Mon ambition est d'inscrire mon action dans la continuité de celle menée par M. Lacoste, qui a fait de l'ASN un référent au niveau mondial. Ma candidature repose sur deux raisons : mon parcours personnel, qui m'a conduit à oeuvrer pendant vingt-six ans pour ou aux côtés de l'ASN, et les résultats remarquables de celle-ci.
Je travaille en effet depuis vingt-six ans pour l'État français, au service d'intérêts touchant à la protection des populations ou de l'environnement. J'ai notamment servi pendant neuf ans, au début de ma carrière, l'ASN de l'époque. J'ai pris mes premières fonctions en septembre 1986, quelques mois après la catastrophe de Tchernobyl, qui a certainement orienté mes choix pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise en France. Mon premier poste, qui a duré trois ans, était très technique, d'expertise, centré sur les problèmes de cuve de réacteurs – lesquels sont d'ailleurs d'actualité, comme le montre le cas de la Belgique. Il m'a été très utile dans mes fonctions suivantes, davantage liées à la décision.
J'ai ensuite occupé deux autres postes au sein de l'ASN. En 1992 et 1993, j'ai été l'adjoint de M. Lacoste, chargé du contrôle de l'ensemble du parc nucléaire français, notamment les réacteurs à eau sous pression et Superphénix.
Puis, j'ai passé une dizaine d'années sur le terrain, successivement en Alsace et en Nord-Pas-de-Calais, où j'ai dirigé la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE), avec pour mission de contrôler un champ d'installations techniquement plus large, s'étendant, au-delà des centrales nucléaires – comme celles de Fessenheim ou de Gravelines –, aux installations industrielles classiques, Seveso notamment, confrontées à d'autres types de risques. J'ai eu à faire face à deux accidents majeurs : l'explosion de l'usine de Nitrochimie à Billy-Berclau en 2003, qui a provoqué six décès, et l'une des plus graves crises de légionellose survenues en France, durant l'hiver 2003-2004, dans la région de Lens, qui a duré près de deux mois et a fait une vingtaine de victimes.
Entre 2005 et 2007, j'ai rejoint le cabinet du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, où j'ai été chargé des questions liées à l'industrie, la recherche, l'environnement et l'énergie. J'ai eu notamment à superviser les travaux d'élaboration des deux lois de juin 2006 : celle relative à la gestion des déchets et matières nucléaires et celle touchant à la transparence et à la sûreté nucléaires, qui a fait de l'ASN une autorité administrative indépendante.
En 2007, j'ai pris mes fonctions actuelles de directeur général chargé de l'énergie, successivement responsable de la direction générale de l'énergie et des matières premières puis, en 2008, de la direction générale de l'énergie et du climat, que j'ai créée pour la remplacer – le fait d'accoupler ces deux sujets était à l'époque une novation sur le plan international.
Quant au bilan de l'ASN, il est non seulement bon en soi, mais aussi jugé comme tel à l'extérieur. L'Autorité repose sur quatre valeurs essentielles, qui sont le fruit d'un mûrissement progressif : compétence et rigueur, d'une part, et indépendance et transparence, d'autre part. Toutes sont nécessaires, mais elles ne sont suffisantes que si on les cultive dans la durée.
L'ASN a toujours cherché à améliorer le système de sûreté. La France a ainsi été la première à mettre en place, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, une échelle de gravité, qui a inspiré l'échelle internationale INES. Puis, l'ASN a mis en oeuvre une échelle de gravité pour les accidents de radioprotection et s'est attachée à rendre publics les suites de ses inspections, les avis préalables qui lui sont donnés ainsi que toutes ses décisions, que l'on peut consulter sur son site Internet.
Elle est aussi la première des autorités nucléaires à s'être penchée, dès le début des années 1990, sur les normes de sûreté des réacteurs de troisième génération, qui sont devenus un standard de référence européenne, que l'on cherche aujourd'hui à rendre international. J'ai moi-même travaillé à cette question.
Dans le domaine de la gestion des matières et déchets nucléaires, autre enjeu essentiel, notre politique est marquée par une construction très robuste, grâce aux lois de 1991 et de 2006 – cette dernière a d'ailleurs prévu en 2015 l'examen des conditions du futur stockage en couche géologique profonde du projet Cigéo.
L'ASN a également accompli des progrès remarquables en matière de radioprotection, notamment sur les suivis en milieu médical ou hospitalier.
Ces progrès ne sont possibles que si on continue à s'intéresser aux systèmes étrangers : c'est la raison pour laquelle l'Autorité s'est très tôt engagée à développer les échanges de bonnes pratiques. Elle a ainsi largement contribué à la création du club des autorités de sûreté nucléaires d'Europe de l'Ouest, WENRA. Celui-ci a joué un rôle déterminant après la catastrophe de Fukushima pour définir, en quinze jours seulement, les standards des stress tests, qui servent aujourd'hui de référence.
Ces résultats ont contribué à faire en sorte que les lois de 2006 confortent la place de l'ASN et l'ensemble des dispositions en matière de sûreté et de gestion des déchets.
Ils sont le fruit d'une double conviction : que l'accident nucléaire est possible, y compris en France, et qu'il ne peut y avoir de sûreté à deux vitesses dans le monde. Ils résultent aussi d'une logique de progrès continu : la sûreté appelle une remise en cause permanente, à la fois sur les questions techniques et d'organisation, qu'il s'agisse des opérateurs ou des autorités de contrôle.
Les enjeux futurs de l'ASN sont nombreux.
Il s'agit d'abord de la question du vieillissement des installations et de l'analyse de leur durée de fonctionnement : notre parc nucléaire date des années 1970-1980. L'extension de la durée de fonctionnement des réacteurs au-delà de 30 ans exige un examen au cas par cas – ce que fait actuellement l'ASN, en précisant les conditions éventuellement nécessaires à cette fin. Au-delà de 40 ans, cette extension n'est pas acquise : l'ASN devra se prononcer sur ce point, sous réserve que tous les dossiers lui soient fournis par EDF ; un rendez-vous technique est d'ailleurs fixé en 2015 au terme d'une instruction technique déjà largement définie.
Deuxième enjeu : le renouvellement des compétences humaines des opérateurs. Nous arrivons à la fin d'une génération : les conditions de passage du flambeau avec la nouvelle, notamment en ce qui concerne la transmission des principes de sûreté et les formations, constituent une question centrale.
Troisième enjeu : la fermeture de la centrale de Fessenheim. Comme l'a rappelé M. Lacoste, les procédures afférentes à un arrêt de réacteur sont longues, de l'ordre de quatre à cinq ans : elles sont d'un même niveau de complexité que les opérations de démarrage d'un réacteur.
Nous aurons aussi en 2013 le débat sur le projet Cigéo. L'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a saisi la Commission nationale du débat public (CNDP), qui doit commencer à élaborer le dossier qui servira de support à ce débat. Il faudra examiner simultanément les enjeux relatifs à la progression des recherches en matière de séparation et de transmutation ainsi que sur les générateurs de quatrième génération.
Dans le domaine de la radioprotection, trois axes sont identifiés : améliorer la pratique médicale quotidienne pour éviter certains incidents ; limiter la hausse tendancielle des doses reçues à l'occasion des examens et thérapies ; mieux tenir compte des différences de radiosensibilité selon les personnes, en liaison avec les professions concernées.
Dernier enjeu important : la poursuite de l'action internationale, pour promouvoir nos bonnes pratiques et mieux comprendre ce qui se fait à l'étranger. Après la catastrophe de Fukushima, la France et l'ASN ont à faire entendre leur voix pour améliorer les standards et pratiques de sûreté.
Trois conditions sont nécessaires pour traiter correctement ces questions : avoir des compétences humaines suffisantes, qu'il s'agisse des exploitants ou de l'autorité de sûreté et de son appui technique, l'IRSN ; examiner précisément ce qui se fait de mieux à l'extérieur, non seulement à l'étranger, mais aussi dans d'autres activités à risque comme l'aéronautique ou les activités industrielles classiques ; et disposer d'un cadre institutionnel robuste, c'est-à-dire à la fois solide et stable.