Intervention de Guy Teissier

Réunion du 6 novembre 2012 à 18h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Teissier, rapporteur pour avis :

Le contexte de l'élaboration de ce budget de la défense pour 2013 est assez compliqué et un peu particulier : ce budget constitue en effet une transition entre deux lois de programmation militaires mais aussi entre deux Livres blancs. Il s'agit à la fois de ne pas compromettre l'activité de nos armées et de ne pas anticiper sur les choix du prochain Livre blanc et de la prochaine LPM. Pour reprendre une expression utilisée par le gouvernement comme par les personnalités que j'ai rencontrées pour préparer mon rapport, c'est un « budget d'attente ».

Quelles sont donc les grandes lignes de ce budget ? Le montant des crédits de paiement est stable par rapport à 2012, s'élevant à 38,16 milliards d'euros. En revanche, les autorisations d'engagement s'élèvent à 38,64 milliards d'euros, soit une baisse de 3,3% par rapport à l'année passée. Cette baisse porte principalement sur les autorisations d'engagement du programme 146, « équipement des forces », qui diminuent de 14,4%. J'y reviendrai par la suite. Les crédits de paiement du programme 212 « soutien de la politique de défense », sont également en baisse de 6,35%. Les crédits du programme 178 « préparation et emploi des forces » sont stabilisés, tandis que ceux du programme 144 « environnement et prospective de la défense » – qui inclus notamment la renseignement e la diplomatie de défense – enregistrent une hausse substantielle. Je vous renvoie à mon rapport pour une présentation plus détaillée.

Ces chiffres ne semblent pas si mauvais mais correspondent, en réalité, à une accentuation du décrochage par rapport à la LPM 2009-2014 qui prévoyait à partir de 2012 une hausse des dépenses de 1% de plus que l'inflation. Ce décrochage est particulièrement marqué depuis 2011 et le projet de budget pour 2013 va encore l'aggraver. Par rapport aux prévisions initiales de la LPM, le recul devrait dépasser les 3 milliards d'euros. En outre, on voit que la défense contribue largement aux efforts de réduction des dépenses publiques. Plus de 7200 équivalents temps plein devraient d'ailleurs être supprimés en 2013.

Néanmoins, je tiens à saluer la décision du gouvernement de sanctuariser, en dépit du contexte budgétaire contraint et dans la lignée des choix effectués par le Président Sarkozy, deux secteurs très importants que sont la dissuasion nucléaire et le renseignement. En effet, la dissuasion nucléaire constitue l'assurance-vie de notre pays ainsi qu'une des meilleures justifications de son statut de membre permanent du conseil de sécurité de l'ONU. Les capacités de renseignement, dans le monde qui est le nôtre, n'en sont pas moins importantes. La DGSE bénéficie donc d'augmentations de personnels et d'une augmentation des crédits de paiements et surtout des autorisations d'engagements. Il faut le souligner.

En ce qui concerne les équipements, le projet de budget pour 2013 prévoit notamment la livraison de 11 Rafales – un seuil en deçà duquel il ne faut pas aller –, de la première FREMM et de 4 hélicoptères Tigre. La livraison des A400M devrait débuter en juin. Le projet de budget contient aussi les crédits nécessaires au lancement de la réalisation de l'avion ravitailleur MRTT, à la commande du premier système de drones MALE, et de 3 systèmes de drones tactiques supplémentaires.

En revanche, d'autres programmes d'équipements connaissent une évolution moins favorable. Ont ainsi été décalés la commande du 4ème sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda, ainsi que celle de la première étape du programme Scorpion de modernisation et de renouvellement des véhicules blindés de combat, qui sont très sollicités en OPEX. Il en va de même de la rénovation des Mirages 2000D et des Atlantique 2. Au total, le gouvernement a choisi de décaler près de 4,5 milliards d'euros de commandes.

Par ailleurs, je suis préoccupé par les chiffres concernant la disponibilité des matériels et l'entraînement des personnels, qui sont mauvais. Les objectifs de disponibilité des matériels sont en baisse par rapport au projet de loi pour 2012. Je vous renvoie à mon rapport pour les chiffres. L'entraînement des personnels est aussi insuffisant, mais plus que jamais nécessaire pour pallier la diminution des OPEX puisqu'une armée de métier doit être dans un mouvement permanent. C'est un problème qui concerne les trois armées. Je ne donnerai cependant qu'un exemple : les pilotes de chasse devraient effectuer 160 heures de vol en 2013, soit 20 heures de moins que ce qui est considéré comme nécessaire pour conserver et développer ses compétences. Pire, les pilotes de transport effectueront 260 heures de vol alors qu'il en faudrait 400 ! Ces lacunes pourraient menacer, à terme, les compétences de nos armées, leur efficacité, et donc leur capacité à faire face aux menaces et à nous protéger. Je pense que l'opérabilité de nos pilotes est menacée.

Ces inquiétudes suscitées par le projet de budget pour 2013 dont je viens de vous faire part sont d'autant plus réelles que le contexte stratégique actuel est loin d'être apaisé.

Nous retirons nos troupes d'Afghanistan, mais, comme vous le savez, le terrorisme n'est pas éradiqué pour autant. Ce qu'on appelle l'arc de crise s'étend désormais vers le sud et, à ce titre, on ne peut que se féliciter du fait que le gouvernement précédent n'ait pas poussé la logique du Livre blanc de 2008 jusqu'au bout en fermant des bases prépositionnées, comme cela avait été envisagé. La zone sahélienne est parfois qualifiée de « nouvel Afghanistan », en raison de la présence de groupes terroristes comme AQMI, qui profitent de la faillite ou de la faiblesse de l'autorité étatique dans cette zone. AQMI et les autres groupes extrémistes menacent nos ressortissants, dont six sont toujours retenus en otage. Ils menacent aussi notre territoire, qui pourrait être la cible d'attaques terroristes, ainsi que nos intérêts économiques, puisque des entreprises françaises se trouvent dans la région. Je pense notamment à Areva qui exploite des mines d'uranium au Niger. Nous devrons donc rester très vigilants face à cette menace.

Le Proche-Orient est loin d'être pacifié. Cette zone est déjà historiquement instable en raison du conflit israélo-palestinien et de la présence de fortes minorités religieuses dans certains Etats. A cela s'ajoutent les risques de prolifération du fait du programme nucléaire iranien et de la possession d'armes chimiques par le régime syrien.

Je note également que la trajectoire des budgets de défense des pays émergents, notamment les BRIC, suit une tendance très différente de celle des pays européens. Pour ne donner que quelques chiffres, que vous retrouverez dans mon rapport, entre 2001 et 2010, les dépenses militaires ont augmenté de 190% en Chine, de 82% en Russie, de 55% en Inde et de 29% au Brésil. La faiblesse de l'effort de défense des pays européens ne doit donc pas nous laisser penser que le monde entier désarme. Pour conserver notre rang et assurer notre sécurité, il ne faut pas baisser la garde.

En outre, nous devons sans cesse adapter notre outil de défense aux nouveaux défis. J'en vois deux qui, à l'heure actuelle, méritent que nous renforcions nos moyens.

En premier lieu, la maritimisation, autrement dit, l'importance croissante des océans pour nos intérêts économiques et stratégiques. Comme vous le savez, la France possède le deuxième plus grand domaine maritime au monde grâce à ses départements et territoires d'outre-mer. Cet immense avantage appelle, en contrepartie, des investissements pour que le format de la marine soit à la hauteur des enjeux. J'ai eu l'occasion de m'en entretenir avec l'Amiral Rogel, chef d'état-major de la marine : le format actuel de cette dernière est sans doute insuffisant eu égard à l'étendue de notre domaine maritime et de la diversité des missions : sauvetage en mer, lutte contre la piraterie et les trafics, police des zones de pêche…

En second lieu, l'autre défi que je voudrais évoquer est celui de la cyberdéfense. Dans ce domaine, notre pays a accompli des efforts importants – bien que tardifs et encore insuffisants – depuis 2008. Je pense notamment à la création de l'ANSSI, l'agence nationale de sécurité des systèmes d'information. Mais tout en saluant ces efforts, je considère qu'ils sont encore insuffisants. Les moyens et le personnel de l'ANSSI sont en deçà de ceux consacrés par l'Allemagne et le Royaume-Uni en la matière – sans même parler des Etats-Unis. Or nos sociétés sont très dépendantes des systèmes de communication et d'information électroniques. Les conséquences de cyberattaques massives seraient considérables, sans doute très coûteuses et peuvent désorganiser fortement la vie quotidienne. A mon sens, l'insuffisance des moyens ne permettra que des économies à court terme. C'est une fausse solution. En matière de cyberdéfense comme de maritimisation, il est probablement plus coûteux de ne rien faire que de réaliser les investissements nécessaires.

De nouveaux textes – Livre blanc et loi de programmation militaire – vont fixer les grandes orientations de notre défense pour les prochaines années, tant en termes de moyens qu'en termes de missions. Sans anticiper sur leur contenu, j'évoque dans mon rapport quelques pistes qu'il me semble important de prendre en compte lorsqu'il faudra faire des choix.

Je pense notamment que le monde militaire a besoin, et attend, que les choix faits soient cohérents. Cela implique de ne pas donner aux armées des missions sans leur en donner les moyens. Il faudra tenir compte des contraintes budgétaires sans pour autant renoncer à toute ambition.

De même, il convient de ne pas sacrifier les crédits consacrés à la recherche. Ils s'élèvent à 3,3 milliards d'euros pour 2013, contre 3,8 milliards d'euros en 2009. Or, la recherche est indispensable si nous voulons maintenir notre compétitivité sur le marché des armements. Nos exportations s'accompagnent en effet de transferts de technologies vers les pays importateurs, ce qui signifie que nous devons avoir toujours un temps d'avance pour rester compétitifs par rapports à nos clients émergents.

Enfin, dans un contexte budgétaire tendu, le développement des coopérations avec d'autres partenaires peut être une réponse à l'équation difficile entre les contraintes budgétaires et la nécessité de maintenir nos capacités. Encore faut-il bien choisir ces partenaires. Ce que l'on appelle encore aujourd'hui « l'Europe de la défense » est, hélas, loin d'être une réalité tangible. La plupart des Etats de l'Union européenne manquent à la fois de moyens et de volonté politique pour s'investir dans de telles coopérations et s'en remettent surtout à l'OTAN pour les défendre. En revanche, des coopérations bilatérales ou trilatérales fructueuses peuvent être envisagées, surtout avec le Royaume-Uni et l'Allemagne. La France a, comme vous le savez, jeté les bases d'une coopération approfondie avec le Royaume-Uni, par la signature du traité de Lancaster House en 2010, dans plusieurs domaines pointus tels que la dissuasion nucléaire, les équipements ou des opérations conjointes. Avec l'Allemagne, la France a signé en septembre dernier une déclaration contenant 8 thèmes porteurs de coopérations potentielles, notamment les drones. J'appelle de mes voeux l'essor de ces coopérations. Des rapprochements entre industriels européens seraient aussi souhaitables pour renforcer ce secteur et faire face à la concurrence internationale. A ce titre, je pense que le prochain drone « MALE » devrait être produit en France. D'autant plus que le retrait d'Afghanistan nous donne sans doute une marge de manoeuvre suffisante pour ne pas être contraints de nous précipiter et de recourir obligatoirement à une solution non européenne.

Voilà les observations que j'entendais formuler sur le budget de la défense pour 2013. Dans l'attente des conclusions du prochain Livre blanc et des choix qui seront effectués en conséquence, je ne me prononcerai pas sur ces crédits et je m'en remets à la sagesse de la Commission.

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