1 000 sur la parcelle Est, l'actuelle « Cité de l'Air ».

Le CEMA (chef d'état-major des armées), les chefs d'état-major, les états-majors ainsi que le CPCO (Centre de planification et de conduire des opérations) seront regroupés en parcelle Ouest, à proximité des équipes de direction du DGA et du SGA.

La parcelle Est accueillera quant à elle les équipes de programme et les services en charge du soutien des matériels des armées : la SIMMAD (Structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la Défense), la SIMMT (Structure du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres) et la DCSSF (Direction centrale du service de soutien de la flotte). Ces équipes d'expertise technique seront ainsi colocalisées avec les services de la DGA, afin d'être plus efficaces dans la réalisation de nos équipements et dans leur maintien en condition opérationnelle, sujet extrêmement important et sensible. Cette parcelle Est permettra également d'accueillir l'état-major interarmées des forces et d'entraînement, actuellement à Creil, ainsi que l'ensemble de la fonction « exploitation » de la DRM (Direction du renseignement militaire).

En bref, à l'exception de ces deux services, la parcelle Est sera celle de la réalisation des capacités et du soutien technique de nos équipements, plus généralement du soutien des forces, tandis que la parcelle Ouest accueillera la totalité des autres états-majors, directions et services.

Comme je le disais précédemment, la parcelle Ouest est organisée autour de la finalité opérationnelle des armées. Je pense au commandement des armées dans son ensemble, dont le coeur – environ 800 personnes – constituera ce que l'on appelle « le pôle opérationnel ». Ce pôle est placé au centre des infrastructures de la parcelle Ouest et fédérera l'ensemble des expertises nécessaires à la planification et à la conduite des opérations actuellement dispersées. Il réunira notamment l'échelon central interarmées dans sa totalité, dont le Commandement des opérations spéciales, qui quittera la base de Villacoublay, et les spécialistes de chaque armée, directions et services, pour mieux prendre en compte la réalité de nos engagements actuels : des engagements toujours interarmées, qui s'appuient sur une intégration toujours plus poussée, des actions conduites sur terre, sur mer, dans la troisième dimension, dans l'espace et le cyberespace.

Ce coeur opérationnel, qui pilote toutes les missions conventionnelles et nucléaires des armées, est actuellement très « dimensionnant » en termes de systèmes d'information et de communication, de réseaux, de protection des infrastructures et de disponibilité des moyens. Balard annonce donc des changements de grande ampleur pour le commandement des armées. Ces changements ont été pris en compte dès l'ébauche du projet, de manière très volontariste. C'est pour cela que l'on peut dire que Balard est un projet mobilisateur. Il est en effet le catalyseur de la réforme du commandement des armées, qui poursuit un double objectif de modernisation et de rationalisation des états-majors.

Dans cette optique, l'état-major des armées se concentrera sur le niveau stratégique et se structurera autour des responsabilités du chef d'état-major des armées. Il s'agit bien de revisiter les relations fonctionnelles entre l'état-major des armées, l'échelon central interarmées d'une part, et les armées, les directions et les services d'autre part, en se plaçant dans une double logique de complémentarité et de subsidiarité, à la fois pour donner la priorité aux forces et pour diminuer les effectifs de l'administration centrale, conformément à la volonté du ministre et du chef d'état-major des armées.

Cette réforme du commandement contribuera en outre à la déflation des effectifs du ministère. Une telle déflation méritait naturellement d'être pilotée très en amont et en souplesse, de manière à atteindre l'objectif cible dès l'installation à Balard, tout en assurant la continuité des missions. Il nous a donc fallu repenser l'ensemble de nos organisations et de nos modes de fonctionnement en partant des missions et des fonctions nécessaires à leur réalisation.

À l'état-major des armées, ce passage de 900 à 600 personnes environ a représenté un véritable tour de force, car les missions déduites des grandes attributions du CEMA n'ont pas changé dans le même temps. Afin de réussir cette manoeuvre complexe, nous avons décidé de créer dès 2011 une équipe projet, au sein de l'EMA, en charge de la réforme du commandement des armées et de l'organisation de la manoeuvre de regroupement à Balard.

Les organisations cibles sont atteintes depuis l'été 2013 pour les états-majors d'armée, cela sera le cas à l'été 2014 pour l'état-major des armées, avant de faire mouvement vers Balard. Nous sommes donc en ordre de marche.

J'en viens au troisième et dernier point de ma présentation. La pleine réussite du transfert repose sur quelques paramètres, dont la finalisation sera naturellement décisive à moyen terme. J'en retiens trois.

Premier paramètre : cette phase de transfert vers Balard est naturellement très délicate. Notre vulnérabilité sera minimisée si le transfert est limité dans le temps. Le commandement des opérations ne peut évidemment souffrir la moindre discontinuité. Nous avons ainsi organisé le déménagement du commandement des armées autour de ce que l'on appelle un « bloc opérationnel cohérent » : un tout, dont le mouvement devait être assuré sans à-coup et dans un créneau temporel limité. Le déménagement du bloc opérationnel cohérent est aujourd'hui prévu sur sept semaines, entre avril et mai 2015.

Nous serons par ailleurs particulièrement attentifs au niveau de disponibilité des systèmes d'information et de commandement, et des moyens de sûreté qui conditionneront évidemment largement le lancement effectif du déménagement.

Quelques incertitudes subsistent sur les dates de livraison des bâtiments rénovés - de ce que l'on appelle la « phase 2 » - situés en parcelle Est. Ces dates de livraison décalées ne permettront pas au commandement des armées d'être totalement transféré à Balard dès le début de l'été 2015. Nous étudions avec la DMPA (Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives) et la DRESD les options envisageables d'installation temporaire de certaines entités en attendant ces dernières livraisons, qui devraient s'effectuer en 2016.

Enfin, je tiens à souligner que nous sommes tout particulièrement vigilants, compte tenu de l'impact que pourrait avoir, pour le commandement des armées, un déménagement reporté. En effet, les effectifs des organisations cibles ont été évalués au plus juste et tiennent compte des gains permis par le regroupement sur un même site. Il est donc important que les délais soient respectés.

Deuxième paramètre : le modèle de soutien mis en place est nouveau et prometteur mais, évidemment, il devra faire ses preuves. Le soutien de Balard s'appuie sur un niveau d'externalisation poussé, qui concerne également une partie des systèmes d'information et de commandement. Un tel degré d'externalisation n'a jamais été expérimenté sur d'autres sites de la Défense. Le cahier des charges, défini dans le contrat, satisfait les exigences. La DRESD, en charge de la direction du projet, accompagnée par les équipes du SGA et la DIRISI (Direction interarmées des réseaux d'infrastructures et des systèmes d'information de la Défense), s'attache à faire valoir régulièrement les impératifs du ministère dans le cadre de ses travaux avec le prestataire. À cet égard, je tiens à souligner la qualité du travail réalisé par cette petite équipe. Pour autant, et à l'évidence, seule la confrontation à la réalité du terrain permettra de vérifier que la réponse du prestataire est à la hauteur de nos impératifs opérationnels.

Comme le reste du ministère, les armées abordent une nouvelle phase de leur transformation, dont la nature et l'ampleur n'avaient pas été prises en compte dans les spécifications initiales de Balard, réalisées en 2009. Les réorganisations qui en découlent génèrent des besoins d'adaptation des locaux, qu'il paraît difficile, pour des raisons contractuelles, d'obtenir du prestataire avant le déménagement. Sans présager de ce qui sera accepté par le prestataire, ce changement de portage met en exergue la nécessaire adaptation de nos modes de fonctionnement aux contraintes contractuelles. Il faudra en outre conserver un modèle d'organisation réversible, c'est-à-dire nous permettant de continuer nos missions en toutes circonstances, notamment en cas d'impératif opérationnel majeur.

Troisième paramètre : la maîtrise des impacts indirects du transfert, dont certains restent à traiter. La fermeture des sites de Paris intra muros est une source d'économie non négligeable pour le ministère. Toutefois, la perte du site de la Pépinière pour la marine et de Lourcine pour l'armée de terre réduit sensiblement la capacité d'hébergement intra-muros du personnel militaire. Cela représente environ 360 lits au profit d'une population constituée à 85 % de sous-officiers. C'est pour nous un sujet de préoccupation majeure. Les mesures de réhabilitation, ainsi que la diminution de nos effectifs, permettront d'absorber une partie de ces pertes. Il nous restera environ 200 lits à trouver à proximité de Balard. Le site de Houilles, qui avait été envisagé, est de notre point de vue trop éloigné. Nous sommes en contact actuellement avec la DMPA et le cabinet du ministre, pour étudier la création de nouvelles capacités d'hébergement. Nous avons identifié les sites du Fort de Vanves, de Bégin et d'Arcueil comme offrant des perspectives dans ce domaine. Cette question s'intègre évidemment dans la problématique de la condition du personnel, à laquelle le chef d'état-major des armées et les chefs d'état-major d'armée sont naturellement particulièrement attentifs.

Pour conclure, je dirai que le transfert du commandement des armées sur le site de Balard est un défi comme nous n'en n'avons pas connu depuis plusieurs dizaines d'années. Nos armées, directions et services, vont quitter des sites sur lesquels elles sont établies depuis plusieurs décennies, voire plusieurs siècles pour certaines d'entre elles, avec ce que cela signifie en termes d'identité, de culture et de pratiques. Elles vont conduire les opérations et préparer les capacités futures, imbriquées comme elles ne l'ont jamais été au sens propre comme au sens figuré. C'est une mutation profonde, mais parfaitement endossée, avec détermination, par les armées, car elle fait écho à une réalité forte et immuable du terrain des opérations.

C'est ensemble que les armées gagnent et qu'elles protègent. C'est avec l'engagement de tous et les idées de chacun que l'on arrive à faire autrement. C'est unis que l'on fait au mieux pour l'efficacité de nos armées et pour le succès des armes de la France. Balard est un projet d'avenir pour nos armées, qui nous a déjà amené à faire évoluer notre organisation et nos modes de fonctionnement, et qui le sera encore une fois que le regroupement sera réalisé.

Je crois que nul ne peut imaginer aujourd'hui tous les changements que ce mouvement vers Balard permettra à l'avenir. Il est certain qu'ils seront considérables, et que les armées s'y engageront toujours avec la même détermination et la même volonté de réussir. Pour ma part, je suis persuadé que cette volonté sera payante, au-delà de nos attentes. Mon expérience personnelle m'a conduit à mesurer les vertus de la colocalisation au Pentagone, chez nos partenaires américains. La proximité modifie la nature des rapports entre les acteurs et engendre de nouvelles manières de raisonner, de nouvelles habitudes, qui permettent, globalement, d'être encore plus efficients, et c'est bien l'objectif que nous recherchons.

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